Ils formaient un duo particulièrement redouté par les citoyens du quartier populaire de Mélassine, tant ils usaient de violence pour le moindre motif, surtout si quelqu'un osait lui refuser quelque sollicitation, minime soit-elle comme une clope à fumer. Tous s'exécutaient pour le satisfaire, d'autant qu'il avait choisi la voie de la facilité, celle de s'approprier de force les biens d'autrui, soit au moyen de cambriolages, parfois spectaculaires, soit au moyen de braquages, parfois sanglants. Le travail honnête, ils n'en avaient cure. Les deux lascars ont tissé une amitié qui paraissait solide au fil des années qu'ils passèrent ensemble derrière les barreaux de l'ex-prison du boulevard 9 avril de la capitale ou lors des coups montés qu'ils réussissaient avec plus ou moins de brio, toujours ensemble. Ils devinrent ainsi inséparables. L'on ne pouvait trouver l'un sans l'autre. Dans les tavernes lugubres ou les gargotes insalubres et bien entendu dans les opérations délictueuses qu'ils commettaient, après avoir échafaudé les plans les plus machiavéliques. Et pourtant, l'aîné devait, un jour, inexplicablement tourner le dos à son cadet en le dénonçant à la police, à l'issue d'un coup raté que ce dernier a osé entreprendre en solitaire, brisant ainsi le pacte conclu entre eux. Conséquence directe de cette dénonciation gratuite : une longue mise à l'ombre pour son jeune compère. Après avoir purgé sa peine et à peine sorti de prison, le hasard a voulu qu'il rencontre à nouveau celui qui l'a trahi. L'occasion des retrouvailles était la célébration de la fête de mariage d'un ami commun. L'alcool, coulant à flot, le duo se reforma pour se remémorer les hauts faits d'un passé récent. C'est ainsi que le cadet se rappela de cette dénonciation qu'il n'a pas digérée du fait qu'elle émanait de son camarade le plus intime. Il ne manqua pas alors de faire des remontrances appuyées à ce dernier qui, agacé, se mit à invectiver son interlocuteur. La situation empira et l'on en vint de la querelle verbale à de vifs échanges de coups qui se terminèrent tragiquement dehors. En effet, aveuglé par la colère et voulant coûte que coûte se venger de ce compagnon qui s'est montré infidèle, l'accusé a sorti son couteau pour le planter dans la cage thoracique de son rival, lui perforant à l'occasion un poumon. Ce coup devait s'avérer fatal puisque la victime succomba à son admission à l'hôpital. Traduit devant la chambre criminelle du tribunal de première instance de Tunis, il écopa de vingt ans de prison pour homicide volontaire avec préméditation. En appel, l'accusé prétendit qu'il avait agi en légitime défense, car d'après lui c'est la victime qui a exhibé l'arme blanche pour attenter à sa vie. Son avocat devait reprendre la version de son client pour solliciter du tribunal la requalification de l'accusation en violences graves ayant entraîné la mort au lieu de considérer l'acte comme étant un assassinat. La cour d'appel s'est retirée pour délibérer.