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Samir Allal: Ecologiser la démocratie pour endiguer la crise climatique, et écologique
Publié dans Leaders le 15 - 04 - 2023

Par Professeur Samir Allal. Université de Versailles Paris-Saclay
La crise actuelle illustre à la fois les problèmes les plus aigus de notre société et du monde
Nous vivons une polycrise de nature planétaire : crise de la biosphère, crise de la mondialisation, crise des civilisations, crise de la démocratie. (Edgar Morin 2023), avec des perturbations financières et une inflation qui pourraient se généraliser en crise de l'économie mondiale.
Le modèle économique mondiale est en train de basculer. Des fissures apparaissent partout et l'espoir d'un modèle alternatif contraint et forcé pour toute l'humanité est encore possible mais pas certain. L'épuisement des ressources naturelles et celui des biens communs que constituent l'eau et l'énergie, notamment, sont au cœur des conflits armés qui vont en s'amplifiant.
La guerre en Europe bouscule la géopolitique mondiale, met en péril la sécurité collective et alimentent la course aux armements. Elle aggrave aussi la crise écologique. À cette situation inédite s'ajoutent des mouvements de fond, notamment la recomposition des relations internationales avec la montée en puissance de la Chine et de toute l'Asie, et les promesses de l'Afrique.
Le dérèglement climatique met en péril le vivant et la nature, en raison d'un mode de production assis sur les énergies carbonées dans le cadre d'une course au profit insensée de quelques multinationales. Les autorités publiques, sont souvent, coupables de complaisance à l'égard de ces entreprises.
Une tragédie mondiale se profile par le déchaînement incontrôlé du profit. À l'assaut de la planète, les entreprises produisent et distribuent les combustibles fossiles et exploitent intensément les organismes vivants. Ils parasitent les Etats, contrôlent les politiques par leurs lobbies et les médias (et l'opinion) par leurs influenceurs. Le capitalisme financier mondialisé provoque des bouleversements sans précédent précipitant l'humanité vers l'abime.
Ce constat est peu ou prou confusément perçue par le citoyen. Les paradis fiscaux n'ont jamais été aussi florissants et les compagnies transnationales en viennent à être parfois plus puissantes que les Etats, alors que la main-œuvre, aliéné et en souffrance, est de moins en moins rémunéré.
L'économie nous a domestiqué plus qu'elle nous a affranchis du besoin. Le calcul et les spécialisations closes ont occulté les complexités accrues de notre temps. Dans une économie linéaire « extraire-produire-jeter », vendre plus, c'est extraire plus, jeter plus et polluer plus. Fondamentalement, ce modèle volumique condamne l'entreprise et sa croissance, aussi verte soit-elle. Croissance verte, croissance circulaire, croissance inclusive, croissance bleue ; cinquante nuances de croissance mais croissance toujours.
On continue à vivre le présent au jour le jour et à programmer pour un futur inconnu. L'emprise de cette matrice croissantiste sur notre imaginaire collectif est telle qu'au lieu de considérer les conséquences de notre modèle économique sur la planète, nous nous inquiétons des impacts du réchauffement climatique sur le PIB. Timothée Parrique (Ed Seuil 2022).
Faut-il se résigner à limiter seulement les dégâts: ralentir ou périr, une gigantesque crise de civilisation ignorée
Le décalage est grand entre, d'une part, les discours politiques unanimes sur la gravité des crises (sociales, économiques, écologiques), l'urgence à agir et, d'autre part, l'inertie des gouvernants pour anticiper la raréfaction des matières premières, lutter contre le dérèglement climatique, la disparition de certaines espèces, réduire les inégalités. Les progrès de nos connaissances masquent la régression de la connaissance.
L'humanité en paie le prix fort. Les inégalités minent le monde. La confiscation des richesses paupérise les peuples, qui subissent régression sociale, démocratique et destruction de l'environnement.
Depuis 1995, le 1 % le plus fortuné s'est approprié près de 20 fois plus de richesses que les 50 % les plus pauvres. Les 10 % les plus riches de la planète détiennent plus de 60 % du patrimoine mondial.
Les plus vulnérables sont contraints de fuir l'insécurité alimentaire, la sècheresse, les tempêtes, les cyclones à répétitions et la montée des eaux. D'ici 2050, se sont ainsi 250 millions d'humains qui devront migrer pour trouver une vie meilleure.
Le système économique est à la veille du plus grand bouleversement jamais vu et le système social va s'en trouver chamboulé. Les références du pouvoir, de la propriété, des idéaux sont en train d'être modifiés dans le subconscient des êtres humains. L'ouragan du changement ne fait que commencer.
Nous entrons dans une période, d'incertitude radicale qui suscite tant d'interrogations que inquiétudes. Pour atteindre la neutralité carbone, il nous faut vite changer de paradigme, sortir de l'économie carboné, privilégier la coopération à la concurrence, l'équilibre à la croissance et la résilience territoriale à la mondialisation.
Nous devons organiser la décroissance de certaines activités, planifier la transformation des secteurs essentiels, organiser notre résilience et surtout protéger les plus vulnérables.
La communauté humaine n'a d'autre choix que de s'inventer un autre mode de fonctionnement, en rupture du tout au tout avec l'ancien, pour répondre à un double défi, le dérèglement climatique et l'explosion démographique. Comprendre en quoi le modèle économique de la croissance est une impasse (le rejet), dessiner les contours d'une économie de la post-croissance (le projet), et concevoir la décroissance comme transition pour y parvenir (le trajet).
Nous savons ce qu'il faut ralentir, et il va maintenant falloir imaginer comment planifier intelligemment cette transition pour qu'elle se fasse, de façon démocratique, dans le souci de la justice sociale et du bien-être.
Répondre au défi climatique ne peut pas se faire par des politiques d'adaptation «néo-libérale»: les démocraties ne peuvent plus occultée la finitude des ressources et les effets sociaux et environnementaux néfastes de la crise écologique
L'enjeu du dépassement du modèle néo-libérale est posé : partage des pouvoirs, des savoirs, des richesses, lutte contre les inégalités et libération du travail. Ce défi est d'autant plus important qu'il est impossible de savoir exactement quand se produiront les irréversibilités écologiques, comme le pic pétrolier ou l'effondrement des écosystèmes.
La pensée « néo-libérale » minimise le fait que la gestion politique de la crise écologique heurte forcément les intérêts d'acteurs (par exemple ceux des acteurs économiques), à minima sur le court terme. Les démocraties ne peuvent plus reposer sur un idéal de croissance illimitée et d'abondance.
Les experts « néo-libéraux » occultent aussi le fait qu'au-delà du constat communément partagé de la crise, les choix qui seront faits en vue de sa résolution résulteront de conceptions idéologiques différentes du système économique, de la science et de la technique, du rapport à la nature, etc.
L'économie de marché ne suffit pas à prendre en charge tous les désordres (dont elle est la cause) et la croissance verte promise n'est pas la solution aux problèmes que l'économie a produite.
Accepter les politiques néolibérales qui confèrent la priorité à nos décisions d'agents économiques par rapport à nos décisions civiques va de pair avec l'erreur qui consiste à occulter les biens communs et à accorder une protection fondamentale à la propriété privée et à toutes les libertés économiques supposées y être contenues.
C'est ce que Pierre Crétois désigne par l'« incomplétude » de l'économie qui nécessite un cadre extérieur pour se développer d'une façon satisfaisante sur le plan collectif et de long terme.
Pour Pierre Crétois, il s'agit de savoir comment les institutions démocratiques peuvent agir à la fois pour endiguer les crises écologiques et protéger les citoyens des conséquences néfastes de celles-ci sur leur santé, leur qualité de vie, l'accès à l'énergie, à une alimentation saine et équilibrée, et quels sont les limites et les obstacles à leur mise en œuvre ?
« Ecologiser la démocratie », « fonder de nouveaux rapports humains et sociaux avec la nature et le vivant », est la meilleure façon d'affronter les défis inédits du XXIe siècle et de repousser simultanément toutes les crises. La responsabilité de nos sociétés dans la crise écologique et les menaces que celle-ci fait peser sur notre destin incitent à ré-encastrer les sociétés dans leur environnement naturel.
La liberté ne peut plus être associée à une liberté infinie de consommer, dans la mesure où les contraintes écologiques - accès limité aux ressources pétrolières, émissions de gaz à effet de serre - ne le permettent plus.
Autrement dit, les notions de liberté, d'égalité et de solidarité sont redéfinies du fait que les démocraties ne peuvent plus reposer sur un idéal de croissance illimitée et d'abondance qui occulte la finitude des ressources naturelles et les effets sociaux et environnementaux néfastes de la crise écologique.
Des philosophes et politistes réfléchissent ainsi à la façon dont les démocraties peuvent affronter ces défis inédits posés par la crise écologique en suggérant un certain nombre de réformes.
Michel Serres (1992) propose de modifier le contrat social en faveur d'un contrat naturel, qui reconnait la nature comme un sujet de droit afin de garantir la prise en compte de notre dépendance son égard.
Une « démocratie écologique » est un système démocratique qui intègre la finitude écologique au contrat social. Cela peut conduire, par exemple, à l'élargissement de la citoyenneté sociale à une citoyenneté écologique qui modifie les droits et les devoirs des citoyens en fonction des contraintes écologiques.
Elle peut aussi impliquer la réforme des instances décisionnaires, pour garantir des décisions politiques sans effet négatif sur le climat et la biodiversité, ou une modification des textes constitutionnels qui changerait les principes fondateurs et les objectifs des démocraties pour contraindre les gouvernants à endiguer la crise climatique, énergétique et écologique.
Les limites de la démocratie écologique réformatrice et libérale: intégrer les connaissances scientifiques aux instances décisionnaires
Dénoncer les mythologies libérales de la « croissance verte et du découplage », écologiser la démocratie, c'est prendre le mal à la racine en s'attaquant frontalement aux inégalités, à l'hyper-concentration des richesses, qui sont les moteurs de la hausse continue des émissions de gaz à effet de serre et de la perte de biodiversité.
Faire de la justice climatique une authentique lutte sociale, fédérant les nouveaux damnés de la terre. Soustraire la définition de nos modes de production et de consommation aux forces du marché, pour les soumettre à la délibération démocratique.
Développer massivement les services collectifs essentiels, pour mettre fin à l'insécurité de l'existence et réparer la planète. Bref, faire que la vie large ne soit plus le privilège de quelques-uns, mais la réalité de tous. Paul Magnette (2022).
Pourquoi la cause climatique n'est-elle pas embrassée par les classes populaires, alors qu'elles sont infiniment moins responsables et infiniment plus victimes des dégradations environnementales que les catégories aisées ? Parce que la question est mal posée.
Face aux partisans du capitalisme vert, qui nous promettent que nous pourrons continuer à jouir sans entraves, grâce aux technologies et au marché, les progressistes et les défenseurs de la transition juste semblent désarmés.
Mieux utiliser les connaissances scientifiques concernant les évolutions du climat, de la biodiversité, de la raréfaction des matières premières, pour prendre des décisions politiques éclairées et impulser les ruptures radicales nécessaires pour notre temps.
Le risque est de tendre vers des représentations idéalisées de l'expertise, présentée comme impartiale et au service de l'intérêt général. Les structures au sein desquelles les experts s'impliquent (associations, ONG, bureaux d'études) sont des acteurs de la vie politique comme les autres. Ces structures sont souvent dépendantes des gouvernants pour l'obtention de financements.
Ainsi, les décisions des experts resteraient liées à des intérêts partisans. Il est bien difficile de distinguer ce qui relève de l'analyse scientifique et de la proposition politique dans la gestion de la crise écologique. Par exemple, décider de limiter l'accès à l'énergie relève-t-il du simple constat de la raréfaction des ressources ou d'un choix politique ?
Il ne s'agit pas de jeter le discrédit sur la communauté scientifique mais plutôt de lutter contre une « expertocratie » qu'accorderait trop d'importance aux décisions des experts par rapport à celles des représentants du peuple démocratiquement élus et des citoyens.
Si on ne s'attache pas à élargir les processus décisionnaires à l'ensemble des citoyens et à réenchanter la politique, il y a tout lieu de penser que ceux-ci ne sauront se reconnaître dans l'écologisation de la démocratie portée par des élites expertes.
En outre, la démocratie actuelle, par les textes constitutionnels, le fonctionnement des institutions et les trajectoires sociales des élites politiques et technocrates, s'accommode généralement des économies capitalistes inégalitaires et d'une pensée libérale qui entretiennent les crises écologiques.
La plupart des réformes proposées par ces experts ne prennent pas le problème « à la racine » et ne peuvent alors y remédier. Leurs propositions participent à désidéologiser la démocratie écologique, souvent au nom d'un consensus pourtant inatteignable.
Les sociétés sont limitées dans leurs choix face à la finitude et l'urgence écologiques auxquelles elles sont confrontées. Bruno Villalba propose la notion de « contraction démocratique » pour désigner cette réduction des choix politiques et valorise une conception substantielle de la démocratie.
Une réforme des institutions démocratiques et des procédures de décision n'est pas suffisante pour agir à la hauteur des défis posés par la crise écologique. Il faut repenser en profondeur le contrat social pour sortir de la logique de croissance capitaliste destructrice et inégalitaire.
La sobriété, le rationnement et la planification écologique doivent être au cœur d'une démocratie - pourquoi pas dans une Constitution - solidement inscrite dans la finitude écologique.
L'intégration de ces principes écologiques permettrait également de dépasser les enjeux partisans pour asseoir une définition de l'intérêt général encastrée dans la finitude. Enfin, la constitutionnalisation de ces principes garantirait des procédures pleinement démocratiques pour les mettre en œuvre.
Les citoyens sont en mesure de s'impliquer dans les affaires publiques et de faire des propositions ambitieuses pour répondre aux défis écologiques. Une démocratie écologisée, décentralisée et locale peut permettre un réinvestissement par l'ensemble des citoyens des affaires politiques.
Repenser en profondeur le contrat social pour sortir d'une logique de croissance destructrice et inégalitaire en réduisant à la fois l'endettement et l'empreinte climatique
L'humanité est entrée en révolution. Pour la première fois de toute son histoire, l'humanité doit se réinventer en urgence. Le changement climatique, permet d'espérer, une nouvelle manière de vivre, une nouvelle manière de travailler, de consommer, d'aimer, de se cultiver.
Nous sommes dans « une période où s'accroît de façon inouïe la puissance humaine, en même temps que, de façon non moins inouïe, l'impuissance humaine. » écrivait Edgar Morin dans le Monde le 7 juillet 2021.
Le changement climatique est entrain de provoquer la plus grande rupture de tous les temps. Dans un monde où on assiste à une passation de pouvoir annoncée entre les deux pays les plus puissants, et une dette devenue folle.
La situation mondiale ne tient aujourd'hui que par la force du dollar, lui-même légitimé par la puissance économique, militaire et politique des Etats-Unis, qui restent le premier refuge des capitaux du monde. Or ce pays (gros polluer) est aujourd'hui menacé par une très grave crise budgétaire, financière, climatique et politique.
La dette publique américaine a atteint 120% du PIB et sa dette privée n'est pas dans un meilleur état : 16 900 milliards de dollars soit 2 750 milliards de plus qu'avant la crise du Covid-19 ; soit 58 000 dollars par adulte américain ; ou encore 89% du revenu disponible des ménages américains.
La croissance actuelle ne suffira pas à avaler cette dette, comme ce fut le cas en 1950. Le rapport du FMI, pour son Assemblée annuelle de cette semaine, est sur ce point lucide, même s'il est incroyablement discret sur les risques financiers systémiques qui rongent l'économie de son principal actionnaire, américain.
A cela s'ajoute un climat, où plus personne n'exclut une crise constitutionnelle, pouvant même conduire, selon certains, à la sécession de certains Etats. Le reste du monde souffrirait terriblement d'une telle crise ; l'Afrique en premier lieu, mais aussi l'Europe, elle-même terriblement endettée, plongerait dans une récession, perdant des marchés d'exportation sans que sa demande intérieure ne puisse prendre le relais. De même pour la Chine.
Comment l'éviter ? Une réorientation radicale de l'économie mondiale vers un mode de développement nouveau, avec un tout autre rapport à la propriété des biens de consommation, réduisant à la fois l'endettement et l'empreinte climatique. Décarboner l'économie mondiale nécessite un effort d'investissement technologique gigantesque, dont le Covid a permis de prendre la mesure.
Un investissement planétaire et simultané, devra forcément s'appuyer sur le système financier. S'il est miné de l'intérieur, il pourrait devenir le premier obstacle sur lequel se fracasserait la phase cruciale de la transition écologique.
Naturellement, rien n'est préparé pour mettre en œuvre un tel investissement. Les pays les plus riches continuent de subventionner leurs énergies fossiles de manière importante malgré leurs engagements internationaux. Aux total, les subventions aux énergies fossiles ont doublé en 2022 par rapport à l'année précédente et ont atteint le record de tous les temps 1000 milliards de dollars selon AIE.
Des prix subventionnés ne sont pas le meilleur moyen de conduire à la transition vers des énergies propres. Ils détournent l'attention et l'argent des pouvoirs publics et poussent dans certains cas à revenir à des usages plus polluants.
Depuis plusieurs années, les banques centrales mènent des politiques dites « non conventionnelles » de taux négatifs et d'interventions tous azimuts pour tenter d'étouffer dans l'œuf les crises financières qui menacent. Les banques et les assureurs en font-ils assez pour lutter contre le dérèglement climatique et s'y adapter ?
Il est permis d'en douter : les résultats du premier « stress test climat » réalisé par la Banque centrale européenne (BCE) en 2021 ont montré que trois banques sur quatre n'étaient pas prêtes à faire face aux changements climatiques.
Compte tenu de l'urgence climatique à laquelle nous faisons face, des événements extrêmes de plus en plus fréquents, et de la nécessité pour de réduire notre dépendance aux énergies fossiles, il est donc nécessaire d'aller plus loin et de mettre en place de nouveaux cadre juridiques plus contraignants.
Avec ces nouvelles mesures, les banques et les assureurs seront ainsi fortement incités à accélérer le financement de la transition vers une économie neutre en carbone et vers les technologies innovantes et zéro carbone dont nous avons tant besoin, y compris pour assurer notre souveraineté énergétique.
La communauté internationale est entrée dans une période de grandes turbulences, avec un changement de puissance dominante politique, économique, morale. En l'occurrence, le déclin des Etats-Unis et la montée inexorable de la Chine.
Autant dire que les repères anciens sont tous en train de disparaître. Au moment de lancer le changement de cap le plus radical, le navire tangue. Nous n'avons pas encore assez de recul, mais nous devons parvenir à comprendre, parvenir à nous retrouver dans cet océan en tempête : tenter de fixer le mouvement de bascule qui a commencé partout et dont on ne sait où il finira.
Ecologiser la démocratie pour endiguer la crise climatique, et écologique. Il n'y aura pas d'autre issue : le modèle va changer. Cela tombe bien : il devait changer, et vite ! Mais au profit de tous les humains.
Professeur Samir Allal
Université de Versailles Paris-Saclay


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