Interview de Me Abderrazak Kilani président de la section de Tunis La section de Tunis du Conseil de l'Ordre des avocats qui compte plus de 5000 avocats sur les 6800 inscrits au barreau tient aujourd'hui à 15 heures à l'hôtel El Mechtel de Tunis son Assemblée générale annuelle. Un rapport moral et financier couvrant l'année judiciaire 2007-2008 sera présenté puis débattu par l'assistance. A cette occasion nous avons invité Me Abderrazak Kilani président de la section. Il nous parle de la profession, du bilan de cette année des préoccupations des avocats et d'autres questions. Interview.
• Quelle est la situation de la profession, en générale ? Me Abderrazek Kilani : Nous vivons un problème très grave c'est que plusieurs dizaines de confrères sont inscrits au barreau et censés être en situation d'exercice alors qu'ils ne le sont pas : certains exercent d'autres professions alors que d'autres se trouvent même à l'étranger. Ensuite, plusieurs avocats stagiaires sont aujourd'hui sans cabinet de stage pour avoir quitté ce dernier suite à des différends avec le patron de stage ou ayant bénéficié d'une attestation de complaisance pour compléter leur dossier d'inscription au barreau. Cette situation risque de porter un préjudice irréparable à la profession. C'est la raison pour laquelle le conseil de la section a mis en place toute une structure dirigée par un membre du conseil pour arrêter ce fléau et a averti les confrères de la gravité de la délivrance de telle attestation sur l'avenir de la profession. Il y a aussi le problème de la réquisition des avocats stagiaires: une dizaine de stagiaires ont aujourd'hui le monopole de ces réquisitions, ils obtiennent 5 à 6 par jour alors que plus d'un millier de stagiaires attendent des fois plus d'un an. Nous avons essayé de régler ce problème en mettant en place un registre d'inscription pour que le président de la section compétent selon la loi désigne conformément à l'ordre établi les avocats réquisitionnés. Ceci, afin de garantir l'équité entre les confrères mais aussi et surtout pour préserver leur dignité et celle de la profession. Des démarches ont été entreprises auprès des autorités judiciaires compétentes pour régler ce problème qui reste entier malgré la compréhension trouvée auprès de certains magistrats. Le Conseil de la section pense que la situation est grave puisqu'un constat établi la semaine dernière par le Conseil de la section a révélé que les stagiaires réquisitionnés ne se présentaient pas en personne pour plaider tandis que d'autres se contentaient de présenter des conclusions écrites avec en main un dossier contenant cinq ou six pages (l'Arrêt de la Chambre d'Accusation) pour des affaires criminelles très importantes . Par conséquent, nous sommes aussi inquiets de voir que le droit qu'a chaque citoyen de bénéficier d'une défense libre, indépendante (si le juge charge les mêmes avocats) et surtout compétente disparaisse (aucun avocat ne peut traiter cinq ou six affaires criminelles par jour). Maître Samir Annabi m'a révélé qu'une juridiction américaine avait annulé une décision parce que l'inculpé avait été mal défendu. Pour le bien de tout le monde et pour l'intérêt général je pense que l'administration doit intervenir pour régler ce problème. D'ailleurs le Conseil de la Section a décidé de la saisir officiellement. • Quel est le bilan de votre mandat pour cette année judiciaire ? A la section de Tunis on a essayé de ne pas laisser s'accumuler les dossiers et de gérer le quotidien sans faire souffrir les avocats ou les justiciables d'un quelconque retard par la présence presque permanente de tous les membres du conseil et aussi par ma présence personnelle. Puis comme je l'ai annoncé dans mon programme électoral et vu le besoin pressant d'entendre les jeunes et par la crainte exprimée par des confrères et moi-même de voir un jour notre déontologie disparaître nous avons organisé des cycles de formation en matière de déontologie. Ces cycles ont connu une présence massive des jeunes confrères ce qui prouve leur adhésion totale à cette initiative et une preuve qu'ils souhaitent plus d'encadrement. Aussi avons-nous organisé une rencontre sur le devenir de la profession vu que nous avons constaté un piétinement sur notre champ d'intervention. Nous avons appelé les confrères à réfléchir sur les moyens et les mesures à prendre pour préserver notre champ d'intervention face aussi à l'ouverture des frontières due à la mondialisation qui risque de voir prochainement un grand nombre de cabinets étrangers venir s'installer dans notre pays. Il y a aussi notre inquiétude de voir nos honoraires figés depuis des années. Nous avons invité certains acteurs de la vie économique (assureurs, banquiers) pour leur faire prendre conscience que c'est dans leur intérêt que les honoraires des avocats soient respectables. • Quelles réformes préconisez-vous ? Il faut que les avocats s'attachent à être à jour au niveau de leur formation scientifique afin de faire face à une éventuelle concurrence étrangère qui peut être néfaste pour l'avenir des jeunes avocats. • Comment expliquez-vous que beaucoup d'avocats n'aient pas adhéré à la nouvelle caisse d'assurance et de prévoyance sociale ? A mon avis ce n'est pas le manque de volonté mais une situation matérielle précaire qui explique que plusieurs confrères n'ont pas adhéré la preuve, nombreux sont les avocats qui n'ont pas pu régler leur cotisation annuelle. • On vous reproche d'être sévère et de faire comparaître devant le conseil de discipline des confrères pour un oui ou pour un non ? D'abord depuis mon élection seuls 16 confrères ont comparu devant le conseil de discipline et ce, pour des causes graves. En plus j'ai déjà annoncé et malgré le fait que légalement le président de la section ait le droit de prendre la décision de traduire un avocat devant le conseil de discipline que je ne prendrai pareille décision qu'après avoir consulté les membres de la section. Je suis un juge élu et j'ai le devoir d'être équitable en plus je suis contrôlé par le conseil de discipline qui statue sur ma décision et par la Cour d'autant plus que nous travaillons dans la transparence la plus totale. De même pour la taxation des honoraires on l'a décidé ensemble bien que la loi me donne le droit de décider seul. • Quels sont vos rapports avec le Conseil de l'Ordre ? On essaye de collaborer dans le respect mutuel et le respect des institutions et surtout de nos confrères. Le message que je veux transmettre est de travailler dans un cadre institutionnel qui peut connaître des avis et c'est la majorité qui décide. • Est-ce que vous allez vous présenter pour le bâtonnat ? Vous savez, la majorité des confrères pensent que la politique de populisme et de clientélisme a porté un préjudice énorme à la profession et que personne ne peut prétendre servir ses confrères et défendre la profession s'il met en avant ses ambitions personnelles et ses calculs électoraux. Durant toute ma carrière professionnelle, je n'ai fait aucun calcul (ça peut faire mal des fois) et mon ambition demeurera toujours la défense de la profession. D'ailleurs, on n'en ait pas encore là. Interview réalisée par Néjib SASSI