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Changement climatique: Traiter la cause du désastre plutôt que ses symptômes
Publié dans Leaders le 06 - 09 - 2022

Pr Samir Allal - Université de Versailles /Paris-Saclay. Le manque de consensus scientifique, l'inertie des populations ou le coût des mesures à mettre en œuvre pour lutter contre la dégradation de l'environnement ont longtemps été invoqués par les pouvoirs publics pour excuser leur absence de résultats en matière de lutte contre le changement climatique et de protection de l'environnement. Les effets ravageurs de la course aux profits dont nos gouvernants se sont fait les otages complaisants ont déjà été amplement dénoncés dans plusieurs de nos articles sur ce site et ailleurs.
D'évidence, chaque reculade environnementale est liée aux exigences d'un lobby et aux flatteries de telle ou telle industrie. Le court-termisme n'est cependant pas seul en cause: on découvre que la plupart des multinationales connaissent mieux et depuis bien plus longtemps que nous les effets mortifères et le coût exorbitant de leurs activités. Or, ni le capital ni le pouvoir ne sont suicidaires. Ils ne veulent qu'une chose: se reproduire, à l'infini, pour l'éternité.
Ceux qui s'emploient à aggraver la crise climatique en connaissance de cause nous obligent à faire l'hypothèse qu'ils ne le font pas en dépit de l'effondrement qu'ils risquent de provoquer, mais en vue de le causer. Il faut qu'ils trouvent leur intérêt dans le désastre lui-même. Il faut que le projet politique qu'ils poursuivent soit celui d'une terre - littéralement - brûlée.
L'écologie politique se fourvoie pour lutter contre le changement climatique
Le discours écologique dominant croit que le dérèglement climatique n'est qu'une conséquence du capitalisme alors qu'il est précisément le moyen qu'il a trouvé de se perpétuer, L'écologie politique s'épuise à vouloir changer un système qui s'est déjà organisé pour résister au changement. Pire, elle laisse parfois penser que le capitalisme va disparaître tout seul, au terme de l'épuisement de ses réserves de pétrole, de sorte qu'il n'y aurait même pas besoin de se battre pour le faire tomber et que ses forces seraient mieux employées à préparer le coup d'après, la transition vers une société «post-croissance».
Or non seulement le peakoil n'arrive pas, et peut-être n'arrivera-t-il pas de sitôt', mais pendant ce temps-là, le capitalisme s'organise pour que ce soit l'écologie qui meurt avant lui. Certes, le capitalisme doit être «dépassé».Sans aucun doute, il y a du bon sens à dire qu'on doit traiter la cause du désastre plutôt que ses symptômes, et tous les efforts en ce sens sont bienvenus.
Il est clair que le monde qui vient- si nous parvenons à le sauver - ne pourra pas être le même que celui d'hier. Quand la moitié de l'humanité en est arrivée à penser que son bien-être passe par la destruction de tout ce qui vit sur cette planète, c'est que le modèle économique et politique qui l'a acculé à ce niveau de désespoir doit être aboli. Mais il n'est pas possible de renverser le capitalisme sans s'attaquer d'abord à la crise écologique elle-même, qui en est le front avancé. Nous avons besoin aujourd'hui «d'une classe écologique» (Bruno Latour) capable de comprendre que le capitalisme ne peut être vaincu qu'à la condition de vaincre sa métastase «carbofasciste». Nous sommes en guerre, et non en crise.
L'écologie est «structurellement rousseauiste». Elle est fondée sur l'idée que la nature est bonne et par conséquent que la nature humaine l'est également si bien qu'il lui est extrêmement difficile de penser qu'elle a à se battre contre quiconque. Bien sûr, elle a identifié depuis belle lurette les tendances impériales, coloniales et extractivistes du capitalisme. Elle ne se fait aucune illusion sur les intentions des chimiquiers, pétroliers et autres pollueurs industriels, ni sur les lobbies qui achètent de l'influence pour eux dans les milieux politiques.
Mais quelque chose en elle ne peut l'empêcher de penser que tout ce monde ne fait le mal qu'involontairement - la réticence de certains environnementalistes à envisager la possibilité de la malveillance pure des gouvernants en est témoin par défaut d'éducation, d'information, ou par paresse peut-être même, si bien qu'ils espèrent toujours que les brebis égarées rentreront au bercail s'ils parviennent à les (ré)éduquer, à sensibiliser l'opinion ou à peser sur les pouvoirs publics.
Il est vrai, que dans de nombreux cas, cette approche a été couronnée de succès: la lutte contre le trou dans la couche d'ozone a pris ce chemin ; de nombreux lanceurs d'alerte ont été à l'origine de poursuites contre des pollueurs. Mais ces victoires ne sont pas transposables à la lutte contre le changement climatique. Les effluents toxiques font facilement l'unanimité contre eux: ils sont identifiables, localisés et tuent potentiellement tous ceux qui y sont exposés.
La crise climatique est d'un genre différent: elle est presque invisible, elle est généralisée et surtout elle tue lentement et sélectivement. Elle engage la Terre tout entière, avec ses divisions de classe, de race, de genre, ses guerres de position et ses divergences d'intérêt. Elle compte avec des gens qui désirent cette crise parce qu'ils savent précisément quels seront ses effets et qu'aucun discours «évangélisateur» ne permettra jamais de convaincre du contraire. Nulle distinction sociale, nulle inégalité ne venait déranger l'image d'une humanité unie dans une «diversité» qui était en fait neutralisée par l'exotisme néocolonial du regard. Roland Barthes
L'erreur fondamentale de l'écologisme dominant est de cet ordre : celui d'être une écologie sans histoire. Nous parlons de «la planète » comme si elle n'était pas traversée par des contradictions. Nous sommes piégés par la bonne intention de notre globalisme. Razmig Keucheyan l'a bien dit dans son livre éponyme: «La nature est un champ de bataille?» L'écologie ne peut triompher que si elle est prête à livrer combat. «On ne peut pas réformer le fascisme ou lui donner son congé. On ne peut que le renverser».
Malheureuse sobriété: l'écologie n'est pas un enjeu démocratique parmi d'autres
La première chose que le mouvement social et écologiste doit faire est de rompre avec l'idée que la crise écologique touche indifféremment tout le monde. Elle a l'effet inverse, celui de permettre à ceux qui sont objectivement moins concernés de s'en laver les mains. Elle doit nommer ses vraies victimes: les jeunes, plutôt que les retraités - ils en payeront évidemment le tribut le plus lourd, et d'ailleurs ils le savent; les pauvres plutôt que les riches; les habitants des pays en développement plutôt que ceux des pays prospères; etc.
Cette antagonisation de la société doit aboutir à ce que les privilégiés soient contraints de se solidariser avec leurs victimes - ou qu'ils acceptent de payer publiquement le prix de leur immoralité. Elle doit aussi avoir pour effet d'en finir avec la recommandation paternaliste selon laquelle il suffirait aux futures victimes de la crise écologique d'adopter un «mode de vie plus sain» pour la résoudre. Faite par des gens qui peuvent se permettre de réduire leurs dépenses parce qu'ils se sont gavés pendant cinquante ans sans avoir à en payer les conséquences, elle n'est pas seulement d'un cynisme sans fond, elle est un mensonge de plus.
De la «sobriété heureuse» à la suspension des échanges mondialisés de marchandises (au profit de la production en «terre nationale»), à la limitation des mouvements de personnes (pour ne rien dire de la variante éco fasciste consistant tout bonnement à tuer ou à stériliser les indésirables), en passant par la mise au pas de l'innovation, non seulement cette propagande douteuse qui n'en a que pour une humanité «purifiée» de ses tares n'a aucune ambition réelle de lutter contre la crise écologique, mais elle vise à décourager ceux qui le font en leur faisant porter la responsabilité morale de leur malheur.
Dire que nous sommes nous-mêmes touchés par le changement climatique parce que nous avons un mode de vie à risque, fait d'une croissance à très haute vitesse, inédite dans l'histoire de l'évolution des espèces, pas parce que nous avons un mode de vie immoral, doit permettre à l'écologie de sortir du piège que lui tend le «carbofascisme». Sans doute, la surconsommation est condamnable, mais la consommation - qu'il faut distinguer de la croissance - est inévitable.
Toute vie est consommation, toute vie est combustion d'énergie, toute vie est coupable entendue en ce sens, même une vie végane, et a fortiori sept milliards de vies qui ne le sont pas et ne le seront peut-être jamais, quand des milliards d'humains sortent tout juste de la très grande pauvreté et n'aspirent qu'à manger de la viande tous les jours et à posséder une voiture. Il n'y a pas deux humanités qui se font face sur ce point, l'une innocente et l'autre malfaisante, de même qu'il n'y a pas deux écologies, l'«écologie radicale» et l'«écologie de marché». Il n'ya qu'une humanité et qu'une écologie dont le but doit être de trouver le moyen de vivre une existence qui traite les externalités négatives qu'elle produit.
Quand bien même cela serait possible de consommer, cela ne changerait rien à la situation, au point où nous sommes arrivés. L'inertie des stocks accumulés, ajoutée au fait que le «carbofascisme» s'arrange pour augmenter les émissions de carbone plutôt que de les diminuer, font que nous n'en sommes plus à devoir seulement réduire notre empreinte carbone. Nous n'avons pas d'autre option à notre disposition que de dépolluer davantage et plus vite que le «carbofascisme» ne pollue pour gagner la course de vitesse contre le désastre qu'il nous impose.
Ce n'est pas la consommation, ce sont nos gouvernants et eux seuls qui se sont rendus coupables de la situation en ne prenant aucune mesure pour gérer les externalités négatives de la consommation, quand ils n'ont pas tout fait pour que les mesures qu'il aurait été possible de prendre soient sabotées. Une taxe carbone ne doit pas porter sur l'essence des automobilistes uniquement, mais sur tous les biens de consommation. Elle doit venir signaler le vrai prix de n'importe quel produit quand on y ajoute le coût de ses externalités négatives.
Surtout, elle doit encourager ceux qui font déjà des efforts et pénaliser ceux qui n'en font pas, faute de quoi elle fait que stigmatiser les plus pauvres et brise le front unique dont nous avons besoin pour lutter contre le dérèglement climatique. Il faut que les fruits de cette taxe soient redistribués, comme l'économiste James Boyce l'a suggéré en parlant de «dividende carbone».
Sur le fond, le «dividende carbone» repose sur l'idée que rejeter du carbone dans l'atmosphère est équivalent au fait de se servir d'un bien commun - l'atmosphère - et qu'il est donc normal que la collectivité bénéficie en retour des dividendes que lui rapporte ce bien commun. Le principe du «dividende carbone» est de faire payer une taxe carbone à tout le monde au prorata de son usage de ce bien commun c'est-à-dire de sa consommation de produits carbonés, et à reverser les sommes ainsi perçues sous la forme d'un forfait.
Recevant moins de ce dividende forfaitaire que ce qu'ils ont payé en surtaxe sur les produits carbonés qui usent l'atmosphère, les riches se retrouvent débiteurs du climat, ce qui les incite à moins consommer, quand les plus fragiles se retrouvent créditeurs du climat, puisque la somme qu'ils reçoivent de l'Etat est plus importante que ce qu'ils ont dépensé, ce qui les incite aussi à moins consommer. La formation du front unique enclenche ainsi un cercle vertueux
Nous avons opposé aux crises économiques récentes des solutions de court-terme - programmes d'austérité, baisses des taux, injections massives de liquidités dans les banques -, qui ont contribué à faire croître encore plus les inégalités et à rendre encore plus dangereuses les crises à venir, au lieu d'investir massivement dans la recherche, l'éducation, les soins et les infrastructures durables.
La mobilisation qui oblige à mettre temporairement de côté le projet de rompre avec le capitalisme est cela même qui permet de donner une réalité à cette rupture. En nous imposant d'inventer une taxe sur les externalités négatives, en nous obligeant à apprendre à maîtriser le cycle du carbone, en nous réapprenant à coproduire notre société avec la nature, en remplaçant le concept de croissance par celui d'efficience énergétique et en nous réconciliant de manière générale avec notre place et notre rôle dans l'Univers, le point de rupture auquel le «carbofascisme» nous accule se trouve être aussi le point de bascule qui rend la bifurcation possible.
Pour paraphraser le philosophe de la nature Pierre Charbonnier, nous comprenons que l'écologie «n'est pas un enjeu démocratique parmi d'autres», mais que la démocratie elle- même procède «de l'exigence écologique'».Il y aurait encore beaucoup d'autres choses à faire et à dire pour triompher évidemment. Qu'il suffise pour l'heure de savoir que nous n'avons pas seulement la justice de notre côté, nous avons aussi la raison et l'histoire. Ne manque plus que la volonté. Le monde est à nous !
Pr Samir Allal
Université de Versailles /Paris-Saclay


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