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Emigration clandestine : Chronique d'un échec collectif
POINTS CHAUDS
Publié dans Le Temps le 26 - 01 - 2009


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Témoignages : Waêl, un émigré clandestin expulsé d'Italie : « Je regrette mon lopin de terre vendu pour des projets chimériques »
170 millions de migrants légaux dans le monde. Sans doute 20 ou 30 millions d'illégaux, dont 4 millions dans l'Europe des vingt-sept. Un trafic humain estimé par les experts à quelque 15 milliards de dollars par an, organisé par d'habiles passeurs et de cyniques parrains.
Avec, pour principales destinations, les Etats-Unis, qui n'ont jamais accueilli autant d'étrangers depuis la vague d'immigration du début du siècle, et l'Union européenne, une forteresse dont l'idéal semble être la "tolérance zéro". Derrière ces chiffres, il y a la tragédie de ces clandestins noyés en mer ou morts sur les sentiers de l'Eldorado. Tout le monde se rappelle le drame de ces travailleurs philippins battus, celui de ces enfants mexicains travaillant en Amérique du Nord et de ces filles russes faisant partie des réseaux de traite des blanches...En Tunisie, on se rappelle des multiples épisodes de problèmes avec la Libye et des différentes tentatives de passer clandestinement en Italie. La dernière en date, se produisant il y a une semaine à la Marsa, n'a pas encore livré tous ses secrets.
Immigré, une profession ? Une profession de foi en un avenir meilleur assurément. Mais, émigrer, n'est-ce pas une prétention vaine ? Quel est le prix à payer pour tous ceux qui, malgré des barrières quasi infranchissables entre les deux zones du monde (Nord/Sud) osent braver le franchissement de tous les remparts ? Quelles sont les raisons impérieuses qui poussent tant d'individus, citoyens des pays du Sud ou de l'Est à se jeter sur les routes de l'émigration ?
Pour mettre un terme à ces drames devenus quotidiens au Sud de la Méditerranée ou ailleurs dans d'autres contrées de notre planète, il faut envisager un développement global soucieux d'établir, sur toute la terre, le plus d'équilibre possible entre les croissances économiques et les responsabilités sociales. Un autre monde humain est possible si on le veut : un monde plus juste, plus équitable, plus durable, plus solidaire ; dont l'économie serait davantage complémentaire que concurrentielle. Sans l'engagement de l'humanité future dans la perspective de l'économie complémentaire, on sera toujours dans la logique de la concurrence commerciale qui est, par nature injuste, selon les lois de la nature et non de la raison ou de l'humanité. Dès lors ce sont toujours les forts de fait qui gagnent. On comprend aisément qu'encourager les pays du Sud, par exemple les pays africains, à se développer suivant la logique de l'économie occidentale actuelle, n'a aucun sens.
Plus que l'aide publique au développement des pays pauvres, des investissements de pays à pays ou privés, les micros projets des ONG et des Associations sont de nature plus efficaces. Celles-ci travaillent de concert avec les populations locales, tâchant de les impliquer dans l'acheminement à leur terme des projets, en ce que ceux-ci les concernent en tout premier lieu. C'est ainsi que, sans l'action remarquable des ONG et des Associations, les populations auraient certainement plus de difficultés de survie. Ces organisations souvent philanthropiques s'activent dans les divers secteurs de la réalité de leur vie : des méthodes nouvelles culturales et de rétention des sols, de la rentabilisation de ceux-ci, des investissements, des centres d'apprentissage des techniques utiles sur place, des structures sanitaires et de loisir, etc.
Toutefois, les hommes des pays du Sud n'attendent pas toutes les initiatives de ceux du Nord. Dans l'ensemble des pays du Sud, en Amérique latine, en Asie, en Afrique etc., l'économie informelle s'organise pour viser à plus de rentabilité par une organisation qu'on pourrait qualifier des plus rationnelles. Cette nécessité répond à des données nouvelles, conséquences de l'économie libérale. Outre l'exode massif qui se poursuit dans ces pays, on sait que, depuis une quinzaine d'années environ, les institutions financières internationales (FMI et Banque mondiale), en voulant gérer l'économie mondiale selon des schèmes régulateurs généraux et simplistes imposés par les technocrates de l'Ecole de Chicago, entre autres, ont contraint les pays du Sud à des mesures draconiennes sans nuance aucune pour des situations particulières. Ces mesures de privations des sociétés publiques les plus rentables en faveur des Fonds de pension occidentaux ont eu pour effet des licenciements massifs, des coupes claires dans les budgets sociaux. Dès lors, des millions de citoyens de ces pays déshérités, pour survivre, n'ont pas eu d'autres solutions que s'adonner au travail informel, lot quotidien d'une vie de « débrouille » ; d'autant plus que le secteur formel n'a pu absorber le surplus de salariés licenciés. Ainsi, dans les années 1990, on a estimé que les revenus du travail informel étaient supérieurs au taux du salaire minimum dans beaucoup de pays du Sud. Et ce travail informel est générateur de potentiels émigrés clandestins car il permet à ses adeptes suffisamment d'argent pour penser à l'émigration.

Courir à sa perte
Malgré le froid et la répression, les candidats à l'émigration clandestine ne se découragent pas. Ils continuent d'emprunter les embarcations de fortune. Les derniers en date en Tunisie, sont les 35 jeunes qui se sont aventurés en mer à partir de la Marsa (Nord de Tunis). Leur aventure continue encore à défrayer la chronique et à tenir en haleine leurs parents. D'après les chiffres donnés dans un communiqué officiel, six rescapés sont aux arrêts, deux sont en fuite et le corps d'un émigré clandestin a été repêché. Aucune nouvelle n'a été obtenue à propos des 26 disparus. Selon les informations disponibles, la felouque volée, à bord de laquelle se trouvaient ces candidats à l'émigration clandestine, a chaviré aux larges de la Marsa. Ce sont les rescapés revenus à la nage qui ont donné l'alerte. La felouque a été ramenée mais pas de traces des 26 disparus.
Ces flux migratoires soulèvent avec acuité l'échec des politiques économiques et sociales jusque-là menées par les pays du Sud. Des politiques qui sont loin de faire sortir du sous-développement une bonne partie des populations. C'est vrai que les clandestins sont eux-mêmes des hors-la-loi. Mais cela ne doit pas dégager la responsabilité qui incombe aux autorités en pareille circonstance, à savoir le devoir d'assistance à ses ressortissants partout où ils se trouvent en situation de précarité dans le monde. On admet cependant qu'il est plus aisé d'assister ceux de ses ressortissants qui vont ou s'établissent légalement à l'étranger. C'est dire que les clandestins ne facilitent pas la tâche à leur Etat.
On peut tout de même dire que c'est bien fait pour ces clandestins qui, aussi paradoxal que cela puisse paraître, ne sont pas les plus mal lotis des masses de leurs pays respectifs, à juger seulement par les sommes qu'ils engagent dans leur aventure. Ainsi, des biens meubles et immeubles sont vendus, et le produit, remis à l'aventurier qui quitte son pays avec pas moins de trois mille dinars (2500 $). Avec cette même somme, en restant au pays, on peut aisément entreprendre une activité porteuse avec, en sus, le bonheur d'être chez soi, de jouir de la chaleur familiale.
La responsabilité de l'Europe est pareillement engagée dans ce drame humain qui se joue aux abords de ce continent. La nature est ainsi faite, l'homme se dirige toujours là où il croit qu'il aura de quoi manger. C'est donc normal que l'Europe prospère attire les Africains en quête de mieux-être. Cette Europe qui refuse de pratiquer à fond la solidarité avec le berceau de l'humanité, qu'elle a pourtant exploité honteusement des siècles durant depuis la traite négrière en passant par la colonisation jusqu'au néocolonialisme politique et économique qu'elle exerce aujourd'hui. L'injustice a souvent caractérisé le rapport avec l'Occident surtout en matière de commerce international qui s'effectue au détriment de l'Afrique. Il y a aussi l'insignifiance, voire la rareté de l'aide publique au développement et de l'aide budgétaire qui sont deux appuis déterminants dans les finances de nombre d'Etats du Sud.

Les raisons profondes de l'émigration
L'émigration est un phénomène socio-économique lié à plusieurs facteurs d'ordre démographique, économique, socio-culturel et politique. Elle touche une bonne partie des pays du Sud et n'épargne pas le Maghreb. Plusieurs raisons se trouvent à l'origine de ce phénomène socioéconomique. Tout d'abord, la croissance démographique élevée agit directement sur le marché du travail où la demande additionnelle d'emploi devient de plus en plus difficile à satisfaire. La population active est de plus en plus instruite et le chômage atteint également les diplômés. L'afflux croissant des femmes sur le marché du travail, s'accompagne d'une augmentation des demandes féminines d'emploi non satisfaites. Les secteurs porteurs et à haute valeur ajoutée demeurent peu créateurs d'emplois. La réglementation du travail n'arrive pas à concilier les entrepreneurs et les travailleurs. Les politiques actives de l'emploi restent peu efficaces et mal évaluées malgré les multiples programmes. Ceci sans occulter les disparités économiques entre les deux rives de la Méditerranée qui constituent l'un des principaux facteurs générateurs d'émigration. Le revenu national par habitant, dans les pays maghrébins, est beaucoup plus faible que celui des pays de destination des flux migratoires.
Tous les rapports sont à revoir et à corriger si vraiment on veut réduire comme peau de chagrin ces importants flux migratoires d'Afrique vers l'Europe. Il faudrait aussi encourager, voire contraindre les pays africains à pratiquer la bonne gouvernance à tous les niveaux ainsi qu'une véritable démocratie. Toute initiative qui ne s'inscrira pas dans ces schémas ne sera que de la diversion et dans ce cas, rien ne pourra arrêter les flux migratoires pas même les barbelés ou les risques divers que courent les clandestins. C'est un problème global auquel il faut une solution intégrale. Il est donc nécessaire que s'ouvre un débat, mais un vrai débat entre Occidentaux et Africains pour discuter franchement de ces questions.

Témoignages : Waêl, un émigré clandestin expulsé d'Italie : « Je regrette mon lopin de terre vendu pour des projets chimériques »
Si l'émigration clandestine est une solution de désespoir, il n'empêche qu'elle ne soit pas à la portée de tout le monde. Les « passeurs » professionnels sont exigeants. Le montant diffère suivant les filières mais il ne descend pas sous la barre de deux mille dinars. La filière libyenne dépasse même les trois mille dinars.
Ces réseaux sont certes opaques et il n'est pas facile de les approcher ni d'en avoir les détails. Mais le hasard a placé un émigré clandestin sur notre chemin et il a accepté de raconter son histoire. Interview :

Le Temps : Comment t'es-tu résigné à émigrer clandestinement ?
Waêl : C'est une longue histoire qui a commencé avec ma séparation de mon ex-fiancée parce que je ne parvenais pas à obtenir un emploi stable. Je gagnais ma vie en travaillant ça et là : dans une huilerie en hiver, manœuvre de bâtiment en été, commerçant itinérant, etc. Je n'arrête pas de bouger. Mais ce n'était pas du tout rassurant et je n'avais pas de véritable statut social. Je m'occupais de travaux subalternes et je suis chômeur aux yeux des autres. C'est pourquoi mon ex-fiancée m'a laissé tomber et a forcé ma décision pour quitter le pays et partir à l'aventure.
. Est-ce que c'est simple de prendre une telle décision ?
- Pas du tout, les émigrés clandestins sont conscients des risques encourus. Ils savent pertinemment que les embarcations sont surchargées et qu'il y a le risque de finir au fond de la mer en cas d'accident, ou entre les mains des patrouilles tunisiennes ou italiennes. Et puis, ce n'est pas évident de trouver rapidement une situation stable en Sicile. Sans parler des risques de tomber entre les mains des « carabinieri ». C'est une décision de lassitude, de désespoir et prétention à un avenir meilleur. L'émigré clandestin veut en finir avec une situation qui le bloque et ne lui permet pas d'avancer.
Il est vrai qu'avec l'argent de l'émigration, on peut monter une petite affaire. Mais, on va vivre dans la misère durant toute sa vie. Donc, émigrer clandestinement, c'est courir le risque. La solution n'est pas rose dans tous les cas de figure. Mais il y a une chance sur deux pour que ça marche. J'ai dû vendre mon lopin de terre pour payer le passeur et emmener de l'argent avec moi en Italie. C'est avec un grand regret que je me rappelle de cette histoire.
. Est-ce que votre traversée a été dangereuse ?
- Il n'y a pas de traversée clandestine qui n'est pas dangereuse. Il est vrai que la météo était clémente lors de notre passage. La mer n'était pas agitée et on a eu également la chance de ne pas tomber sur les patrouilles marines et d'être reçus par des copains en terre italienne. Mais, ceci n'est pas le cas pour toutes les traversées qui comportent des risques évidents et entraînent d'innombrables catastrophes. Il suffit de voir le nombre de victimes déclarées sans parler de ceux qui ne le sont même pas. Une traversée clandestine, c'est un danger de mort. La chance peut sourire pour quelques uns et c'est la richesse au bout de l'aventure.
. Mais, vous voilà de nouveau en Tunisie et en chômage par-dessus le marché !
- Je regrette d'avoir dévié du droit chemin et d'avoir cherché à m'enrichir rapidement. Pourtant, j'avais une situation stable comme travailleur agricole et j'avais même la chance de régulariser ma situation au bout de deux ans. Le gain facile m'a attiré et je m'étais associé à des réseaux illégaux de trafic. Heureusement que ma sanction se soit limitée à l'emprisonnement durant deux ans. Mon ami a été abattu par une bande rivale pendant un règlement de comptes.


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