Après avoir atteint le seuil, jugé excessif, d'environ un dinar le kilogramme d'olives, au début de la campagne oléicole, les cours ont tendance à se stabiliser autour de 800 millimes au marché de Gremda. Si, à ce titre, la saison se passe dans les normes, ce n'est guère la sérénité dans les rangs des oléifacteurs ni dans celui des exportateurs préoccupés par l'éventualité d'une nouvelle tendance à la hausse et plus particulièrement par « l'anarchie qui règne au dit marché », lequel , rappelons-le est le baromètre national des cours des olives en Tunisie. Pour mieux comprendre les soucis des uns et des autres, rappelons qu'après un début des plus timides durant lequel, le prix du kilo d'olives se situait dans une fourchette de 350 à 660 millimes, les cours ont enregistré une ascension jugée anormale pour se situer entre 700 et 960 millimes, avec un prix courant de 800 millimes. A la lumière de ces cours, le prix du kilo d'huile revient, selon les oléifacteurs à plus de 4d 500, contre 4d 000 durant la même période de la saison dernière, alors les cours à l'exportation pour la qualité « extra » sont actuellement de l'ordre de 4d 200 à 4d 300.
Une fluctuation préjudiciable D'après les professionnels et les connaisseurs dans le domaine, plusieurs facteurs sont derrière ces fluctuations préjudiciables pour le secteur de l'oléiculture en général. Première explication du phénomène : un facteur naturel, scientifiquement inexplicable, lié au taux d'extraction lequel, oscille, pour ce qui est de la campagne en cours, entre 20 et 25, voire 28 et 30% alors qu'il est estimé, pour la même période de la campagne de 2006 / 2007 de 15 à 20 %. Deuxième facteur : les spéculations irréfléchies des acheteurs d'olives sur pied au cours de l'avant- saison lesquelles ont donné lieu à des prix jugés déraisonnables, dépassant le seuil d'un dinar le kilo. Troisième facteur, l'entrée en lice de nouveaux professionnels qualifiés d'intrus par leurs homologues chevronnés et qui foncent dans la spéculation, soit par manque d'expérience, soit parce qu'ils peuvent se permettre « le luxe » d'avoir des déficits, étant assurés de les couvrir par les bénéfices que leur rapportent leurs activités exercées dans d'autres secteurs.
Le flou total Conséquence, c'est le flou total, c'est le règne de l'anarchie et de la spéculation, cristallisées par le marché de Gremda, dit-on. Les offres de prix se font sur la base des estimations de la teneur en huile, déterminée par le pressurage manuel, à partir d'un échantillon, ainsi qu'en fonction de critères qui n'ont rien de scientifique mais qui sont fondés uniquement sur des rumeurs et des spéculations infondées. La ruée sur le dit marché, se fait dès quatre heures du matin et le négoce se déroule dans une ambiance fiévreuse. On assure même qu'en attendant l'éclairage public, à 05 h 30, les opérations de vente et d'achat se font sous la lumière des phares des véhicules ou l'éclairage des lampes de poche ou encore, celui, blafard des portables. « Quand on sait l'entrée en lice d'une nouvelle mafia qui présente des échantillons différents du contenu de la cargaison, laquelle est un mélange de fruits d'origines diverses, ce qui est de nature à fausser tous les calculs et toutes les estimations, on comprend les risques auxquels s'exposent les oléifacteurs », commente un jeune professionnel.
Pourquoi pas une bourse de l'huile ? Et notre interlocuteur de poursuivre : « Autrefois, le prix de base fixé par l'Office National de l'Huile, servait de repère, de référence qui mettait le secteur à l'abri des dérives. Aujourd'hui, c'est le flou total, c'est l'instabilité avec tous les risques que cela comporte. Du coup, l'oléifacteur se trouve entraîné, par la force des choses dans une aventure fort risquée car il se transforme à son corps défendant en spéculateur. Ce n'est ni sa vocation ni son intérêt et cela n'entre pas dans sa sphère de compétences, d'autant plus qu'il ne dispose pas de l'information adéquate et constamment mise à jour. Il doit se consacrer exclusivement à son rôle de transformateur ( libre bien entendu, à ceux parmi les oléifacteurs qui le désirent de s'adonner à la spéculation en parallèle avec leur activité principale ). Il est recommandé, à ce propos, de s'inspirer du modèle espagnol. En Espagne, en effet, le prix est déterminé par le transformateur sur la base du prix du marché du jour. En réalité, c'est le prix de l'huile qui est payé, et non pas celui du fruit, ce qui confère à l'opération d'achat, la transparence requise. Il est donc recommandé de mettre en place une bourse de l'huile. » La proposition semble de plus en plus emporter l'adhésion des professionnels, quoique certains préconisent le rétablissement de l'ONH dans son ancien rôle de régulateur du marché. Il y en a même qui vont plus loin pour demander à ce que cette institution se charge non seulement de fixer le prix de référence mais d'acheter la totalité de la production nationale d'huile et de la revendre aux exportateurs en fonction de la demande des marchés extérieurs. Un autre oléifacteur fait une proposition originale: « Le marché de Gremda étant le creuset de tout le chaos qui règne et le vivier de la spéculation, pourquoi pas ne pas s'en passer et adopter une autre formule plus raisonnable : les agriculteurs devront acheminer directement leurs cargaisons vers les huileries où les prix pourront être débattus en tête à tête avec l'oléifacteur à la lumière des résultats donnés sur place par les testeurs, c'est-à-dire des machines qui permettent de déterminer avec précision la teneur en huile de chaque cargaison. ». L'idée, jugée inadmissible, n'aura aucune chance de voir une quelconque concrétisation, assure la majorité des interlocuteurs contactés rien que pour une simple raison : elle va à l'encontre des intérêts de l'agriculteur qui représente le maillon le plus faible de la chaîne lequel sera le cas échéant jeté carrément en pâture aux oléifacteurs. Dans l'ensemble, si l'on s'accorde à dire qu'il n'y a rien de particulier à signaler concernant l'actuelle campagne oléicole, il n'en demeure pas moins vrai, dit-on, que la situation pourrait connaître quelques développements imprévisibles d'autant plus que l'Espagne enregistrerait une récolte record, ce qui appelle tous les intervenants à un comportement responsable .