La pandémie a mis le secteur culturel en Tunisie à rude épreuve. Des artistes et des professionnels des arts en sont conscients et nous nous emploierons à collecter leurs avis sur la question. Aujourd'hui, c'est Leila TOUBEL, femme de théâtre, comédienne et dramaturge tunisienne qui nous en parle. - La culture en temps de pandémie, est-ce un luxe ou une nécessité ? La culture ne peut être ni un luxe ni une nécessité, la culture est une raison d'être et de lutter et de résister, c'est à dire on ne peut pas du tout aujourd'hui dans une crise sanitaire aussi apocalyptique, ne pas se poser des questions essentielles. La culture c'est l'âme d'un peuple, c'est comme si on pose la question à un être humain pour lui dire votre âme est ce un luxe ou une nécessité. Dans cette pandémie et dans un secteur déjà sinistré et déjà agonisant ou tout s'improvise où il n ya pas de loi qui protège la dignité des artistes et l'urgence dans laquelle ils travaillent, il est important de rappeler, qu'à l'instar de tous les secteurs, la culture a droit à la vie. Et cela veut dire aussi que c'est une manière d'avouer le rapport commun avec la culture dans un pays, qui ne sait pas faire la différence entre art, culture, en prenant en compte le large éventail des arts y compris, l'art engagé et le divertissement. L'art est une vaste mosaïque avec des différentes couleurs. Je peux dire aussi que c'est la faute du système qui a introduit cette idée dans la vie des gens et des citoyens, que la culture peut être un luxe et ce n'est pas nécessaire pour une crise. Et là je pousse un cri de colère et d'indignation sur le rôle néfaste de certains médias, notamment audio-visuels dont la façon d'appréhender le rôle de la culture, qui est, d'une importance majeure et vitale dans un moment aussi crucial. Le téléspectateur, l'auditeur consomme ce qu'il trouve devant lui, même s'il est harcelé et malmené et qu'il ne trouve pas son compte. Aujourd'hui le citoyen n'a pas son libre arbitre pour choisir la culture qu'il veut. Il y'a un matraquage de médiocrité de tout ce qui est facile. Ce qui arrive à l'art et à la culture aujourd'hui est très grave. Parce qu'on ne peut pas imaginer l'impact de l'absence d'une vraie réflexion, d'une vraie création fusionnée avec ce qui se passe. Un art organique en référence à « Gramsci », à savoir, des gens qui pensent qui proposent le beau, qui s'adressent à l'intelligence, qui s'adressent aux sensible. - Comment appréhendez-vous la pandémie en tant qu'intellectuelle tunisienne ? Et croyez-vous que la situation soit solvable ou désespérée ? La Tunisie est un pays qui appartient à la planète –terre. Et il ya eu auparavant des pandémies qui ont fauché des milliers de vies. En attendant le fameux vaccin pour que l'économie redémarre, il va falloir s'accrocher à l'espoir, pour dépasser cette crise, surtout que la Tunisie souffre depuis des années, d'une crise économique, politique sociale, culturelle et avec le covid... on imagine aisément la situation. - Quelle serait, selon vous, la meilleure stratégie à adopter sur le plan artistique et culturel, actuellement? - Il faut qu'il y ait une volonté politique, et aussi un statut de l'artiste. Il faut repenser la stratégie culturelle, comme on le ferait pour un plan de sauvetage économique. On ne plus improviser. Il est temps de penser à l'artiste, à l'art et au secteur culturel en Tunisie ils ont été assez marginalisés. Les jeunes artistes sont en colère et ils ont raisons. Qu'est ce qu'on a laissé pour la nouvelle génération, à part un feuilleton orphelin par an à la télévision alors qu'il y'a tellement de spectacles magnifiques qui auraient pu être diffusés ? Des spectacles qui ont raconté l'histoire de ce pays et qui peuvent être d'un apport extraordinaire pour la jeune génération. Pourquoi elle n'a pas fait un seul documentaire de post révolution, pour la mémoire ? Combien ca va lui couter ? - Selon vous, quel serait le profil idéal du prochain ministre des Affaires culturelles ? - moi je pense qu'on a besoin d'un ministre « administrateur ». D'un commis de l'Etat qui connait l'administration parce que c'est très important. Surtout que nous avons des contrats qui ne sont pas honoré au bout d'une année et demie. Cela prouve que le problème n'est pas le ministre mais notre administration qui est complètement paralysée et rouillée. Donc il faut qu'il y ait un ministre administrateur, avec une sensibilité artistique bien évidemment, pour qu'il puisse comprendre alors juste mesure, les attentes et les besoins des créateurs. Car se sont les créateurs justement qui font l'art et pas le ministre. Et j'insiste, sans une volonté politique pour régler ce secteur, pour arriver à sortir ce fameux statut de l'artiste, pour avoir une vision politique claire, quant à la culture, quant à la décentralisation, quant à la culture touristique, il n'y aura pas d'issue. On n'a pas besoin d'un ministre pour réfléchir à la place des artistes, on a besoin d'un ministre qui soit à l'écoute des artistes et capable de renverser la table quand il le faut. Nous avons aujourd'hui besoin d'une administration qui doit créer de nouveaux mécanismes pour que la création puisse atteindre ses objectifs. - Si la Tunisie n'a pas encore fait sa révolution culturelle, par quoi faudrait-il commencer? La révolution culturelle n'est pas un concept. Nous sommes en train de construire la révolution citoyenne, la révolution culturelle elle, elle suit encore une fois la révolution économique politique et sociale. La culture n'est jamais autonome : elle est associée à tout un mouvement citoyen. Aujourd'hui on ne plus pénaliser encore plus, l'art et la culture... Propos recueillis par L.C