Si les premières traces de Carthage remontent à près de trois mille ans, les fouilles archéologiques sur le site remontent à 1820. Oublié, le site de la métropole du sud-ouest de la Méditerranée a été souvent décrit par des historiens arabes médiévaux puis redécouvert dès le dix-huitième siècle. Alors que nous sommes à l'orée du Mois du patrimoine, il est utile de jeter un regard rétrospectif sur le site de Carthage et les premières fouilles archéologiques qui s'y sont succédé. En effet, Carthage a été incontestablement la matrice de l'archéologie en Tunisie et c'est à partir de ce site que les découvertes ont fini par englober tous les pans du patrimoine antique. De Humbert à Delattre : le temps des pionniers Il est établi que François-René Chateaubriand a été le premier grand écrivain de la modernité à faire renaître le mythe de Carthage. C'est dans une relation de voyage en 1805 que l'écrivain français avait aussi bien décrit Carthage que développé une réflexion sur la destinée des grandes nations. Toutefois, plusieurs autres relations de voyage ont précédé celle de Chateaubriand. La plus connue est celle du Britannique Thomas Shaw au dix-huitième siècle. Les plus anciennes remontent au douzième siècle avec le géographe arabe Al Idrissi. C'est dans la foulée de ces premiers récits qu'allaient intervenir les premières fouilles du site de Carthage. A partir de 1820, l'ingénieur néerlandais Jean-Emile Humbert allait à la fois entreprendre des fouilles et mobiliser un réseau de correspondants parmi les populations qui vivaient dans les environs de ce qui restait de la cité antique. Nous étions alors à l'époque où les chercheurs tentaient d'identifier l'emplacement de la Carthage historique. Le consul du Danemark à Tunis, Christian Tuxen Falbe, participera à ces premiers pas en réalisant la première carte détaillée alors que des travaux topographiques, des sondages et des fouilles sporadiques commençaient à voir le jour. C'est dans ce contexte qu'en 1837 se constituera à Paris une société d'exploration du site de Carthage. Elle organisera des campagnes de fouilles et ouvrira la voie à plusieurs nouvelles initiatives dont celle de Sainte-Marie qui, après des fouilles au niveau du littoral, parviendra à découvrir des milliers de stèles puniques. Il faudra toutefois attendre la mission archéologique voulue par le cardinal Lavigerie qui obtint le privilège pour la congrégation des Pères blancs de fouiller le site de Carthage. C'est à partir de ce moment que les fouilles allaient être systématisées. Entre temps, Henri Saladin allait être chargé dès 1884 de parcourir la Tunisie et identifier les sites à l'intérieur du pays. Cette mission d'exploration scientifique allait révéler toute la richesse archéologique de la Tunisie. A cheval sur deux siècles Dans l'histoire, le père Delattre restera celui qui a le plus travaillé sur le site de Carthage. A cheval sur deux siècles, ce père blanc, nommé directeur du musée de Carthage fondé par Lavigerie, allait multiplier les découvertes. C'est à lui que nous devons l'inventaire des sites et la publication des différentes découvertes et des catalogues du musée de Carthage. Ce n'est que plus tard que sera instituée une direction des Antiquités qui se trouve être le lointain ancêtre de notre actuel Institut national du patrimoine. Parallèlement au travail du père Delattre, Paul Gauckler sera le second homme-clé dans la résurrection de Carthage. Directeur des Antiquités, il entreprendra de nombreuses fouilles, effectuera plusieurs découvertes et enrichira les collections du musée du Bardo. En 1972, la campagne internationale de sauvegarde de Carthage Depuis, les fouilles ont trouvé leur vitesse de croisière et plusieurs intervenants laisseront leur trace dans l'histoire de la redécouverte de Carthage. De Louis Poinssot à Charles Saumagne, en passant par Louis Carton, des générations traverseront le vingtième siècle, laissant dans leur sillage des découvertes mais aussi des textes de loi protégeant le site de Carthage. En 1972, une campagne internationale de sauvegarde de Carthage puis, en 1979, l'inscription du site sur la liste du patrimoine mondial déboucheront sur la création d'un parc archéologique national finalement constitué en 1991. La protection du site est-elle aujourd'hui suffisante? Le respect de la zone d'où sont exclues les constructions est-il effectif? Autant de questions et d'enjeux qui interpellent les responsables du patrimoine en Tunisie. Enfin, deux siècles après les premières fouilles de l'ingénieur Humbert, Carthage n'a pas livré tous ses secrets archéologiques et, demain, de nouvelles découvertes pourraient perpétuer la passion des chercheurs pour cette cité qui a forgé la destinée de la Tunisie antique.