Un échec au goût de victoire pour le Parti destourien libre (PDL) et une victoire au goût de défaite pour le mouvement islamiste Ennahdha C'est ainsi qu'on peut résumer le résultat du vote de la motion proposée par le bloc parlementaire du PDL portant sur le refus de toute ingérence étrangère en Libye lors de la séance plénière tenue mercredi à l'Assemblée des représentants du Peuple (ARP). Après une longue journée de débats marquées par de vives tensions et des attaques en règle contre le président de l'Assemblée, Rached Ghannouchi, accusé d'avoir entraîné la Tunisie dans le «marécage des axes» en conflit en Libye, la motion a finalement obtenu 94 voix pour, 68 contre et 7 abstentions, soit 15 de moins que la moitié requise de 109 voix. Mais au-delà du rejet de la motion, le résultat du vote a représenté un succès pour le PDL et une déroute pour Ennahdha. Le parti dirigé par Abir Moussi, une avocate nostalgique de Ben Ali, a fait d'une pierre plusieurs coups. Elle d'abord réussi à approfondir les dissensions au sein d'un parlement plus éclaté que jamais ; et écorné son image déjà ternie par de nombreux errements et dysfonctionnements. Le PDL a également atteint son objectif de créer une fissure béante au sein de l'alliance gouvernementale, en ralliant à sa cause six groupes parlementaires et plusieurs autres députés non encartés. Outre le bloc du PDL (16 députés), les 94 pour récoltées par la motion relative au refus de l'ingérence étrangère en Libye proviennent des blocs Qalb Tounès, la Réforme nationale, Tahya Tounès, le bloc national, le mouvement du Peuple (Achâab) en plus que quelques indépendants. Abir Moussi qu'on disait esseulée et honnie sous l'hémicycle du Bardo a ainsi acquis une stature de leader de l'opposition, qui pourrait lui permettre d'élargir son audience et de s'offrir de nouveaux adeptes. Ghannouchi malmené ; Ennahdha affaibli L'ancienne dirigeante de 2è ou 3è rang au sein du défunt Rassemblement Constitutionnel Démocratique (RCD) de Ben Ali se trouve aujourd'hui propulsée au-devant du paysage politique. Ironie de l'Histoire, cette femme au caractère bien trempé qui se présente aujourd'hui comme le porte-flambeau de la résistance contre les «khouanjias» (les Frères musulmans) semble désormais être la personne qui a le plus profité de la Révolution qu'elle dénigre inlassablement depuis 2011. Le mouvement Ennahdha, qui a manœuvré tout au long de la séance plénière tenue mercredi, pour empêcher le vote de la motion, qui ouvrirait la voie à l'éviction de Rached Ghannouchi du perchoir, est sorti affaibli de cette bataille. Ses alliés au sein de la coalition gouvernementale (Tahya Tounès, la Réforme nationale et le mouvement Achâab) se sont joints à son ennemi juré. Il en a été de même pour son allié caché Qalb Tounès. Tous ces partis ont craint de perdre leur crédibilité auprès des électeurs et d'être qualifiés de satellites du parti islamiste. D'autre part, Rached Ghannouchi a été malmené et placé sous un feu nourri des critiques qui ont frôlé l'invective et la diffamation de la part de ses ennemis comme de ses alliés. Il a ainsi perdu de l'aura dont ses adeptes l'ont toujours magnifié. Selon plusieurs observateurs, la demi-victoire, demi-défaite du PDL et la déroute d'Ennahdha laissent croire que la Tunisie se dirige mollo-mollo vers une bipolarité politique entre ces deux partis. Lors des élections de 2024 ont peut facilement imaginer une bataille de titans entre Ennahdha et ses satellites d'un côté, et le PDL qui siphonnerait l'électorat de la majorité des autres partis progressistes de l'autre Les deux camps vont se servir l'un de l'autre comme un épouvantail capable de galvaniser leurs troupes et de mobiliser leurs sympathisants.