Le terme -alcoolisme- est devenu archaïque. Aujourd'hui, on lui préfère le terme d'alcoolodépendance ou de maladie alcoolique. Tout comme le tabagisme, il s'agit d'une maladie qui pourrait être soignée si la personne alcoolique manifestait sa volonté de combattre cette addiction en consultant un psychiatre ou un psychologue. A part la personne concernée, c'est aussi sa famille qui en est victime, d'autant plus qu'elle doit souvent subir le coup silencieusement afin de ne pas attirer l'attention des autres, mais cela n'empêche qu'elle se sent toujours culpabilisée par l'entourage. Lorsqu'on sait que, pour chaque malade alcoolique, il y a au moins trois ou quatre membres (sinon plus !) de sa famille qui sont directement touchés par la maladie, ce qui donne au mal toute son étendue. En effet, tous ces membres deviennent, à leur corps défendant, des co-dépendants, dans la mesure où l'épouse et les enfants de l'alcoolique se trouvent impliqués en subissant toutes les retombées de cette maladie alcoolique. Mais la souffrance de la femme ou des enfants et de tous ceux qui vivent au quotidien avec l'alcoolique ne tardera pas à se manifester, quoiqu'ils aient tout fait pour essayer de dissimuler leur désarroi à l'entourage. La consommation d'alcool dans notre pays est fortement banalisée et certaines personnes s'y adonnent dès leur adolescence. Jeunes et adultes, hommes et femmes font d'abord de l'alcool un produit festif consommé lors des fêtes ou des sorties organisées en familles ou entre amis ; mais chez d'autres personnes, l'alcool devient vite une habitude ; puis il commence à être une dépendance dont il est difficile de se libérer. Chaque jour, on se rend immanquablement au bar, seul ou accompagné, pour siroter sa dose quotidienne de bières ou de vin. Les premiers jours, c'est simplement de la bière ou du vin ; mais peu à peu, on devient amateur de bon vin, un expert en la matière ; on commence à distinguer entre les marques et les qualités, entre le vin de terroir et celui de consommation courante, entre vin cru et vin aromatisé. Cependant, pour un alcoolique invétéré, le breuvage qui compte le plus, c'est celui qui monte à la tête et la fait tourner, c'est celui qui se boit jusqu'à la lie ! Ce qui compte, c'est l'ivresse qui fait chanceler, qui fait tituber. Pour tous les alcoolodépendants, cela commence par « boire un petit coup » qui devient une consommation régulière pour finir par être un vice.
Troubles Il va sans dire que les conséquences de l'alcoolisme sont diverses et très néfastes aussi bien sur la personne alcoolique que sur son entourage. Quand on a bu beaucoup d'alcool, on se sent souvent mal à l'aise, on a mauvaise haleine et on se réveille le lendemain avec une gueule de bois. Une perte de contrôle de soi peut conduire à des violences verbales ou physiques, notamment contre les membres de sa famille (le conjoint, les enfants, les parents...). De même, cette maladie alcoolique agit sur les aptitudes physiques et psychiques de la personne en diminuant sa réaction, son attention et sa concentration surtout chez les conducteurs d'automobiles, ce qui peut entrainer des accidents mortels sur la route. D'autres conséquences non moins graves consistent en des troubles maniaques et schizophréniques jusqu'à des troubles dans la vie affective et sexuelle menant souvent à l'impuissance. Cependant, il est dommage que l'alcoolisme reste encore un sujet tabou en Tunisie. Il est toujours relié à un ensemble de facteurs culturels, éducationnels, religieux, familiaux...C'est pour cette raison qu'il est difficile d'avoir des statistiques officielles concluantes, à part celles fournies par les quelques études ou enquêtes menées par nos universitaires qui confirment que la dépendance alcoolique est très précoce en Tunisie. Cependant, dans le cadre du Programme National sur la Santé des Adolescents, mis en place par le Ministère de la Santé Publique, des études faites périodiquement depuis 1990 ont montré que « 20.4% des adolescents ont consommé au moins une fois une boisson alcoolisée 33.5% de garçons et 7.5% de filles. Il s'agit surtout de jeunes du milieu urbain (20.8% contre 17.5% en milieu rural). Ces enquêtes soulignent que « parmi les garçons qui ont goûté à l'alcool 76.9% ont été ivres au moins une fois et 41.7% plusieurs fois ; ces expériences d'ivresse ont été vécues par 30% des filles qui ont déjà goûté l'alcool. » L'Association Tunisienne de la Prévention Routière (ATPR) a publié dans sa revue mensuelle de sécurité routière des chiffres révélant que « 12127 accidents ont été enregistrés l'année dernière dans notre pays dont 37% sont occasionnés par une conduite sous l'emprise de l'alcool ».
L'échappatoire Force est de constater que l'alcoolisme est souvent derrière bon nombre de problèmes sociaux et familiaux aussi dramatiques que désastreux : les homicides et les viols commis par des malades alcooliques alimentent les chroniques judiciaires et les faits divers des quotidiens nationaux. La consommation abusive d'alcool pose donc un grave problème de santé publique ; mais les problèmes causés par le malade alcoolique aux membres de sa famille et à son entourage sont très inquiétants. Un mari alcoolodépendant est un grand malheur pour sa femme et ses enfants qui, tout en assumant le fait accompli, cherchent à dissimuler tant bien que mal la réalité aux voisins, aux amis en essayant en vain de l'en dissuader. Là-dessus, une jeune femme qui préfère garder l'anonymat nous a confié : « Au début, il buvait pour le plaisir, juste un apéro qu'il prenait de temps en temps entre amis ou dans les repas de famille. Petit à petit, il devient de plus en plus friand d'alcool. Si ce n'est au bar, c'est à la maison qu'il prend sa dose quotidienne. Et souvent, il boit au bar jusqu'à 20h, l'heure de fermeture des débits de boissons alcoolisées, il termine son orgie d'alcool à la maison ; car il ne rentre jamais sans son stock qu'il se procure dans une grande surface. Les vendredis et les jours de fêtes religieuses, quand la vente d'alcool est interdite, il s'alimente auprès des pourvoyeurs illégaux, ces commerçants clandestins qui se trouvent dans les quartiers populaires. Ça fait plus de dix ans que ses enfants et moi souffrons de cette situation. On essaie toujours de ne pas dramatiser la chose, d'espérer un changement, une abstention de sa part ; mais en vain... les enfants grandissent et se sentent un peu gênés devant leurs camarades et les voisins ; ils n'invitent pas leurs copains à la maison de peur qu'on voie leur père dans un état d'ébriété, les voisins nous regardent d'un œil accusateur. Les scènes de ménage sont devenues quotidiennes et il a toujours un motif de se plaindre, semant parfois la terreur parmi ses enfants. Le lendemain matin, il dénie tout et il redevient normal comme si de rien n'était. Le soir, il recommence...Et le malheur est qu'il refuse de se faire soigner chez un psychiatre ; c'est toute la famille qui souffre à cause de lui, la vie avec lui devient impossible ! » Face à ses tentatives échouées, la femme du malade alcoolique éprouve un double sentiment de culpabilité. Elle se sent coupable d'avoir échoué de sauver son conjoint de ce vice, et d'autre part, elle se sent responsable de la fuite de son partenaire vers l'alcool, à force d'entendre dire dans l'entourage et peut-être de la bouche même des siens : « Si son mari boit, c'est de sa faute ». La même phrase est d'ailleurs répétée par les alcooliques eux-mêmes lors de chaque dispute avec la conjointe pour justifier leur recours à l'alcool. C'est ainsi que les membres de la famille du malade alcoolique sont toujours exposés aux conséquences négatives de l'alcoolisme et vivent dans la hantise de subir des insultes, des vexations, des violences de toutes sortes de la part des personnes atteintes de la maladie alcoolique.