Germaine Lindsay, alias Abdullah Shaheed Jamal, citoyen britannique originaire de Jamaïque, est l'un des quatre auteurs des attentats de Londres, le 7 juillet 2005, qui ont fait 55 morts. Il fait partie de ces dizaines de convertis à l'islam ayant succombé aux sirènes du jihad international. Américains, australiens, jamaïcains, français, allemands, belges... Nés de parents chrétiens, juifs ou athées... Fraîchement convertis à l'islam le plus rigoriste par des imams extrémistes, ils ont gagné les camps d'entraînement de Bosnie et d'Afghanistan, où ils ont acquis une solide formation militaire, avant de devenir des «petits soldats du jihad» contre l'Occident mécréant. Certains sont morts dans les montagnes de Tora Bora ou en Irak. D'autres ont été arrêtés dans le cadre de la campagne internationale de lutte contre le terrorisme, jugés et écroués. Leurs parcours, qui se ressemblent en plusieurs points, peuvent être résumés en deux formules: quête désespérée de soi et folie destructrice.
Le 7 juillet 2005, vers 8h50 locales, trois kamikazes se font exploser simultanément dans le métro de Londres, aux stations de Liverpool Street, Edgware Road et dans le tunnel séparant celles de King's Cross et Russel Square. Un peu moins d'une heure plus tard, le quatrième kamikaze fait détonner sa charge dans le bus n° 30, près de Tavistock Square. Bilan des attentats, les premiers du genre sur le sol britannique : 56 morts, 784 blessés. Scotland Yard ne tarde pas identifier les quatre kamikazes: trois britanniques originaires du Pakistan (Mohammad Siddique Khan, 30 ans, Habib Hussain, 18 ans, et Sherzad Tanweer, 22 ans) et un britannique d'origine jamaïcaine (Germaine Lindsay, alias Abdullah Shaheed Jamal), 19 ans. Le jeune homme, qui s'est fait exploser dans le tunnel entre King's Cross et Russell Square, faisant à lui seul 27 morts, était marié et père d'un bébé qu'il a embrassé avant d'aller commettre l'attentat suicide. Sa voiture a été retrouvée par la police peu après l'attentat sur le parking de la station de Luton : elle contenait 9 bombes. Comment ce jeune homme, apparemment bien intégré, a-t-il basculé dans le jihadisme ? Quelles sont les motivations personnelles qui l'ont amené à embrasser la cause du jihad ? Comme ses autres compagnons, il paraissait «bien sous tous rapports». Gentils, discrets, des «musulmans modérés», en somme. Dans son voisinage, on a été très surpris par son passage à l'acte. On a parlé de «lavage de cerveau». Oui, mais comment cela s'est-il passé ?
Le syndrome de l'enfant abandonné Né le 23 septembre 1985 en Jamaïque, Lindsay a débarqué en 1986 en Grande-Bretagne, en compagnie de sa mère, Marie McLeod, fille d'un chrétien évangélique, et du compagnon de celle-ci. Son père naturel, qui est resté en Jamaïque, ne semble pas avoir joué un rôle important dans sa vie. Et c'est peut-être là que s'est noué son drame personnel d'«enfant abandonné». La petite famille s'est installée à Huddersfield, à West Yorkshire. Après une enfance apparemment tranquille - il était un élève brillant et avait de bonnes dispositions sportives -, Lindsay s'est converti à l'islam à 15 ans et s'est donné un nouveau prénom : Jamal. Il a même convaincu sa mère de le suivre sur cette voie. Jamal connut cependant quelques problèmes disciplinaires à l'école après avoir distribué des prospectus de propagande d'Al-Qaïda. Au fil des jours, ses rapports avec sa mère et son beau-père étaient devenus difficiles. Il devenait un jeune homme à problèmes. En 2002, un événement marque beaucoup Jamal: sa mère part aux Etats-Unis avec son troisième compagnon, le laissant seul dans la maison de Huddersfield. Se sentant de nouveau abandonné, le jeune homme exerce plusieurs petits boulots pour survivre. Il a ainsi été vendeur de téléphones mobiles et des livres sur l'islam, sinon franchement islamistes. Le 30 octobre 2002, Jamal épouse Samantha Lewthwaite, une Britannique de souche convertie à l'islam dont il a fait connaissance sur Internet. En septembre 2003, le couple s'installe à Aylesbury, au Buckinghamshire, au nord-ouest de Londres, où vit la famille de la jeune femme. Six mois plus tard, leur premier enfant naît. La vie de Jamal semble prendre un nouveau cours et se stabiliser enfin. Personne, dans son entourage, ne voit venir la tempête... Concernant la conversion de Jamal à l'islam radical, les enquêteurs pensent qu'il a subi fortement l'influence du prêcheur d'origine jamaïcaine Abdallah Al-Faisal, actuellement détenu en Grande-Bretagne après sa condamnation pour incitation au meurtre et à la haine raciale. Jamal aurait assisté à au moins un prêche d'Al-Faisal et s'était procuré plusieurs enregistrements de ses diatribes contre l'Occident mécréant. En tout cas, le changement était spectaculaire. Le jeune homme a rejeté peu à peu ses anciens amis et rompu avec ses vieilles habitudes. Il a montré aussi une grande facilité à apprendre l'arabe et à réciter des passages entiers du Coran. Les activistes islamistes qui opéraient autour de Huddersfield et de Dewsbury en étaient émerveillés. Dans un long entretien avec le quotidien britannique ''The Sun'' (23 septembre 2005), la veuve de Jamal, aujourd'hui âgée de 22 ans, a décrit un jeune homme «empoisonné» par la propagande extrémiste: «Il était tellement en colère quand il voyait des civils musulmans se faire tuer en Irak, en Bosnie, en Palestine et en Israël, et à chaque fois il disait que c'étaient les innocents qui souffraient». «Et ensuite, il se rend responsable de la même chose, mais envers ses propres concitoyens britanniques», poursuit-elle. Dans les semaines qui ont précédé les attentats, le comportement de Jamal était devenu de plus en plus «étrange», à tel point que son épouse l'avait chassé de la maison, le soupçonnant de relation adultère.
«Il voulait devenir un défenseur des droits de l'homme» C'est, semble-t-il, au cours du deuxième semestre 2004 que le chemin de Jamal a croisé celui de Mohammad Siddique Khan, dont l'activisme était déjà arrivé à la connaissance du British Security Service (BSS), généralement appelé MI5. «Il a rejoint des mosquées à Londres et à Luton et il a changé», a expliqué Mme Lewthwaite. «Que Jamal ait tué des civils britanniques innocents, c'est quelque chose que je ne pourrai jamais comprendre. La façon dont ces personnes ont pu lui tourner la tête et empoisonner son esprit est épouvantable. Il était devenu un autre, je ne le reconnaissais plus», a ajouté la jeune Britannique, qui s'est fait appeler, après sa conversion à l'islam, Sherafiyah (ou d'Asmantara selon une autre source). Sortie deux semaines de la maternité avant l'entretien du 'Sun''- elle avait donné naissance à un second enfant, une fillette -, elle n'a pas cherché d'excuse à son mari: «Jamal est 100% responsable et je condamne de tout mon coeur ce qu'il a fait». Sur une photo pleine page, en Une du ''Sun'', la jeune femme, coiffée d'un simple voile, présentait son bébé, Ruqayyah. «Le jour viendra où je devrais leur expliquer ce que leur père a fait», a-t-elle encore expliqué, en tenant, dans une photo, son fils Abdullah, âgé de 17 mois. Mme Lewthwaite a aussi raconté sa rencontre avec Lindsay sur Internet et rappelé leur premier face-à-face, lors d'une manifestation contre la guerre en Irak, à Hyde Park, et leurs aspirations professionnelles: «Il voulait devenir un défenseur des droits de l'homme, j'étais membre d'une section d'Amnesty International au lycée, nous voulions changer le monde de façon pacifique». «Je pensais vraiment avoir trouvé le meilleur mari au monde», a-t-elle ajouté. Le 7 juillet 2005 à l'aube, Lindsay quitte le domicile conjugal à Aylesbury pour rejoindre ses complices venus des environs de Leeds, nord-est de l'Angleterre. Il a, sans rien dire, embrassé son fils et laissé sur la table son trousseau de clés. Il est monté à bord d'un train de la ligne Piccadilly- King's Cross... Demain 21 : Shane Kent : du hard rock au jihad mondial