De l'odeur de l'anis au parfum de la réglisse Traditionnellement, sur l'ensemble du territoire tunisien, les sucreries du Ramadan c'étaient d'abord les zlabia et mkhareq, avec les spécialités régionales célèbres, celles de Béja et de Nabeul en particulier. Tout le monde a entendu parler, ou goûté, à ces fameux pots d'argile, hermétiquement fermés, qui maintenaient les produits à l'abri de l'altération de l'air et de la lumière, gardaient si bien la chaleur et qu'on pouvait les emporter très loin. Dans le temps, on disait même que certains artisans faisaient macérer les m'khareq dans du vrai miel à la place du sirop de sucre !! Bien sûr, il y avait aussi les particularités locales, à Tunis essentiellement : les petites sucreries de la soirée étaient confectionnées à la maison, bouza, balouza, louziya, pratiquement inconnues ailleurs, ainsi que les ktaéfs et les samsa de différentes formes géométriques et fourrées selon les moyens. Un savoir-faire transmis de mère à fille. Dans les villes, on proposait aussi du halkoum, du nougat, de l'harissa( semoule arrosée de sirop), et on buvait de l'orgeat ou de la grenadine. Après l'indépendance, le mouvement migratoire intérieur, l'apport de la radio et de la télé, le développement de l'industrie laitière, des préparations toutes prêtes aidant, vont chambouler toutes ces habitudes locales .Les nouvelles coutumes généralisées de la surconsommation de sucrerie et de pâtisseries pendant le mois de Ramadan vont donner une puissante impulsion à ce secteur. Très vite, deux ou trois grands noms vont accaparer le créneau de la pâtisserie tunisienne. Puis, lentement, çà et là, des petites unités, des ateliers clandestins, de la production artisanale, dite « maison », vont voir le jour. Un secteur où les tromperies sur les composants et la qualité des produits sont monnaie courante, une hygiène douteuse, si on ne fait pas attention. Evidemment, les marchands de beignets vont eux aussi profiter de ce mois pour proposer une production complémentaire : on voit ainsi dans chaque boutique une dizaine d'employés, des « extras », à frire de la pâte et à la plonger dans du sirop de sucre. Une multitude de makroudhs, d'oreilles de cadhis de toutes dimensions, des doigts de Fatma, des cornes de gazelles s'amoncellent ainsi sur les étals de la devanture.
La pierre précieuse !! Une bizarrerie, rue du Miel, à Bab El Assel. Habituellement, on trouve très peu de pâtisseries mitoyennes, et généralement, elles font tout pour se particulariser des voisines, en proposant un produit nettement différent. Or là, c'est un cas d'espèce. Il y en a quatre, oui quatre entreprises, appartenant à des personnes différentes. Deux paires qui se font face. Mieux, elles se spécialisent toutes dans la pâtisserie dite « tunisienne », c'est-à-dire tout ce qui est fait à base de fruits secs, amande, pignon, et pistache essentiellement. Pas de génoise, ni crème anglaise, ni chantilly. Plus encore, elles portent pratiquement la même enseigne et le même nom commercial, celui d'une pierre précieuse.....et cela semble ne gêner personne. Si quand même, quand on fait bien attention, c'est l'une des quatre qui est tout le temps pleine à craquer, à tout moment de la journée, il faut jouer des coudes pour arriver jusqu'au comptoir. Des prix très abordables, par rapport à ce qui se fait ailleurs, dans les maisons à la réputation bien assise, pour une qualité équivalente, sinon meilleure...On est servi avec le sourire malgré l'exiguïté des lieux, la bousculade. La demande importante fait que tout est toujours frais ici.
Du sésame grillé Dans ces dédales qui s'enfoncent dans la Médina à partir de Maaqel Ezzaïm, rue Sidi Ettindji par exemple, où la moindre masure est louée à prix d'or comme dépôt de marchandises venant d'Asie, on voit, à travers des portes à demi entrouvertes, de minuscules ateliers, les murs garnis de faïence jusqu'au plafond. Des petits pétrins mécaniques qui malaxent de la farine, des amoncellements de packs d'œufs, des berlingots de lait, de petits engins munis d'un entonnoir qui laissent gicler la pâte à cuire, des fours électriques de petites dimensions. Un ou deux ouvriers par atelier, en tricot de corps, short, et parfois même une petite toque. On en compte une bonne dizaine, entre cet endroit et Bab Jdid. Cela tourne sans interruption, nuit et jour. Un souffle chaud vous enveloppe quand vous passez devant. Des odeurs de vanille, des mélanges d'arômes imprègnent les ruelles. On reconnaît parfois la particularité du sésame grillé, douçâtre, ou celle de l'anis vert, si enivrante. On fabrique à longueur de journée des biscuits simples, des sortes de « kaâk » de forme longiligne ou circulaire, striés, parfois fourrés aux dattes. Des petits fours aussi, on les appelle les « freshq » ici. Des madeleines bien potelées et même des cakes à un dinar la pièce. Ni seaux de crèmes anglaise, ni chocolat, ni crème au beurre. Que des produits qui se transportent facilement, se gardent longtemps, qui craquent sous la dent et c'est agréable. Les prix pratiqués par les commerçants spécialisés en la matière de la rue El Miqtar sont plus qu'abordables pour le citoyen à petit revenu, et qui ne peut se payer des gâteaux supposés être à base d'amandes pures.... On vous propose ces produits bien chauds, à peine sortis du four, à 2d 800 le kilo. On se les arrache. Là aussi, ça marche à la réputation. Il faut se dépêcher pour avoir sa part, chez Tahar. On le reconnaît facilement, il est noir et a un belle moustache poivre et sel.
Ah ! la réglisse ! Quand on y arrive par la rue de Rome, ou par la rue d'Athènes, c'est l'avant dernière boutique à droite, avant la rue des Salines. Un immeuble rococo, qui domine la place Ali Zouaoui, avec balcons à colonnes, l'un des derniers à Tunis. Toute la devanture est d'une extrême discrétion : une simple peinture à l'huile vert pistache, refaite il y a quelques jours à peine, aucune enseigne, aucune lumière agressive, aucune pancarte signalant l'activité de la boutique. Rien en vitrine. Aucune lumière clignotante, ni de vraies fausses pièces montées ou de meringues en plastique pour décorer. Quand le rideau est tiré, rien n'indique que c'est une pâtisserie. A l'intérieur, de la faïence à l'ancienne partout, un comptoir de bois, un téléphone et du papier découpé qui sert à prendre commande. Quelques mètres carrés. Au fond, près du lavabo obligatoire, une porte : le labo où s'activent des doigts invisibles, mais d'où s'échappent des effluves. Un mélange de vanille, de réglisse, de cannelle. Le goût épicé des amandes grillées. Sobriété et rigueur. Etagères avec juste des bocaux à bonbons ventrus, vides aussi, et qui racontent l'histoire. Paquets d'emballages blancs, de différentes dimensions, avec les noms de ceux qui ont fait commande, dès le matin, par téléphone en général. Sans aucune indication, pas de publicité, pas de marque distinctive, contrairement à tous les autres qui mettent le nom de l'entreprise d'abord. Ils viennent tous chercher leurs paquets à 14h au plus tard. La boutique ferme à 16h, Ramadan ou pas. « Des clients fidélisés », me dit Jean, qui tient la boutique aujourd'hui. « Je suis la troisième génération, et je continue d'utiliser les mêmes matières premières que mon père et mon grand-père, et les mêmes recettes ». Cela se voit et cela se sent. Les millefeuilles sont prêts vers la mi-journée : ce ne sont pas ces masses rectangulaires jaunâtres, gélatineuses, et trop sucrées qui vous remplissent la bouche d'on ne sait quelle matière visqueuse, non, c'est d'abord un gâteau qu'on peut tenir en main : c'est croustillant quand vous mordez dedans, et goûteux !! Des millefeuilles vraiment à l'ancienne. Un vrai travail d'artisan, le reste aussi. Des sablés, des petits fours, le « spécial » est un vrai délice, avec des arômes à deviner. Juste quelques spécialités connues, d'une clientèle fidélisée, qui transmet le relais à ces enfants, « des générations de clients » insiste Jean. Des innovations ? Des adaptations ? « Non, la tradition avant tout! On continue avec ce qu'on nous a appris». Une main d'œuvre fidèle, elle aussi, formée sur place, par les plus anciens. Là aussi, la tradition prime.