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Palmyre (Tadmor) : l'hommage vibrant et outré de Paul Veyne
Publié dans Leaders le 13 - 01 - 2016

« Ayant pour métier l'étude de l'Antiquité gréco-romaine, je n'ai cessé de rencontrer Palmyre sur mon chemin professionnel. Avec la destruction de Palmyre par l'organisation Daech, tout un pan de notre culture et mon sujet d'étude viennent de voler en éclats… Malgré mon âge avancé, c'était mon devoir d'ancien professeur et d'être humain de dire ma stupéfaction devant ce saccage incompréhensible et d'esquisser un portrait de ce que fut la splendeur de Palmyre qu'on ne peut plus connaître que par les livres ».
L'auteur de ces phrases poignantes est Paul Veyne, le grand historien français spécialiste de l'époque romaine, né en 1930 et dont l'immense savoir déborde largement l'histoire ancienne. Professeur honoraire au Collège de France, il a commencé sa longue carrière scientifique en publiant, en 1958, un article dans lequel il commenté superbement deux inscriptions de l'époque romaine découvertes sur le site tunisien de Vina, l'actuel Henchir Lassoued au Cap Bon. Il était, alors, élève de l'Ecole française de Rome et il effectuait, en Tunisie, un stage de recherche dans la bonne tradition des pensionnaires du Palais Farnèse. Dès le début des années 1970, Paul Veyne s'est imposé comme l'un des penseurs qui ont réfléchi le plus sur le métier d'historien. Ses lecteurs ne sont pas que des historiens. L'ouvrage, qu'il a consacré à la poésie de René Char en 1990 et celui dans lequel il a retracé, en 2008, la vie et la pensée de son grand ami Michel Foucault, ont fait de lui l'une des grandes figures éclectiques de l'Université française dont il n'a pourtant pas cessé de critiquer le conformisme.
Une évocation de l'histoire de Palmyre pour tous les publics
L'ouvrage intitulé ''Palmyre. L'irremplaçable trésor'' a été publié au mois de décembre 2015 aux Editions Albin Michel. Il se veut avant tout un éloge de ce que fut Palmyre dans son histoire et dans ses vestiges archéologiques pris d'assaut par les hordes de l'Etat islamique, au cours de l'été 2015 et détruit graduellement, depuis. La Palmyre évoquée par Paul Veyne est surtout celle de l'époque romaine, épanouie pendant les trois premiers siècles de l'ère chrétienne. Auparavant, la cité était appelée Tadmor, nom qu'elle a retrouvé après l'Antiquité et qui est encore en usage aujourd'hui, en Syrie.
Si l'ouvrage est présenté modestement, par son auteur, comme s'adressant « au lecteur honnête homme », il recèle plus d'une réflexion profonde qui suscite l'intérêt des historiens professionnels, à commencer par les spécialistes d'histoire ancienne. Conçu en douze chapitres, le livre totalise moins de 150 petites pages. Mais, que de sujets ! Le style alerte, les angles de vue originaux et les commentaires savants, sans être pédants, emportent le lecteur dans un voyage savoureux de la plus haute Antiquité à l'actualité brûlante.
Les mille et une facettes de Palmyre
Se basant sur les textes anciens et les découvertes archéologiques accumulées par plusieurs générations de chercheurs, l'auteur cerne admirablement les particularités de Palmyre. Cité araméenne, Tadmor est attestée depuis près de 4000 ans. Son existence précédait donc d'un millier d'années les premières attestions des civilisations assyrienne et phénicienne. Elle a été habitée par de nombreux Arabes avant de connaître la domination perse, celle des rois hellénistiques puis celle de Rome. La langue araméenne qui a été adoptée par les Arabes de Tadmor ne s'est pas effacée devant le grec diffusé à la faveur des conquêtes d'Alexandre le Grand. Son maintien en tant que deuxième langue officielle est une particularité rarement attestée dans l'Orient ancien.
Si Palmyre a adopté les grands principes de l'urbanisme gréco-romain, elle s'en est distinguée nettement par son art, sa vie religieuse et son mode de vie. La sculpture y a gardé un fond oriental prononcé comme l'attestent les célèbres bustes funéraires bien reconnaissables dans de nombreux musées importants tels que ceux du Louvre et de Tokyo. En plus du grand dieu Bêt, s'y côtoyaient de nombreuses autres divinités telle que la déesse Allat des Arabes. Les Palmyriens, dont seule une minorité a acquis la citoyenneté romaine, n'étaient pas vêtus de la toge mais de pantalons et portaient des armes, chose strictement interdite pour les civils dans le reste de l'empire romain. Dans les inscriptions honorifiques, l'évocation détaillée du lignage primait sur la mention des magistratures ou des sacerdoces, si fréquentes dans le reste de l'empire.
L'accumulation des richesses en plein désert
Située presque à mi-chemin entre le littoral syrien et l'Euphrate, Palmyre a su, comme Alexandrie et Petra, capter une partie du commerce très lucratif qui amenait, dans le monde romain, des produits peu volumineux mais de très grande valeur marchande provenant de l'Inde et de l'Arabie : ivoire, étoffes, soie, perles, encens et myrrhe. Les magnats de ce commerce s'acquittaient des droits douaniers imposés par Rome puis imposaient leur prix. De leur richesse, ils tiraient pouvoir et prestige social. A travers les documents, on les voit, tour à tour, dans le rôle du magistrat ou celui du cavalier commandant les troupes qui escortaient les caravanes. Dans les deux situations, ils savaient compter sur les solidarités de clans et les clientèles.
Les vestiges de riches demeures et de mausolées ostentatoires situés en dehors de la ville témoignent de la prospérité d'une cité que l'auteur compare souvent à Venise qui a su tirer profit, pendant plusieurs siècles, du commerce maritime. Même si la documentation ne le laisse pas voir clairement, il est probable qu'à Palmyre, comme ailleurs, dans le monde romain, le financement des monuments publics a été assuré, au moins en partie, par le profit tiré du commerce.
Le rêve impérial de Zénobie
Pendant les trois premiers siècles de l'ère chrétienne, Palmyre a fait partie de l'empire romain. Cette soumission politique n'a pas entraîné la disparition de l'organisation municipale de type grec acquise à l'époque hellénistique. Dans l'attachement des Palmyriens à l'empire romain, il y avait une adhésion politique qui s'accommodait de fortes attaches avec le passé et l'organisation sociale à essence tribale.
La grave crise vécue par l'empire romain au IIIème siècle a propulsé des dirigeants palmyriens au devant de la scène politique et a nourri en eux le rêve d'un destin mondial. A partir de l'année 235, l'empire romain s'est engagé dans un demi-siècle de troubles graves qui se sont manifestés surtout à travers l'insécurité sur les frontières européenne et asiatique, l'instabilité à la tête de l'Etat ainsi que la perturbation des activités économiques. La centralisation du pouvoir ne pouvait plus répondre aux besoins de la défense du territoire et les empereurs ont dû se faire à l'idée de déléguer une partie de leur autorité à des représentants régionaux.
A partir de 251, Odainath, sénateur romain originaire de Palmyre a constitué dans sa cité natale, avec le consentement du pouvoir central romain, « une principauté héréditaire et vassale ». Dix ans après, l'armée mobilisée par cette entité politique a réussi à remporter une victoire contre les Perses, ennemis séculaires de Rome, qui venaient de vaincre l'empereur romain Valérien et de l'emprisonner. Suite à cet exploit militaire, Odainath a étendu son pouvoir sur l'ensemble de la province romaine de Syrie et a entrepris une expédition qui le mena jusqu'aux rives de la Mer Noire. L'assassinat de ce ''prince'' de Palmyre, en 267, a ouvert la voie du pouvoir à son épouse Zénobie et à son fils Wahballat. La ''reine'' de Palmyre qui exerçait le vrai pouvoir a vite fait d'ajouter à ses possessions les provinces d'Arabie et d'Egypte. Passant en Anatolie, en 272, elle a caressé le rêve de marcher sur Rome. L'empereur Aurélien, pressentant le danger réel que représentait la Palmyrienne, se pressa d'aller à sa rencontre en Anatolie, la poursuivit jusqu'à Palmyre où il l'assiégea et la défit. Ainsi, prenait fin un grand rêve qui avait duré deux ans.
P. Veyne relativise l'épopée de Zénobie d'abord en rappelant que le pouvoir impérial tirait l'essentiel de sa légitimité de la puissance militaire plus appréciée que jamais pendant la grande crise du IIIème siècle. Par ailleurs, il fait remarquer que dans les années 244-249, Philippe l'Arabe a été empereur romain.
De profondes méditations qui interpellent
L'ouvrage de Paul Veyne est traversé par de réflexions profondes qui, tout en étant formulées brièvement, témoignent de la contribution de l'auteur à l'analyse de concepts essentiels pour la compréhension de la société de l'empire romain : la romanisation, la le patriotisme et le don civique que les spécialistes appellent l'évergétisme. Quelques lignes suffisent pour monter les ressorts du pouvoir romain : « L'Empire, écrit-il, c'était l'ordre social de cette époque. Dans tous les coins de sa domination, Rome grâce à ses légions, fournissait et assurait aux puissants et aux possédants de chaque lieu, le plus succulent des hydrocarbures, la conservation de leur pouvoir ; elle faisait d'eux des ''collaborateurs''. C'est ainsi que l'Empire romain a duré, et non pas par de bonnes lois ni parce que les Romains auraient eu un sens de l'organisation plus aigu que leurs voisins ; mais ils avaient la conviction qu'ils étaient nés pour commander à tout le monde ».
La comparaison avec le présent est l'un des recours de l'auteur pour faire comprendre le fonctionnement de la société antique. Voici comment il compare le comportement d'un citoyen de l'époque romaine avec un citoyen d'aujourd'hui : « Le citoyen antique n'était pas une figure abstraite, à la différence du citoyen moderne ; s'il était riche et puissant comme homme, il le restait comme citoyen. Il avait donc le droit d'offrir à sa cité l'huile pour le bain, de lui faire construire un théâtre… ».
Retenue, colère et hommage rendu aux savants
A aucun endroit de son livre, P. Veyne ne s'est livré à une critique des gouvernants ou des intellectuels arabes, ni des instances internationales en charge du Patrimoine universel. Il a préféré se cantonner dans son rôle d'historien qui dit en quoi Palmyre était une cité antique exceptionnelle. Il laisse le lecteur mesurer l'ampleur du drame vécu par Palmyre, en lui mettant sous les yeux des photos représentant des joyaux architecturaux détruits en 2015 à quelques semaines d'intervalle : le temple de Baalshamin (23 août), le temple de Bêl (30 août)…
Mais l'historien a, toutefois, tenté d'expliquer le comportement des fossoyeurs de Palmyre. Il décrit les islamistes destructeurs de Palmyre et d'autres sites archéologiques antiques du Moyen-Orient avant tout comme ayant « le sentiment d'être méconnus dans leur identité (alors qu'eux seuls ont la vraie religion, les vraies coutumes) et d'être peu à peu isolés dans le vaste monde ».
Comme tout grand savant, l'auteur sait combien il doit au savoir de ses pairs qui ont contribué, chacun à sa manière, à percer les mystères de Palmyre et du monde dans lequel elle évoluait. Le livre est dédié « À Khaled al-Assaad, archéologue, directeur général des Antiquités de Palmyre de 1963 à 2003, assassiné pour ''s'être intéressé aux idoles'' ». Sans être d'accord avec tous ceux qui se sont penchés sur l'histoire de Palmyre et de l'Orient ancien, il rend hommage à plusieurs d'entre eux pour ce qu'ils ont apporté aux études palmyriennes et pour les éclairages dont il a tiré profit. Aussi fait-il référence aux travaux d'Ernest Will, Henri Seyrig, Maurice Sartre, Andrew M. Smith II et Claude Lepelley, grand spécialiste de l'histoire de l'empire romain, décédé au mois de février 2015, qu'il qualifie de ''très regretté''.
Les Arabes daechiens ignorent sûrement qu'en détruisant et en vendant les vestiges antiques de Palmyre, ils détruisent une part de leur vraie identité dûment attestée par la documentation historique. Mais, a-t-on fait assez pour le leur enseigner ? Certainement pas. L'appropriation de l'histoire ancienne dans les pays arabes est un chantier qu'il faut ouvrir sans retard.
Houcine Jaïdi


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