L'Egypte mise à part, la plupart des pays arabes voient le nombre de leurs salles de cinéma diminuer à une vitesse effrayante. Actuellement, il reste moins de 400 cinémas pour près de 300 millions d'habitants. En Tunisie, seules 16 salles sont aujourd'hui ouvertes au public. La capitale Tunis n'a gardé que la moitié de ses salles tandis que les deux autres grandes villes du pays, à savoir Sousse et Sfax, n'abritent en ce mois d'octobre 2008, qu'une salle unique chacune. A l'intérieur du pays, tous les cinémas ont quasiment fermé ; seule la ville de Bizerte a encore deux salles. Il y a 30 ans, les salles obscures étaient fréquentées par un public très large de cinéphiles cultivés ou par des amateurs d'action et de mélos américains et égyptiens qui sacrifiaient parfois le prix de leur repas pour se payer un western, un policier ou une comédie musicale avec pour héros principal leur chanteur préféré. Les journaux annonçaient quotidiennement les programmes proposés par près de trente salles ; alors que de nos jours 5 ou six salles seulement communiquent de manière régulière les films programmés et les horaires des séances. Avouez qu'avec de tels chiffres, il n'y a pas de quoi être fiers surtout que le pays s'apprête à organiser la 22ème session du Festival Cinématographique International de Carthage ! Mais au-delà des comparaisons nostalgiques, un autre aspect de cette triste réalité mérite d'être étudié ; nous essayerons en effet de répondre, avec un maximum d'échantillons, à la question suivante -o combien amère- : que sont nos cinémas devenus ?
Des boutiques et des gargotes A Tunis, la toute dernière salle à fermer ses portes est Le Capitole qui, en vertu d'un arrêté ministériel connu, ne pourra changer complètement de vocation que dans cinq ans. D'autres cinémas l'ont déjà fait comme Le Studio 38 métamorphosé en petit centre commercial moderne, Le Palmarium transformé en grand centre commercial à plusieurs étages et abritant un nombre considérable de boutiques et de magasins d'un standing relativement élevé ou Le Ciné-Monde devenu depuis quelque temps déjà, un magasin de meubles de marque. Le Ciné-Soir est fermé depuis les années 90 ; il a été exploité après sa fermeture d'abord comme immense magasin de friperies ; ensuite comme pâtisserie artisanale mais ce dernier commerce n'ayant pas réussi aux gérants des lieux, la salle est à présent de nouveau fermée. Le Cinéma El Qods est remplacé par un petit hôtel ; Le 7ème Art, son frère jumeau a survécu, mais sa porte comme son enseigne sont à peine visibles. Le Palace et Le Parnasse sont encore ouverts ; mais les deux salles ont consenti beaucoup d'espace aux commerces de tous genres. Le Palace semble même avoir perdu son enseigne sous les affiches et les banderoles qui couvrent sa façade ; quant à l'entrée du Parnasse (la salle de projection, bien sûr), il faut se renseigner auprès des clients ou des commerçants du centre pour pouvoir la retrouver ! Le Champs Elysée, fermé depuis quelques bonnes années maintenant, ressemble, à côté des commerces voisins complètement rénovés, à une fausse note dans une belle partition : ses murs lézardés, ses couleurs déteintes et ses portes défoncées l'apparentent désormais à une ruine, ou à un manoir hanté digne des films d'horreur que la salle programmait souvent autrefois ! Le Biarritz, fermé depuis on ne sait quand, tant cela est loin, est perdu au milieu des gargotes du petit passage entre l'Avenue de Carthage et la Rue Ibn Khaldoun. C'est aussi un bâtiment en ruine qui semble avoir désespéré d'être un jour remis à neuf. Pour Le Colisée, sa fermeture actuelle est momentanée ; on réaménage la salle en effet en vue des prochaines journées cinématographiques. Ce qui étonne néanmoins à propos de cette salle qui fut longtemps la fierté de ses propriétaires et des cinéphiles tunisiens, c'est d'abord la qualité de plus en plus médiocre des films- érotiques essentiellement - qui y sont depuis des années proposés. D'autre part, on vient d'apprendre que contrairement à la tradition, Le Colisée n'accueillera pas, cette année, la cérémonie d'ouverture du festival. Elle aurait lieu au Théâtre Municipal pour, dit-on, sa plus grande capacité d'accueil ! Comme si pendant les sessions passées, le cinéma pouvait recevoir plus d'invités qu'aujourd'hui. Et puis n'est-ce pas quelque part gênant qu'un festival de cinéma tienne sa séance d'ouverture dans un théâtre ! N'est-ce pas un signe supplémentaire de la crise que connaît le 7ème art dans nos contrées ?
Peau de chagrin A l'intérieur du pays, les données ne sont pas plus reluisantes. La peau de chagrin s'est rétrécie d'une manière telle que dans peu de temps, il n'y aura plus rien à raccourcir ! A Sousse, la Perle du Sahel comme dirait l'autre, a perdu les trois salles du complexe Ennejma qui sont fermées depuis près de trois ans. Il y a quelques mois, le gérant de l'ABC a emboîté le pas à la direction d'Ennejma et a décidé la fermeture de sa salle. Quant au Vox, fermé depuis très longtemps, il fait désormais partie du passé de la ville dont on n'a plus de trace, sinon dans les mémoires des plus de 50 ans ! Seul le Palace, modeste salle de l'Avenue Habib Bourguiba, survit tant bien que mal à la crise ; sa position de salle unique n'a nullement l'air de lui ramener une clientèle nombreuse ; au contraire certains jours, la grise mine que fait le personnel du cinéma augure d'une fermeture imminente du commerce. Sfax n'est pas mieux lotie : Le Baghdad est remplacé par un hôtel-restaurant ; sur les lieux de l'ancien Vox, sont engagés depuis un certain temps les travaux de construction d'un grand immeuble. El Kawakeb et Ennour sont toujours fermés. L'Atlas est la seule salle ouverte de la ville. Au Nord et plus précisément à Béja, L'Afrah (autrefois appelé L'Idéal) est proposé à la vente, sans doute comme fonds de commerce puisque la salle est fermée depuis plus de cinq ans. Quant au Vox, son gérant dément les rumeurs qui circulent sur son éventuelle fermeture et assure que sa salle est encore ouverte aux cinéphiles de la ville. Du côté de Jendouba, il n'y a plus de salle de cinéma : Le Régent, qui a fermé ses portes vers la fin des années 80, a cédé la place à des gargotes et à des petits commerces. La fermeture du Casino est plus récente et le bâtiment a- vous vous en doutez bien- beaucoup perdu de sa superbe. Hall et intérieur totalement couverts de poussière, fauteuils en piteux état, écran tout noir, vitres brisées et portes chancelantes, c'est ce qui reste du petit joyau d'autrefois. Aux alentours, ça pue l'urine et le caca, relents d'une crise qui risque de faire d'autres victimes dans les prochains mois ou les prochaines années.