« Stoura » était un bon vivant qui avait mené une vie normale, avec une jeunesse assez mouvementée et pleine d'aventures. Il n'avait pas fait beaucoup d'études, s'étant arrêté au bac, pour abandonner après avoir tenté de l'obtenir à six reprises. Il pouvait le décrocher par ancienneté, mais cette possibilité n'a jamais été prévue dans le barème d'admission à l'examen depuis l'institution de ce diplôme par Napoléon. Aussi Stoura décida-t-il de chercher une occupation par laquelle il pouvait subvenir à ses besoins et faire face également aux multiples dépenses nécessitées par les diverses activités d'amusements et de divertissements auxquelles il s'adonnait sans cesse. A quarante ans, il était encore célibataire et n'avait pas trouvé l'heureuse élue, tellement il était indécis et surtout volage. Le voilà marié à quarante-cinq ans, avec presque plus de vingt ans de carrière dans le travail de commis en connaissement, où il s'était engagé depuis qu'il avait abandonné les études. Au fil du temps, et avec le mariage dont étaient issus trois enfants, il s'était de plus en plus assagi et commença à réduire de plus en plus ses sorties pour ne s'occuper que de sa famille. Brusquement, il s'arrêta de boire et aussi de fumer. Depuis, son caractère a changé, ainsi que son comportement. Il devint grincheux et regardait de travers tous ceux qu'il voyait fumer dans la rue. Il interdit à tous ceux qui le visitaient, chez lui, de fumer et n'hésitait pas à faire des réprimandes à tout celui qui se hasardait à allumer une cigarette par mégarde. A la retraite, il devint de plus en plus pieux et se mit à faire la prière, qu'il n'a jamais faite jusque-là. Il commença alors à critiquer tous ceux qui ne font pas la prière ou qui ne vont pas régulièrement à la mosquée. Il les traitait de mécréants et de suppot de Satan. Bref, plus il devenait pieux, plus il devenait intolérant. En famille, il était à l'affût de la moindre attitude de sa femme ou de ses enfants qu'il interprétait comme une enfreinte des préceptes religieux, pour faire un scandale et les couvrir d'opprobre. Le prédicateur de la mosquée où il allait régulièrement avait beau lui expliquer que la religion musulmane est fondée sur la tolérance, et lui citer les multiples hadiths du Prophète Mohamed en ce sens, dont celui qui déclare que : « C'est dans la différence qu'il y a le salut »... ou les multiples Versets du Coran, mettant en garde les fidèles de bien se préserver de semer la discorde entre eux, celle-ci étant plus grave que « le crime de meurtre ». Il n'en était rien. Il persistait et signait. Le voilà hissé au rang de Haj après avoir accompli les rites du pèlerinage. Il en était content et fier,mais sombrant de plus en plus dans l'intolérance. Au sein de sa famille le voilà, désormais, isolé la plupart du temps dans sa chambre. Mais en sortait-il qu'il trouvait toujours matière à critiquer le comportement de son fils, féru de théâtre, pour lui reprocher d'aller assister régulièrement à des représentations au lieu de se consacrer à la mosquée. A ce propos, son fils lui cita cette anecdote bien connue du Khalife Omar Ibn Al Khattab qui ayant constaté qu'une personne était constamment à la mosquée lui dit : « Qui subvient à tes besoins ? », « C'est mon frère », lui répondit-il. « Il a plus de mérite que toi », lui rétorqua-t-il, avant de l'inciter à sortir pour aller trouver du travail, presqu'en le renvoyant de la mosquée. Stoura, écarquilla les yeux et d'un mouvement devenu presque automatique, il roula l'un des bouts de sa manche en appliquant simultanément le pouce et l'indice puis répondit à son fils : « Omar Ibn El Khattab est un Khalife sensé, très pieux et très croyant ; il a dû renvoyer ce bonhomme parce qu'il trouvait qu'il était mécréant ! ». Il ignorait que ce Khalife surnommé « Al Farouk » (le tranchant), cherchait , constamment, à être équitable, essayant de trancher dans tout problème ou tout litige qui lui étaient soumis, en tant que chef suprême des Musulmans. C'est lui qui avait institué un système de sécurité sociale dont bénéficiaient une large couche des démunis. S'il avait combattu avec ferveur les renégats (Ahl Arrida) il avait, par ailleurs, respecté la liberté du culte, en imposant, toutefois, une taxe pour les non-musulmans. Les Musulmans, quant à eux, payaient la « Zaket » qui est un impôt sur le revenu. Mais Omar Ibn El Khattab était tolérant et parmi les meilleurs défenseurs de la liberté de l'Homme de quelque bord qu'il fut. Ne s'est-il pas exclamé, en s'insurgeant contre l'esclavage. « A quel titre vous en faites des esclaves de ceux qui sont nés pourtant libres ! ». Le fils de Stoura débita à celui-ci toutes ces informations qu'il avait récoltées à travers ses lectures, ou appris de ses maîtres au lycée ou à la faculté. Mais il était loin de convaincre son père qui paraissait au fond de lui même quelque peu perplexe, bien que restant sur sa position. Son fils l'avait compris et pour clore la discussion il lui dit : « Il faut essayer de nous comprendre en nous laissant tenter une expérience, comme tu l'as déjà fait. C'est toujours enrichissant pourvu que ça ne nuise à personne. Le tout c'est d'essayer de nous comprendre. C'est ça la tolérance, sans dogmatisme, ni préjugé, ou idées préconçues, car la vérité est quelque chose qui reste toujours difficile à atteindre et à réaliser. En tous les cas, sans la tolérance on ne peut jamais tendre vers la vérité. C'est cela le bon sens, qui est la chose au monde, la mieux partagée comme l'avait si bien dit le philosophe français René Descartes, qui déclare, également, que Dieu est le garant du système de la connaissance. En effet, n'est-il pas énoncé dans l'une des Versets du Saint Coran : « Vous ne pouvez acquérir de la science que du peu ».