Les militaires qui dirigent le Mali ont ouvert hier une concertation cruciale avec des centaines d'acteurs nationaux pour tenter de baliser la voie de l'après-putsch, sous la double pression de forces intérieures et d'une communauté internationale aux vues divergentes. Les attentes élevées placées dans ce rendez-vous se sont manifestées quand un certain nombre de Maliens ont tenté de forcer les portes du Centre international de conférence de Bamako. Ils comptaient prendre part à des échanges qui auraient dû associer le plus grand nombre selon eux, et non pas seulement les 500 responsables de la junte, personnalités politiques, syndicalistes et membres de la société civile rigoureusement filtrés à l'entrée. Les policiers ont tiré des gaz lacrymogènes pour disperser les jeunes qui cherchaient à entrer sans le badge requis. Dans une rare et brève prise de parole à l'ouverture de ces trois "journées de concertation nationale", le chef de la junte, l'habituellement taiseux colonel Assimi Goïta, a restitué la gravité de la période: "Nous sommes à un tournant important de notre histoire, nous devons laisser nos différends de côté et saisir cette opportunité", a-t-il lancé, en tenue de camouflage et béret vert sur la tête. De jeudi à samedi, il s'agit de jeter "les bases des réformes politiques et institutionnelles nécessaires à la refondation de notre nation", et, dans l'immédiat, de tracer "l'architecture" de la transition devant ramener les civils au pouvoir, a-t-il jugé du haut d'une tribune largement occupée par des hommes en uniforme. Il n'a rien dit sur les questions essentielles qui divisent les Maliens: combien de temps cette transition durera-t-elle, quel y sera le rôle de l'armée. La junte a la "volonté de participer", a-t-il seulement déclaré. Immédiatement après avoir renversé le président Ibrahim Boubacar Keïta, les militaires ont promis de rendre les commandes aux civils à l'issue d'une transition d'une durée, d'une nature (civile ou militaire) et d'une organisation à déterminer. Un mois après le quatrième coup d'Etat depuis l'indépendance en 1960, et malgré une première séance de consultations samedi, la transition peine à se dessiner. Au contraire, après l'accueil plutôt favorable fait aux putschistes par des Maliens exaspérés de voir leur vaste pays sombrer sous l'effet de la guerre contre les jihadistes, des violences intercommunautaires, du marasme économique et de l'impuissance étatique, les dissensions se font jour entre les parties à la crise. Les colonels ont la tâche ardue de faire converger leur vision et leur agenda avec ceux du Mouvement du 5-Juin (M5), qui a mené pendant des mois la contestation contre l'ancien président, ou ceux des anciens groupes armés rebelles. Comme samedi, l'ex-rébellion à dominante touareg, important partenaire de l'effort de stabilisation du pays, a décidé de boycotter ces journées. La junte a initialement parlé d'une transition de trois ans (correspondant au reste du mandat présidentiel entamé) sous la conduite d'un militaire. Pour nombre de ses interlocuteurs, une direction de la transition autre que civile est inacceptable. Mais ces interlocuteurs, à commencer par le M5, passent eux-mêmes pour être divisés.