Plus d'une semaine après sa diffusion, l'interview du chef d'Ennahdha, accordée à la chaîne privée Nessma, continue de faire couler beaucoup d'encre. A part la cravate portée à l'occasion, l'effet papillon de l'entretien sur la scène politique ne s'est pas fait attendre. La première réaction était celle de la présidence de la République qui a tenu à clarifier ses positions en assurant que l'appel de Ghannouchi à Youssef Chahed – pour que ce dernier s'engage à ne pas se présenter à la Présidentielle de 2019 – ne représentait que son mouvement et lui-même. Réuni durant le week-end, le conseil de la Choura du mouvement islamiste a préféré, sans grande surprise, appuyé son chef en déclarant que l'appel adressé à l'actuel chef du gouvernement impliquait Ennahdha en entier. Si les choses s'étaient arrêtées à ce niveau, on en aurait conclu que le mouvement cherche à faire chanter Youssef Chahed pour qu'il choisisse la Kasbah jusqu'à 2019 ou, éventuellement, Carthage pour 2019. Mais l'intervention du député nahdhaoui et ancien ministre de l'Agriculture, Mohamed Ben Salem, a apporté d'autres interprétations après qu'il ait publiquement exprimé sa désolation de voir son mouvement se mêler d'une affaire pareille. L'affaire en question selon lui est la relation tendue entre le chef du gouvernement et le directeur exécutif du mouvement de Nidaa Tounes, Hafedh Caïd Essebsi. L'ancien ministre a en effet expliqué que le soutien du conseil de la Choura à l'appel de Ghannouchi revient à une interférence dans les affaires internes du Nidaa. En tenant ce genre de propos, Mohamed Ben Salem a vu ses propres accusations se retourner contre lui suite à une étrange déclaration de Caïd Essebsi junior qui a appelé le député à ne plus se mêler des affaires de Nidaa Tounes. Des chamboulements dignes d'un vieux feuilleton mexicain de ceux qui ne connaissent jamais de fin... mais, au final et avec un peu de patience, il demeure possible de tirer quelques conclusions de toute cette pièce de mauvais goût. Comme le désaccord entre Youssef Chahed et Hafedh Caïd Essebsi est un secret de polichinelle, il est clair que l'appel de Rached Ghannouchi donne de l'appui au camp d'Essebsi junior au sein de Nidaa Tounes. De son côté, le chef du mouvement islamiste ne perd rien et peut, au contraire, en tirer quelques profits. Comme la situation internationale – avec les avancées du régime Bachar Al Assad en Syrie, les sanctions appliquées au Qatar et la prochaine évolution clé de la Libye – n'est pas du tout en faveur des Frères musulmans en ce moment, Rached Ghannouchi est obligé de présenter quelque chose de plus concret que ses beaux discours de ‘nous sommes devenus un parti civil'. Porter une cravate et faire comprendre qu'il compte se présenter à la prochaine élection présidentielle lui enlève ce côté du ‘chef suprême' (statut spirituel inspiré des chiites) et le fait redescendre à la classe des communs des mortels.