A l'avènement de la colonisation française, les fellahs étaient peu à peu dépossédés de leurs terres, au profit de pseudo-agriculteurs auxquels ces terres étaient cédées à bas prix. Comme le précisait Jean Poucet : « les premiers colonisateurs français de la Régence n'ont pas été de véritables agriculteurs, mais plutôt des spéculateurs ou, tout au moins, une aristocratie de propriétaires absentéistes et de gros exploitants indirects ». Ces colonisateurs venaient chercher fortune en Tunisie et placer une partie des fonds qu'ils faisaient insuffisamment fructifier en France » Ce fut, d'ailleurs, dans cette optique qu'une commission française nommée dès l'occupation du pays, avait pour tâche la réalisation d'une exploitation moderne des terres, jusque-là travaillées avec les faibles moyens donnés aux fellahs. « Un nouveau contrôle général pour aider les colons et les protéger contre les Arabes » a été également crée, tel que le note Mahmoud Abdelmoula dans son ouvrage : La Tunisie « protégée » par la France et qui précise dans le renvoi en bas de page : « Cette commission se composait de hauts fonctionnaires, de journalistes et de publicistes comme Massicault, l'ancien ministre, Leroy-Beaulieu, l'économiste bien connu et le directeur de la revue Débats, Paul Bourdes de la rédaction du Temps ». En outre, l'Etat s'appropria les terres « Habous », qui sont en principe inaliénables dans la Chariaâ. Les « Habous » sont en effet des biens destinés pour venir en aide aux nécessiteux ou aux économiquement faibles. C'était en général, des particuliers qui faisaient des legs à caractère socio-religieux. Beaucoup de habous étaient les propriétés de gens pieux marabout ou dignitaires religieux, tels le habous de Sidi Mehrez ou Sidi Ben Arous (à la région actuelle de Ben Arous où les terres appartenaient à ce grand marabout). A l'avènement de l'indépendance, tous les habous furent liquidés au profit des ayant droits, mettant fin ainsi aux abus de certains propriétaires, qui loin de faire acte de bienfaisance, cherchaient par ce moyen à priver certains héritiers indésirables. Le contexte n'était pas le même durant la colonisation, où les autorités cherchaient à avoir la main mise sur toutes les terres, qu'elles fussent cultivées ou pas. Un décret de février 1892 permit de céder les terres aux colons à raison de 10 frs l'hectare. Ainsi des domaines étaient créés par des Français, tels que Boucher, sénateur et ancien ministre qui s'appropria à lui seul 10.000 hectares, Cochery député du Loiret et ministre également, Regnault, ancien Résident Général du Maroc et ambassadeur au Japon et Serres, contrôleur civil. Toutes ces personnalités avaient acquis ces terres, appelées pour la plupart « les terres Sialines » du côté de Sfax ( du nom du propriétaire Siala) au prix de 10 frs l'hectare. Ainsi, en 1892, les colons occupaient environ 443.000 ha, dont une partie appartenait à des sociétés dont la Société marseillaise de crédit qui avait à elle seule 100.000 hectares environ. Jean Poucet faisait remarquer à ce propos : « L'implantation dans la campagne de Tunisie durant les dix premières années du protectorat (1882-1892), d'une petite minorité de grands colons propriétaires de 400.000 ha... Avec cette période, s'achève la première phase de la colonisation européenne dans la campagne de Tunisie. C'est, en effet, alors que le gouvernement français décida d'intégrer définitivement la Régence à la sphère économique française ». Dans le même ordre d'idées, le professeur tunisien A.Mahjoubi parle de la pénétration du capitalisme français en Tunisie ». Celui-ci avait, en effet commencé par la spéculation des terres tunisiennes par l'occupant français.