Samedi 2 août 2025, Fatma Ben Barka Messaoudi, enseignante universitaire, a publié un témoignage glaçant sur ses réseaux sociaux. Elle y raconte une scène banale, un trajet en taxi avec sa belle-mère, transformée en affrontement frontal avec un racisme sans fard, assumé et justifié… au nom d'un prétendu « cadre légal ». Elle monte dans un taxi avec sa belle-mère, lorsqu'elle entend le chauffeur marmonner quelque chose d'incompréhensible. Elle lui demande poliment de répéter. Il lui répond : « Rien,rien ! ». Puis enchaîne : « Vous êtes des Tunisiens ou pas ? ». À ce moment-là, le malaise devient manifeste. L'universitaire prend sur elle, tente de comprendre : « Et si on n'est pas Tunisiens, que se passe-t-il ? » Réponse du chauffeur : « Je ne vous prends pas ». Elle descend, refuse l'humiliation. Mais l'histoire ne s'arrête pas là. Le chauffeur descend à son tour pour se justifier : « Je ne suis pas raciste, mais la loi m'interdit de prendre "les Africains" ». À ce moment-là, Fatma Ben Barka Messaoudi tente une dernière fois de confronter l'absurde : « Est-ce que vous venez d'Europe de l'Est ? Parce que vous semblez avoir oublié que vous êtes Africain vous-même. C'est quoi exactement cette loi ? Depuis quand est-elle en application ? Et quand une personne subsaharienne est en situation régulière, comment réagissez-vous ? Et nous, les Tunisiens noirs, que devons-nous faire ? ».
Dans sa publication, Fatma Ben Barka Messaoudi ne cherche pas à faire de son cas une exception. Elle parle d'un quotidien, d'un racisme routinier vécu par de nombreux Tunisiens noirs. Elle refuse qu'on la considère comme une étrangère dans son propre pays, rejette toute hiérarchie de la tunisianité fondée sur la couleur de peau, et rappelle une évidence : le droit à la mobilité ne devrait jamais dépendre du pigment de la peau. Son appel s'adresse également aux juristes : « Je veux comprendre. Quel est ce texte de loi que les chauffeurs de taxi affirment appliquer ? Ce que j'ai vécu n'est pas un incident isolé. D'autres Tunisiens noirs y sont confrontés ». Et à ceux qui cherchent à minimiser ou à justifier : « Taisez-vous et ayez honte ». En guise de conclusion, elle rappelle ce qui reste plus que jamais d'actualité : « La lutte continue ».
Il faut le redire clairement : aucune loi n'interdit aux chauffeurs de taxi de faire monter des personnes noires ou "Africaines". Aucune. Bien au contraire, la Tunisie s'est dotée, depuis 2018, d'une loi contre toutes les formes de discrimination raciale. Une avancée saluée à l'époque, mais qui, dans la pratique, reste largement inappliquée. Depuis 2023 et le déclenchement d'une crise migratoire accompagnée de discours officiels anxiogènes autour d'un prétendu « plan de grand remplacement », le racisme s'est décomplexé. Au plus fort de la crise, des centaines de personnes originaires d'Afrique subsaharienne ont été chassées de leur logement par leurs bailleurs ou licenciées par leurs employeurs. Pire encore : les autorités ont diffusé des messages officiels menaçant de poursuites ceux qui hébergeraient ou emploieraient des migrants subsahariens en situation irrégulière. Dans un tel climat, les amalgames sont devenus monnaie courante, et les pratiques discriminatoires se sont banalisées. Et comme souvent, ce sont les plus vulnérables et les plus visibles qui en paient le prix. Mais comme le rappelle Fatma Ben Barka Messaoudi, le combat continue. Et il passe aussi par la parole, la dénonciation, et le refus de se taire.