Par Nour Ben Romdhane - La sculpture sur pierre de style baroque français, qui apparaît sur l'image ci-dessous, a été réalisée en 1701 par le sculpteur portugais Claude Laprade (1682-1738). Elle représente deux femmes assises incarnant l'une la justice, l'autre la forteresse; comme piliers, figurent deux Atlantes faisant référence à la force, responsabilité et effort; et au sommet, un astrolabe -référence à la connaissance- entouré de deux anges. Au centre figure le buste du roi D. José I surnommé le Réformateur, réalisé ultérieurement par un autre sculpteur. Cette œuvre impressionnante se trouve dans l'Université de Coïmbra. Fondée en 1290 par le roi D. Dinis, l'U.C est la troisième plus ancienne université d'Europe et l'une des plus anciennes du monde. Maintes fois transférée entre Lisbonne et Coïmbra, c'est finalement à Coïmbra, ville universitaire par excellence, que s'installera définitivement l'U.C en 1537 par décret du roi D. João III. En Juin 2013, elle est classée au patrimoine mondial de l'UNESCO. Plus qu'une université, l'U.C est un témoin de l'histoire du Portugal et gardien de son héritage. C'est vers la fin du Xème siècle, à l'époque du calife omeyyade Abu Amir Ibn Abdallah Ibn Abu Amir, surnommé Al-Mansor, que fut édifiée l'Alcáçova 'la forteresse'; elle servira de résidence au gouverneur de la ville pendant la domination musulmane. En 1131 elle devient la résidence du premier roi du Portugal, D. Afonso Henriques. La porte principale qui donne accès à l'université s'appelle Porta Férrea, elle a la forme d'un arc de triomphe à double face décoré de figures allégoriques représentant les quatre matières initialement enseignées à l'U.C, la théologie, la médecine, le droit et les lois canoniques. Passé la Porta Férrea on retrouve la Praça das Escolas -la cour principale- à droite de laquelle se trouve le portique central décorée de la sculpture de Claude Laprade et la Tour de l'université surnommée a cabra -la chèvre- au style baroque munie d'une horloge, conçue en 1728 par l'italien Antonio Cannevori. A gauche de la Praça est érigée la statue du roi D. João III, réalisation de Francisco Franco dévoilée en 1948, donnant son dos à la vue panoramique qui surplombe la ville de Coïmbra traversée par le fleuve Mondego. Cette statue, dédiée à qui revient le mérite d'avoir restitué l'université à Coïmbra, s'inscrit dans le courant nationaliste de l'Estado Novo, période durant laquelle furent érigés de nombreux monuments commémorant l'histoire du Portugal. Qui dit Estado Novo, dit Salazar qui fut un ancien de l'U.C. Parmi la longue liste des anciens étudiants de l'U.C devenus célèbres, on retrouve également, le plus grand poète portugais de la Renaissance -qui fut également soldat- Luis Vaz de Camões, le plus charismatique premier ministre, Marques de Pombal, à qui revient le mérite d'avoir, entre autres réalisations notoires, reconstruit la ville de Lisbonne après le séisme, incendies et tsunami terribles qui frappèrent la capitale en 1755, le grand romancier Eça de Queiros (XIXème s.), le premier président du gouvernement provisoire du Portugal qui a suivit la chute de la monarchie en 1910, Teofilio Braga, le premier président élu, Manuel de Arriaga (1911) ou encore le diplomate et politicien Aristides de Sousa Mendes qui réussi à sauver la vie à 30 000 réfugiés qui ont fui le régime nazi lors de la seconde guerre mondiale. La bibliothèque de l'U.C, la Joanina -surnommée après le roi D. João V un féru d'art et de littérature qui a donné des idées pour sa conception- est un véritable symbole de la grandeur et gloire de l'empire portugais. La 'maison dorée', dont la construction se termina en 1728 après douze ans de travaux, comporte plus de 60 000 ouvrages datant entre le XVème et le XVIIIème siècle traitant de science, d'histoire, de théologie ou encore de littérature. Certains constituent même des premières éditions tels que le plus célèbre poème épique du grand poète portugais Luis de Camões intitulé Os Luisiades publié en 1572, la bible hébraïque d'Abravanel dont il existe uniquement vingt exemplaires dans le monde ou encore un atlas d'anatomie Fábrica do corpo humano du belge Andreas Vesalius paru en 1543. La Joanina demeure une bibliothèque vivante puisque la plupart des ouvrages peuvent encore être empruntés par les étudiants et chercheurs. Les étagères abritant ces inestimables trésors s'étalent sur trois pièces communicantes. Elles sont en bois de chêne recouvert de feuilles d'or et décoré de motifs chinois ; des portes affleurantes permettent l'accès à la mezzanine qui comporte d'élégantes échelles coulissantes en bois. Le plafond de la Joanine est décoré de jolies fresques représentant le partage du savoir et les cinq continents. Six longues tables d'étude, fabriquées à partir de différentes sortes de bois tropicaux et garnies d'un plateau à encrier en argent à l'éclat reluisant, sont réparties sur les différentes pièces. A l'heure de la fermeture des portes, ces tables et encriers sont recouverts de peaux d'animaux pour les protéger des excréments des chauves-souris, véritables gardiens des lieux qui contribuent à la bonne maintenance des ouvrages en se nourrissant des différents insectes nuisibles au papier. La chapelle de Saint-Michel, surnommée après l'archange du roi Afonso Henriques, est une autre attraction touristique de l'université. L'édifice en question date du XIIème siècle mais a subi certaines rénovations au cours des XVIIème et XVIIIème siècles. Les murs de la chapelle sont recouverts du fameux Azulejo de couleur bleue avec motifs. Le maître-autel, décoré de cinq peintures représentant cinq moments de la vie du Christ, cache, en son centre, une sixième peinture qui n'est révélée qu'occasionnellement au public, il s'agit de La descente du saint esprit sur les apôtres, peinte par le portugais Gonçalves Neves. Deux autels latéraux en marbre blanc, rose et vert sont dédiés à Notre-Dame de la Lumière, patronne de la communauté universitaire, et à Notre-Dame de la Conception. La chapelle contient également un énorme orgue ibérique à 2000 tubes datant du XVIIIème siècle, il est décoré de chinoiseries qui révoquent celles de la Joanine. Pour parvenir à la ville de Coïmbra, située au centre-ouest du Portugal, il est possible d'emprunter les bus de la Rede Expressos qui partent de la gare Sete Rios de Lisbonne. Le trajet dure à peu près 2h15 minutes, l'occasion de contempler, tout en rêvassant, les immenses champs verdoyants de la campagne portugaise. Arrivé à la gare centrale de Coïmbra et sortant sur l'Avenue Fernão de Magalhães, on prend la direction de la vieille ville. Un quart d'heure à pied suffit pour l'atteindre. Nous accueillons, en premier lieu, la statue de Joaquim Antonio de Aguiar, politicien portugais réformiste, natif de la ville, élu trois fois premier ministre pendant la Monarchie Constitutionnelle. On avance le long de la rue Ferreira Borges -politicien portugais de Porto, ancien étudiant de l'U.C- animée par les voix harmonieuses et joyeuses des étudiants coïmbristes qui offrent, l'année durant, des spectacles de rue, portant fièrement leur robe académique, ô tant enviée. Il s'agit là d'une vieille tradition estudiantine pratiquée exclusivement par les hommes et par laquelle se perpétuent les chants du Fado de Coïmbra, mêlant nostalgie, amour estudiantin, humour et critique sociopolitique. Monument dédié aux 'Tunas', groupes musicaux que forment les étudiants de Coïmbra A droite et à gauche de la rue Borges, des façades d'immeubles au style baroque parfois recouverts d'Azulejo, des boutiques de produits artisanaux, en céramique, liège et laine, qui valent bien le détour. A un moment donné, à notre droite, apparaît en retrait, coincée entre deux bâtiments, la Porta de Barbacã de l'ancienne cité médiévale. Commence alors l'ascension vers l'université à travers les étroites ruelles et placettes, d'abord animées par les boutiques et cafés, puis de plus en plus calmes. Certains immeubles peuvent nous surprendre par leur étroitesse. Pour plusieurs d'entre eux, il s'agit de Repúblicas, ensemble d'appartements traditionnellement loués par les étudiants qui y vivent en groupe et dont la gestion doit obligatoirement se faire de façon tout à fait démocratique. Une fois la visite de l'U.C terminée et redescendu à la rue Ferreira Borges, arrêt obligé au restaurant Sete pour déguster de délicieux mets et vins portugais, la salade de bacalhão et les croquettes de sardines sont un régal. Deuxième arrêt incontournable, chez la pâtisserie Briosa pour essayer les desserts de la région et du pays ou pour savourer simplement um cafezinho. Pour digérer le tout, rien ne vaut une promenade dans le parc doutor Manuel Braga, le long du Mondego, et pourquoi pas même, faire une courte sieste sur un banc, sous l'ombre des platanes. Vue sur la ville de Coïmbra dominée par la Tour de l'U.C