Les évènements du 26 janvier 1978, ou jeudi noir, avaient abouti à l'incarcération de Habib Achour, alors secrétaire général de l'UGTT ainsi que de la plupart des membres du bureau exécutif de cette organisation syndicale qui avait longtemps milité depuis sa création en pleine période coloniale, tant pour la cause ouvrière que pour la libération du pays. La cote de Habib Achour chez les Destouriens et à leur tête le leader Habib Bourguiba était en dents de scie. Pourtant, Bourguiba le considérait comme un fidèle compagnon de lutte sur lequel il pouvait toujours compter. Ce fut la raison pour laquelle, d'ailleurs, Habib Achour plusieurs fois en lutte avec certains membres du gouvernement ou du parti depuis l'indépendance et plusieurs fois tombé en disgrâce et incarcéré, revenait sur la scène politique et réintégrait l'UGTT sur l'intervention de Bourguiba qui lui accordait sa grâce. Ayant été tenu pour le principal responsable des événements du jeudi noir, qui mirent le pays à feu et à sang, il fut condamné par la Cour de Sûreté de l'Etat à dix ans de travaux forcés. Après quelque temps passés à la prison du Nadhour, à Bizerte, il fut gracié le 3 août 1979, jour de l'anniversaire du leader Bourguiba. En janvier 1980, et suite aux événements de Gafsa, des tractations étaient entamées en vue de sa réintégration au sein de l'organisation syndicale. En mai 1980, Habib Achour envoya une lettre à Bourguiba dans laquelle il lui exposait ses sentiments à l'égard de certains responsables qui s'étaient efforcés, écrivait-il, à souiller un passé historique où son action était dans le seul but de servir le pays. « C'est pour des raisons inavouées que ces responsables, rompant le dialogue auquel vous n'avez jamais cesser d'appeler, ont eu recours à la provocation et à la violence pour diviser les Tunisiens et affaiblir l'organisation syndicale représentative et constructive, sans laquelle, il ne saurait y avoir de paix sociale », ajoutait-il. Reçu par Bourguiba, en novembre 1981, il ne mâcha pas ses mots et l'entretien fut quelque peu tendu. A un moment donné Bourguiba, irrité, lui lança : « « Si tu as été gracié, c'est parce que tu était gravement malade et si tu persistes dans ce que tu dis, n'oublie pas que tu es en liberté provisoire... ». Cependant, cet entretien, rapporté par Habib Achour lui-même dans son livre « Ma vie politique et syndicale », finit par être tempéré et Bourguiba, après un moment de silence, dit à Achour : « L'UGTT est la vôtre, faites-en ce que vous voulez ! ». Habib Achour, encore une fois réintégré, manifesta sa joie de se retrouver de nouveau parmi les syndicalistes au Conseil national de l'UGTT de novembre 1981. Mais dès sa réélection au 16ème congrès national de l'UGTT en 1984, en tant que secrétaire général, il se retrouva en résidence surveillée à cause des problèmes sociaux qui avaient encore affecté le pays en cette année et marquée par les « émeutes du pain ». Ce problème concernait l'augmentation subite du prix du pain décidée par le gouvernement. Le prix réel du pain n'était pas proportionnel au prix élevé des céréales : semoule, farine etc..., c'est-à-dire, qu'en d'autres termes c'était la compensation faite par l'Etat qui permettait d'ajuster le prix du pain de manière à être accessible au consommateur. Or, le gouvernement annonça à un moment donné que la compensation allait être supprimée ce qui entraînait une augmentation du simple au double du prix du pain. Cette nouvelle annoncée déjà en 1983, fut concrétisée par une loi des finances votée par la Chambre des députés, prévoyant une augmentation de 70% des prix de semoule et des pâtes et 108% du prix du pain, et ce, à cause du déficit croissant que subit l'Etat par la fameuse compensation. Ce fut alors des émeutes à Tunis et un peu partout notamment au Sud du pays. Habib Achour fit une déclaration pour dénoncer cette augmentation qui était, selon lui, « de nature à porter préjudice surtout aux travailleurs, ayant déjà un pouvoir d'achat très réduit à cause des bas salaires qui devaient être révisés en conséquence ». Devant l'étendue de la révolte de l'ensemble du peuple, Bourguiba intervint rapidement par une déclaration pour annuler toutes les augmentations dont notamment celle du pain, ramené à son prix initial. La Chambre des députés vota l'annulation de la loi sur les augmentations, quelques jours après l'avoir adoptée. Contraint à démissionner et refusant de le faire, Habib Achour fut à nouveau incarcéré. C'était en février 1984.