Beaucoup de zones d'ombres rendent le plan de déconfinement orienté décidé par le gouvernement quelque peu inintelligible. L'annonce faite, dans la conférence de presse par Loubna Jribi, ministre auprès du Chef du gouvernement chargée des grands projets, en présence d'Elyès Fakhfakh qui n'a pas pipé mot, est de l'avis de tous un peu trop sommaire. Les mesures de ce déconfinement orienté souffrent paradoxalement d'une certaine « désorientation temporo-spatiale » et ne paraissent pas précises en ce qui concerne le ciblage des populations appelées à reprendre du service. Les ministères concernés se chargeront d'en établir leurs ordres de priorités. Soit. Une mesure, cependant, fait couler beaucoup d'encre : l'interdiction opposée aux Séniors de plus de 65 ans de sortir du confinement, pas avant la troisième phase, c'est-à-dire au milieu du mois de juin prochain. Cela procède du souci gouvernemental de protéger les personnes âgées qui sont le plus exposées à la contraction du virus, surtout qu'elles sont nombreuses à porter des maladies chroniques. Soit, là aussi…. « Quel avenir pour les retraités en Tunisie ? » Il reste, cependant, que très grand nombre parmi nos séniors se portent bien, et même mieux que les Juniors, et les cahiers de la CNAM en attestent. Passe dans ce que la conférence de presse ait été donnée par Loubna Jribi, et non par la porte-parole officielle du gouvernement, Asma Séhiri, ministre de la Femme, de l'Enfance et des Séniors-précisément- chose qui a prêté à suspicion. Asma Séhiri aurait-elle vu d'un mauvais œil cette espèce de « discrimination » à l'endroit de « ses » Séniors ? Par ricochet, le prélèvement de la très controversée-en la forme- d'une journée de salaire sur toutes la population active des employés du public et du privé s'est aussi étendue aux retraités. Rien à redire, il y a un effort de solidarité nationale, et tout le monde doit y contribuer. Mais, prélever « une journée de travail » sur les retraites suppose, dans un raisonnement par l'absurde, que les retraités sont actifs eux-aussi. C'est, pour la cohérence, un raisonnement par ricochet. Et, d'ailleurs, pour l'anecdote, Loubna Jribi a été épinglée, à propos de ce confinement décrété à l'endroit des personnes âgées de plus de 65 ans par Elyès El Gharbi à « Midi Show » : cette mesure inclut-elle Rached Ghannouchi qui est âgé de 78 Ans ? La ministre s'en est retrouvée désorientée. Soit dit, en passant, que Kaïs Saïed s'en sort bien : il n'a que 62 ans ! Cela reste, cependant, anecdotique. Sur le fond, néanmoins, c'est une perception du rôle des Séniors dans la société qui reste posé. Car, les chiffres sont là. Une édifiante étude : « Quel avenir pour les retraités en Tunisie ? », élaborée par L'Institut tunisien des études stratégiques, alors dirigé par Néji Jalloul (Octobre 2019) et en collaboration de la Fondation Konrad Adenauer, s'est penchée sur le phénomène du vieillissement qui s'élargit dans une société pourtant caractérisée par sa jeunesse. Ce sera le phénomène marquant du XXIème siècle. Les courbes donnent ces proportions ssss: de 5,5% en 1966 à 11,4% en 2014. De 249mille 334 personnes âgées en 1966, le vieillissement atteindra le 1 million 244559 à l'horizon 2024. Le système de santé, l'environnement et les couvertures sociales y contribuent. Cela fait que nos Séniors, du moins bon nombre parmi eux, sont restées dans la force de l'âge. Les nations évoluées prennent cela en considération. Chez nous, malheureusement, on donne l'impression aux Séniors qu'ils sont un boulet que traine l'Etat ! Quelle mouche a piqué M. Ben Fredj ? Il est vrai qu'après la vie active, le départ à la retraite est ressenti comme une mort lente. La législation interdit même (Décret 87-338) d'employer les retraités (logique : il faut libérer de l'emploi pour les générations suivantes). Sauf que les retraités ont droit d'accomplir des travaux occasionnels dans le secteur public tels que la production littéraire et scientifique, la participation au développement de la culture et du sport, les services de consultation et l'apport dans le domaine de la formation professionnelle. Autant de compétences « recyclées », c'est-à-dire qu'on en appelle à leurs magistères et leur expérience pour accompagner les compétences montantes. Le décret ne s'applique pas, non plus (dans le secteur privé) aux retraités propriétaires ou promoteurs de projets sous quelque forme que ce soit, à condition qu'ils en assument eux-mêmes la gestion, qu'ils soient propriétaires de toutes les parts ou associés. Il y a donc toute une nouvelle vie après la retraite. Et, par ailleurs, en cette période difficile où la Nation a besoin de toutes ses potentialités, les Séniors seraient utiles dans le bénévolat, dans la distribution des aides. En somme, dans l'élan de Solidarité nationale et pas uniquement par le prélèvement sur les allocations de vieillesse. Il se trouve, néanmoins, que des oiseaux de mauvais augure s'invitent au débat. On ne comprend pas, dans ce contexte, ce qui a fait dire à l'ex-député Sahbi Ben Fredj qu'il y a eu recrudescence des décès des personnes âgées depuis que s'est déclarée la pandémie. Le ministère des affaires sociales a réagi. Mais, pas fermement. Les maires ont épluché leurs carnets d'état civil. La CNRPS a dit n'avoir enregistré que 2252 décès jusqu'au 14 avril, chiffre à la baisse par rapport aux 3274 décès pour la même période en 2019. Pour sa part, la CNSS n'a comptabilisé que 2076 décès jusqu'au 22avril 2020, là aussi en baisse par rapport au nombre : 5371, pour l'année précédente. En tous les cas, le nombre de décès des personnes âgées à cause du Covid-19 est rigoureusement répertorié par le ministère de la Santé. L'ex-honorable député y est allé, disons, (excusez le macabre jeu de mots) de « main morte ». Finalement, le Covid-19 représente aussi une opportunité de réfléchir et de méditer la condition des Séniors. Au-delà du confinement, toute une vision mérite d'être reformulée, parce que les Séniors ont encore du potentiel à revendre. Ils s'accrochent. Ils veulent se rendre utiles. Ils veulent se prouver à eux-mêmes qu'ils sont encore utiles pour la société. Comme ce vieux pêcheur Santiago, dans « Le vieil homme et la mer ».
