Les déclarations de Rached Ghannouchi sur Nessma TV ont fait l'effet d'un séisme politique. Pourtant, en s'attaquant de front à Youssef Chahed, Ghannouchi met à mal le consensus établi avec le président Caïd Essebsi, père fondateur de Nida Tounès, et le gouvernement d'union nationale dont le chef a été choisi et désigné par le chef de l'Etat Jusqu'à ce jour, Youssef Chahed a travaillé en étroite collaboration avec Béji Caïd Essebsi qui l'a encouragé et soutenu dans la guerre contre la corruption, la guerre de tous les Tunisies, qui œuvrent pour la prospérité de la Tunisie. Les deux hommes sont responsables devant les Tunisiens des échecs comme des réussites de la Tunisie tant qu'ils seront ensemble aux commandes du pays. Ceux qui croyaient qu'avec les vacances parlementaires, qui s'étendent tout au long du mois d'août, la vie politique bouillonnante ces dernières semaines au sein du palais du Bardo allait connaître un répit certain et que les Tunisiens allaient se contenter de la chaleur suffocante et des incendies qui ont fait perdre au pays des milliers d'hectares de forêt en attendant le retour de Samia Abbou et de ses amis à l'ARP pour animer nos soirées automnales et hivernales doivent réviser leurs plans. Le président d'Ennahdha, Rached Ghannouchi, en a décidé autrement. Le 1er août, il a parlé sur Nessma TV, rompant un silence télévisuel de plus d'une année, c'est-à-dire depuis le congrès de son parti à Hammamet où il a menacé de quitter la barque si les congressistes ne lui accordent pas le droit de nommer qui il veut parmi les membres du bureau exécutif du parti. Ghannouchi a parlé mais pour lancer de véritables bombes qui risquent d'éclabousser le paysage politique national et son propre parti où les opposants à ses alliances, à ses initiatives et à ses déclarations qu'ils découvrent à travers les médias comme tout le monde ne sont plus disposés à se taire. Ainsi son appel à l'adresse de Youssef Chahed lui demandant d'oublier son rêve ou son projet de se porter candidat à l'élection présidentielle de fin 2019 a-t-il suscité un débat acharné, pour ne pas dire houleux, lors de la réunion du Conseil de la choura d'Ennahdha tenue samedi et dimanche derniers. Abdelkarim Harouni, président du Conseil de la choura, insiste que «Rached Ghannouchi parle au nom du parti, que ses positions sont celles de nous tous et que son appel à Youssef Chahed constitue un conseil amical à un chef de gouvernement que nous soutenons toujours. Plus encore, nous appuyons la guerre qu'il mène contre la corruption et nous voulons qu'il se dote d'un gouvernement encore plus fort afin qu'il gagne cette guerre qui est aussi la nôtre». Malheureusement, ses efforts pour étouffer les divisions au sein du parti ne semblent pas convaincre Mohamed Ben Salem, l'une des figures historiques d'Ennahdha et l'un des chefs de file de l'opposition «ordinaire et démocratique au président du parti qui jouit toujours de notre confiance mais qui doit nous consulter avant de parler et écouter aussi nos observations au cas où nous estimerions qu'il a fauté», comme il le dit lui-même. Hier, il a préféré dire les choses comme le disent beaucoup de Tunisiens, qu'ils soient nahdhaouis, nidaïstes, destouriens, frontistes ou observateurs indépendants. Sur Shems FM, il a martelé : «Ghannouchi ne nous a pas informés de ce qu'il allait professer sur Nessma TV. Nous avons découvert comme tout le monde son appel-conseil à Youssef Chahed et son initiative relative à la tenue d'un dialogue national social et économique. Personne n'est dupe pour saisir qu'il a choisi de ranger Ennahdha du côté de Hafedh Caïd Essebsi dans le conflit qui l'oppose depuis des mois à Youssef Chahed. Nida Tounès est notre allié au gouvernement d'union nationale ou pour dire les choses autrement (afin de plaire à ceux qui n'aiment pas le terme allié), notre principal partenaire dans la politique consensuelle qui a déjà produit les gouvernements Habib Essid et Youssef Chahed. Nous n'avons pas à intervenir dans les conflits internes de Nida Tounès et à chosir de soutenir une partie quelconque». Le pacte Nida Tounès-Ennahdha est-il tombé de facto ? Et la colère exprimée par Mohamed Ben Salem malgré la tentative d'apaisement de la part de Abdelkarim Harouni essayant de réparer comme il peut «les gaffes» du président du parti nahdhaoui de pousser à une autre question ou à une autre probabilité que beaucoup d'observateurs évoquent déjà : le pacte Nida-Ennahdha ou plus précisément l'entente Béji Caïd Essebsi-Ghannouchi va-t-il résister aux bombes larguées par le président d'Ennahdha ayant déjà fait leur effet au sein de son propre parti et qui peut assurer que les dégâts collatéraux de ces bombes ne toucheront pas le Palais de Carthage ? En tout état de cause, Carthage a déjà réagi en chargeant Saïda Garrache, porte-parole de la présidence de la République, de mettre les choses au clair et de dissiper les doutes. Elle est tranchante : «Le président Béji Caïd Essebsi n'a pas été informé au préalable du contenu de l'interview de Rached Ghannouchi à Nesma-TV. La présidence de la République soutient toujours Youssef Chahed et sa guerre contre la corruption que nous considérons comme la guerre de tout le monde. Le chef du gouvernement agit en osmose avec le président de la République». Ne l'a-t-il pas choisi et désigné à la tête du gouvernement d'union nationale ? Plus tard, il l'encouragera et le soutiendra dans la guerre contre la corruption. Elle ajoute : «Si El Béji ne peut en aucune manière cautionner l'appel de Ghannouchi à Youssef Chahed pour ne pas se présenter à la prochaine élection présidentielle, tout simplement parce que c'est anticonstitutionnel. Et le président de la République a l'obligation de préserver la Constitution et il est impensable qu'il cautionne une telle erreur. Ceux qui assurent injustement que le président était au courant de l'initiative de Ghannouchi ne connaissent pas Si El Béji». Avec les explications de Saïda Garrache et le silence observé par Ghannouchi et ses conseillers préférant pour le moment calmer leurs bases mécontentes, beaucoup d'observateurs s'interrogent: et si les propos sulfureux de Ghannouchi annonçaient le début d'une possible rupture du pacte Essebsi-Ghannouchi ? Les pactes ne sont-ils pas finalement conclus pour être un jour ou l'autre rompus ? Celui qui préside à la gestion des affaires de l'Etat depuis fin 2014 n'a-t-il pas vécu ? Dans les alliances électorales, il y a toujours une partie qui décide, à un moment ou à un autre, de quitter l'alliance. Elle n'est pas obligée de signer un document officiel annonçant son retrait. Une déclaration médiatique est suffisante. Hafedh Caïd Essebsi : «J'invite Mohamed Ben Salem à ne pas s'ingérer dans les affaires de Nida Tounès» Le directeur exécutif du mouvement Nida Tounès, Hafedh Caïd Essebsi, a invité, hier, Mohamed Ben Salem, membre du Conseil de la Choura du mouvement Ennahdha, à ne pas s'ingérer dans les affaires internes de Nida Tounès. «J'invite M. Mohamed Ben Salem à ne pas s'ingérer dans les affaires internes de Nida Tounès, surtout que nous prenons soin de ne pas interférer dans les affaires internes des autres partis. S'il (Mohamed Ben Salem) cherche à se livrer à des règlements de comptes politiques personnels, nous refusons d'impliquer les dirigeants du parti et le nom de Nida Tounès dans cette affaire», a écrit Hafedh Caïd Essebsi dans un post publié hier sur sa page facebook. Dans une déclaration dimanche à l'agence TAP, Mohamed Ben Salem a estimé que «le président du mouvement Ennahdha, Rached Ghannouchi, n'aurait pas dû évoquer la question de l'avenir politique du chef du gouvernement, Youssef Chahed». Mardi dernier, sur le plateau de la chaîne de télévision privée «Nessma», Rached Ghannouchi avait appelé « le gouvernement d'union nationale (GUN) à se concentrer sur les défis économiques de la Tunisie et les élections municipales au lieu de se focaliser sur l'avenir politique d'un ministre ou d'un chef du gouvernement». Pour Mohamed Ben Salem, les propos tenus par le président du mouvement Ennahdha, Ghannouchi, risquent d'être compris comme un parti pris au directeur exécutif de Nida Tounès, Hafedh Caïd Essebsi, qui, a-t-il noté, « est en conflit avec le chef du gouvernement, Youssef Chahed». Ben Salem a également tenu à souligner que « les positions des membres du Conseil de la choura au sujet des propos tenus par le président du mouvement, Rached Ghannouchi, sont divergentes». Dans une déclaration de presse dimanche, au terme des travaux du Conseil de la choura (5 et 6 août), le président du Conseil, Abdelkarim Harouni, a affirmé que les déclarations du président d'Ennahdha, Rached Ghannouchi, représentent la position officielle du parti. Il a, également, souligné que le mouvement soutient le gouvernement d'union nationale et ses priorités économiques et sociales fixées dans le Document de Carthage.