Christian Ganczarski, un Allemand originaire de Pologne, est poursuivi actuellement en France pour «complicité et tentatives d'assassinat en relation avec une entreprise terroriste». Le juge antiterroriste français Jean-Louis Bruguière pense qu'il est l'architecte de l'attentat contre la synagogue de Djerba en avril 2002 et le recruteur du kamikaze de service: Nizar Naouar. Comme lui, des dizaines d'autres convertis à l'islam ont suivi les chemins de traverse de l'islamisme radical. Américains, australiens, jamaïcains, français, allemands, belges… Nés de parents chrétiens, juifs ou athées… Fraîchement convertis à l'islam le plus rigoriste par des imams extrémistes, ils ont gagné les camps d'entraînement de Bosnie et d'Afghanistan, où ils ont acquis une solide formation militaire, avant de devenir des «petits soldats du jihad» contre l'Occident mécréant. Certains sont morts dans les montagnes de Tora Bora ou en Irak. D'autres ont été arrêtés dans le cadre de la campagne internationale de lutte contre le terrorisme, jugés et écroués. Leurs parcours, qui se ressemblent en plusieurs points, peuvent être résumés en deux formules: quête désespérée de soi et folie destructrice.
Le 11 avril 2002, vers 06h18, un homme téléphone au -domicile d'un islamiste allemand, Christian Ganczarski: «Sais-tu qui je suis ? Je suis Seif». «As-tu besoin de quelque chose?», demande Ganczarski. «Non, merci, je t'appelle juste... maintenant, j'ai besoin de ton ‘‘douaâ'' [prière pour exaucer un voeu] pour moi», dit l'homme au bout du fil. Ganczarski répond: «Que Dieu te récompense.» Trois heures plus tard, Seif, alias -Nizar Naouar, dont Ganczarski avait fait connaissance en Afghanistan, tue 21 personnes, dont 15 Allemands et 2 Français, dans un attentat suicide contre la synagogue de la Ghriba à Djerba. Prière de bénédiction ou feu vert au kamikaze pour passer à l'action? Cet épisode est ainsi relaté dans le réquisitoire contenu dans le dossier judiciaire, en vertu duquel l'un des chefs d'Al-Qaïda, Khaled Sheikh Mohamed, Koweïtien de 42 ans, cerveau présumé des attentats du 11 septembre 2001, a été renvoyé – pour complicité – devant la Cour d'assises de Paris. A l'ouverture du procès, le 17 novembre dernier, Khaled Sheikh Mohamed n'était pas dans le box des accusés. Incarcéré dans le pénitencier de Guantanamo, il est donc jugé par contumace. Deux de ses co-accusés y étaient cependant présents. Il s'agit de Ganczarski, qui avait été arrêté à Roissy en juin 2003. Il est accusé d'avoir aidé et soutenu le kamikaze de Djerba. Le second, Walid Naouar, le frère du kamikaze, poursuivi pour le même délit, avait été interpellé dans la banlieue lyonnaise en 2002. Les trois hommes doivent répondre de «complicité et tentatives d'assassinat en relation avec une entreprise terroriste». Pour l'accusation, l'appel téléphonique du 11 avril 2002 «doit être compris comme le signe du prestige de Ganczarski et de l'emprise qu'il exerçait sur le futur kamikaze, mais également comme un signal opérationnel, un feu vert pour passer à l'action». Par cet appel, Ganczarski aurait délivré son autorisation sous la forme d'une prière de bénédiction. Nizar Nawar a ensuite joint par téléphone satellite Khaled Sheikh Mohamed au Pakistan, avant de se faire exploser devant la synagogue. L'accusation soutient aussi que «Khaled Sheikh Mohamed, responsable des opérations extérieures d'Al-Qaïda, était en contact régulier avec [le kamikaze]» et a pris «une part active, par des transferts d'argent, notamment par l'Espagne, au financement de l'attentat qui a coûté au moins 19 326 euros», dont une partie a transité par l'Espagne. Il était également en relation avec Ganczarski qui occupait «la place d'un cadre au sein d'Al-Qaïda» après avoir effectué six séjours en Afghanistan entre août 1999 et décembre 2001. Ganczarski «entretenait des liens de proximité avec les plus hauts cadres de l'organisation et avec Oussama Ben Laden», selon trois -témoignages et une vidéo de janvier 2000, saisie par les troupes américaines en Afghanistan, le montrant aux côtés de Ben Laden et d'un kamikaze du 11 Septembre. Quant au dernier accusé, Walid Naouar, il a reconnu avoir acquis pour le compte de son frère un téléphone satellitaire sous un faux nom. Il a fourni également un modem et des faux papiers et téléphona à Khaled Sheikh Mohamed et à un financier de l'opération. Pendant sa garde à vue, le jeune homme a notamment déclaré: «Je me suis demandé si mon frère préparait un attentat avec d'autres personnes, car on était après le 11 septembre 2001, et tout ça était étrange.»
Tombé dans un piège tendu par l'‘‘Alliance Base'' Lorsque Ganczarski est monté, en ce 3 juin 2003, à bord du vol Air France au départ de Riyad, la seule chose qu'il savait était que le gouvernement saoudien l'avait placé en résidence surveillée pour un visa de pèlerin expiré et avait donné des tickets aller simple à sa famille pour rentrer en Allemagne, avec un changement d'avion à Paris. L'homme n'avait aucune idée qu'il était discrètement escorté par un agent secret qui était assis derrière lui ou qu'un officier supérieur de la CIA, les renseignements américains, attendait en bout de piste, à l'aéroport de Roissy-Charles-de-Gaule, au moment où les autorités françaises le séparèrent en douceur de sa famille et le placèrent en détention préventive avant de l'inculper officiellement, en octobre 2006, d'association avec des terroristes. Selon les fonctionnaires français et américains des services de renseignement et de lutte contre le terrorisme, Ganczarski est l'un des plus importants agents européens d'Al-Qaïda. Des sources proches des services secrets américains et européens affirment que l'opération ayant permis de le prendre au piège a été mise au point dans une base top-secrète de Paris. Créée en 2002 par la CIA et la DST, les services de renseignement français, son nom code est ‘‘Alliance Base''. Financée en grande partie par le centre antiterroriste de la CIA, ‘‘Alliance Base'' analyse les mouvements transnationaux des présumés terroristes et met au point des opérations pour les attraper ou pour les espionner. Ganczarski, aujourd'hui âgé de 40 ans, est accusé d'être l'un des cerveaux de l'attentat de Djerba, officiellement revendiqué en son temps par Al-Qaïda. Lors de son interrogatoire, il a avoué aux autorités françaises qu'Al-Qaïda l'avait recruté à l'Université islamique de Médine, avant qu'un certain Nadeem Elyas ne l'envoyât pour faire des études religieuses. Ce dernier, médecin saoudien formé en Allemagne et l'un des responsables du Centre islamique d'Aix-la-Chapelle, a déclaré, pour sa part, qu'il ne se souvenait pas de l'avoir rencontré. Il n'a pas nié cependant la possibilité que Ganczarski, qui n'a pas terminé ses études secondaires, ait pu être l'un des nombreux étudiants qu'il avait envoyés au cours des années précédentes dans des écoles religieuses en Arabie saoudite, aux frais de quelques donateurs locaux.
Au cœur de la nébuleuse al-qaïdiste Lors de son interrogatoire en France, Ganczarski s'est montré peu bavard. Il a cependant reconnu être un sympathisant de Ben Laden et avoir fréquenté des camps en Afghanistan. Il a précisé aussi aux enquêteurs qu'il connaissait Karim Medhi, un jeune marocain arrêté peu de temps auparavant par la police française qui le soupçonne de préparer des attentats sur l'île de la Réunion, mais en soulignant qu'il n'était nullement impliqué dans ce projet. Ganczarski, qui se faisait appeler Abou Ibrahim, a reconnu avoir reçu un appel de Nizar Naouar quarante minutes avant l'explosion de la synagogue de Djerba. Le musulman allemand affirme cependant que cet appel intercepté par les services de police était tout à fait fortuit et qu'il n'avait personnellement aucune responsabilité dans la préparation ou l'exécution de l'attentat en question. Nizar Naouar, dont la famille demeure dans la région lyonnaise, avait également contacté Khalid Cheikh Mohammed, un haut responsable d'Al-Qaïda au Pakistan, et proche de Ben Laden, arrêté le 1er mars 2003 près d'Islamabad et qui était également une connaissance de Ganczarski. Mais outre son implication dans l'attentat de Djerba, les enquêteurs soupçonnent l'extrémiste allemand d'être lié lui aussi, à «la cellule de Hambourg», celle-là même qui était impliquée dans la préparation de l'attentat du 11 septembre. Lors d'une perquisition effectuée au domicile de Ganczarski, à Duisbourg, en Allemagne, en avril 2002, les policiers allemands ont découvert un papier sur lequel figurait le numéro de téléphone de Mounir El-Motassadeq, un marocain condamné le 20 février 2003 à quinze ans de prison pour complicité de meurtres dans les opérations suicides du 11 septembre et pour son appartenance à l'organisation terroriste d'Al-Qaïda. Chez Ganczarski, les enquêteurs trouvèrent également les numéros des téléphones portables de Ramzi Binalshibh, un Yéménite interpellé en septembre 2002, financier des attentats du 11 septembre et ancien compagnon des pirates de l'air Mohamed Atta et de Ziad Jarrah. Malgré ces documents, la justice allemande a autorisé Ganczarski à quitter l'Allemagne, estimant qu'il n'y avait pas de preuves suffisantes contre lui. En novembre 2002, soit sept mois après l'attentat de Djerba, l'Allemand se rend en Arabie Saoudite avec son épouse et ses quatre enfants. Ce départ passe inaperçu pendant deux semaines malgré l'étroite surveillance policière dont il faisait l'objet. Arrêté en avril 2003 en Arabie Saoudite, il est aussitôt libéré. En l'absence d'un mandat d'arrêt international demandé par la justice allemande, son extradition vers l'Allemagne s'est avérée impossible. C'est ainsi qu'il fait l'objet d'une opération de conduite à la frontière au motif banal d'expiration de visa. Ganczarski a été mis en examen le 7 juin 2003 par le juge antiterroriste français Jean-Louis Bruguière, pour «complicité d'assassinat», «complicité de tentative d'assassinat» et «association de malfaiteurs», le tout «en relation avec une entreprise terroriste», en relation avec l'attentat de Djerba. Placé depuis sous mandat de dépôt, son procès, qui s'est ouvert le 17 novembre dernier, est encore en cours.