Le drame qui s'est déroulé du côté de Hajeb Laayoun (gouvernorat de Kairouan) continue, depuis mardi dernier, à secouer l'ensemble de Tunisiens. Plus d'une cinquantaine de jeunes sont victimes d'un alcool frelaté au Méthanol vendu par des individus sans scrupules, événement qui nous posent à tous des questions douloureuses sur notre pays et sur ses démons ! Bien loin des fanfaronnades habituelles sur « l'exception » tunisienne et sur notre soi-disant « modernité » exemplaire dans un monde arabe sauvage, voilà bien un évènement comme celui de Kairouan, (il y eu un autre précédent à Zarzis dans les mêmes circonstances), qui remet les choses en place et qui met à nu la singulière schizophrénie de notre législation et de nos politiques sur un sujet qui a trait essentiellement aux libertés individuelles tant vantées dans notre constitution. La législation sur le commerce de l'alcool en Tunisie est une aberration qui dure depuis l'époque de Bourguiba. Ni Bourguiba, le moderniste, ni Ben Ali, le soi-disant ennemi des islamistes, ni l'establishment, soi-disant démocratiques d'après 2011, n'ont jamais remis en cause et pour cause, cette législation a toujours arrangée tous les pouvoirs. Cette législation est non seulement liberticide mais en plus elle crée de facto des situations de rentes manifestes dont bénéficient les protégés du pouvoir, au point que ces protégés sont prêts à affronter le pouvoir lui-même quand ils se sentent menacés. Personne ne peut aujourd'hui établir sur quels critères objectifs les autorisations de vente d'alcool sont octroyées. Personne ne sait exactement sur quelle base ces véritables mannes financières sont distribuées à quelques happy few ! Personne ne peut expliquer pourquoi dans les régions de l'intérieur particulièrement, il faut aux buveurs d'alcool, ces mécréants, parcourir des fois des dizaines et des dizaines de kilomètres pour s'acheter une caisse de bière. La schizophrénie de la situation ubuesque ne s'arrête pas là ! Dans un pays dit touristique, il est interdit de vendre, et de consommer de l'alcool avant 13 heures ou 15 heures selon la saison. Dans un pays qui « vend » l'image d'un pays ouvert et tolèrant, il est interdit de boire le vendredi, il est interdit de boire le matin, il est possible de se faire arrêter par la police pour transport d'alcool, lequel alcool est vendu dans un magasin autorisé à le faire !? Les différents pouvoirs en place, depuis 1956, ont tous compris, pour des raisons diverses, l'intérêt de la situation. Interdire l'alcool pour tous et l'autoriser pour certains, crée le besoin et pour le combler on a créé une caste de vendeurs « clando » comme on les appelle, qui seront tous de indics de la police, des barbouzes et de agents de sales œuvres à souhait. Les raisons de cette situation diffèrent mais se ressemblent ! Pour garantir la mainmise du pouvoir sur certaines catégories, comme les gauchistes, au temps de Bourguiba à travers le « flicage » systématique. Pour amadouer les islamistes au temps de Mohamed Mzali, ou encore pour surenchérir sur les mêmes islamistes au temps de Ben Ali, et enfin pour couardiser des soi-disant démocrates depuis 2011, personne n'a intérêt à remettre en question cette situation ! Le drame de Kairouan est une sale affaire ! Presque aucun parti n'a osé se démarquer et saisir l'occasion pour poser ces questions relatives aux libertés individuelles, garanties par la constitution (celle de 1959 comme celle de 2014) dont ils se gargarisent. Ils n'oseront pas ici, parce que pour oser il faut de vrais hommes d'Etat !