La proclamation des résultats du concours de recrutement de 1700 employés à la Compagnie des Phosphates de Gafsa (CPG) a provoqué une nouvelle vague de protestations dans le bassin minier. Le jour même de l'annonce des résultats du concours, le 20 janvier dernier, des manifestants ont bloqué la route entre Medhilla et Om Laârayes, pour protester contre le «manque de transparence» de ce concours. Des tentes ont été aussi rapidement dressées un peu partout près des sites de production de la compagnie à Métlaoui, Redeyef, Medhilla et Om Laâraye par des jeunes qui réclament des emplois. Le 24 janvier dernier, un jeune recalé au concours a tenté de s'immoler par le feu à Métlaoui. L'affaire a aussi pris une tournure politique quand la députée du Courant démocratique Samia Abbou a appelé les autorités à «ouvrir une enquête sérieuse et transparente» sur ce concours, dont les résultats sont «malhonnêtes». Depuis la mobilisation des jeunes chômeurs ne faiblit pas. Conséquence : la production de phosphate est totalement à l'arrêt, et les stocks de la CPG sont pratiquement vides. La production de phosphate n'a pas en effet dépassé 160 000 tonnes (t) depuis le début de l'année 2018 contre 500 000 t une année auparavant. Pour tenter de calmer les ardeurs, la commission exécutive de la CPG a affirmé, mercredi, que le concours controversé «s'est déroulé dans la transparence », tout en réitérant l'engagement de la compagnie à auditer ses résultats. La commission a également souligné, dans un communiqué, la gravité de la situation ayant conduit à la paralysie de l'activité des différentes unités de la compagnie, menaçant sa capacité ainsi que celle des entreprises du secteur à honorer leurs engagements financiers. La compagnie a, d'autre part, rappelé qu'elle a recruté 8 000 agents depuis 2011 et a mobilisé plus de 60 millions de dinars pour le financement de projets de développement. Ces embauches n'ont pas cependant augmenté la productivité de la CPG étant donné que 44% des salariés de la compagnie sont «véritablement actifs». Quelque 5000 emplois créés au sein des sociétés de l'environnement seraient en réalité fictifs. L'UGTT se désolidarise du mouvement La situation est tellement déplorable que l'Union Générale Tunisienne du Travail (UGTT), la puissante centrale syndicale, d'habitude prompte à soutenir les contestations sociales et les encadrer, s'est désolidarisée ouvertement du dernier mouvement de protestation. «Nous refusons de cautionner les sit-in qui causent l'arrêt de la production du phosphate. Cette forme de protestation pourrait en effet causer l'effondrement de la CPG et fournir un argument fort à ceux qui cherchent à la privatiser », a souligné l'antenne régionale de l'UGTT à Gafsa. Le syndicat a également appelé à combattre la mentalité très répandue selon laquelle seule la CPG peut fournir des emplois aux habitants de la région, tout en appelant les autorités à diversifier le tissu économique à Gafsa. De leur côté, les syndicats de base de la compagnie ont annoncé suspendu, hier, le travail au siège social de la société, en signe de protestation contre la dégradation du secteur de phosphate suite à l'arrêt des activités de production depuis plus de deux semaines. Les syndicats regrettent également le laxisme des autorités régionales et centrales à chercher des solutions à la crise que traverse le secteur. Installée depuis en 1897 au milieu des gisements de phosphate découverts par le Français Philippe Thomas, vétérinaire militaire et géologue amateur, la CPG constitue quasiment l'unique mamelle nourricière de la région. Jusqu' à la fin des années 80, elle gérait les lignes de chemin de fer, assurait la distribution de l'eau, du gaz et de l'électricité, et prenait en charge les soins et l'éducation des enfants... Aujourd'hui, une partie des habitants de la région comparent le bassin minier à une vache laitière qui donne son lait aux autres et ne laisse que sa bouse aux habitants de la région. Et pour cause: le lait du bassin minier, en l'occurrence le phosphate dont la Tunisie est le cinquième producteur mondial, ne profite pas beaucoup, selon eux, aux populations locales. La situation est ainsi devenue d'autant plus inquiétante que la région désespère de produire autre chose que du phosphate. Même l'agriculture a été abandonnée en raison du déficit hydrique causé par l'exploitation du phosphate. Pour produire 8 millions de tonnes de ce minerai, 10 millions de m3 d'eau doivent être pompés dans les nappes phréatiques, indispensables aux agriculteurs. Autant dire que le bassin minier risque de représenter un véritable champ de mines pour l'actuelle équipe au pouvoir surtout que l'exportation du phosphate est un secteur clef de l'économie nationale.