La nuit tous les chats sont gris ; il faut donc attendre le lever du jour pour les différencier. C'est un peu comme sur les maquettes de tous les grands projets urbanistiques. A y voir l'ouvrage tel qu'il se présenterait à son achèvement, on ne peut que s'émerveiller devant l'ingéniosité de ses concepteurs, leur sens affiné de l'espace et l'harmonie des unités à construire. On se pâme d'admiration aussi devant l'assortiment des couleurs, la beauté des lignes, et la perfection de la finition. La miniature est tellement bien faite, qu'on s'en contenterait presque. S'il s'agit d'une nouvelle administration, on voudrait déjà y choisir son bureau, si c'est un complexe hôtelier, on y prendrait volontiers une suite ; dans le cas d'un stade, on s'y entraînerait tout de suite ; quand c'est une résidence immobilière qu'on projette de bâtir, on achèterait cash trois ou quatre des appartements ou villas esquissés! C'est que chez nous, une fois exécuté, le projet déçoit le plus souvent ses utilisateurs en trahissant mille défauts par rapport au modèle initial. C'est le cas pour un nombre incalculable de gros œuvres qui, dès l'inauguration, parfois, s'avèrent défectueuses à divers niveaux ou tout simplement mis en service sans être vraiment achevées. A Tunis comme dans plusieurs villes du pays, de nombreux bâtiments publics nouvellement construits arborent en très peu de temps des disfonctionnements dans l'un de leurs pavillons ou bien dans leurs équipements techniques. C'est soit un ascenseur qui se bloque à la deuxième semaine de son utilisation, sinon c'est un système de climatisation dont l'installation est erronée ; dans d'autres cas, c'est l'isolation qui laisse à désirer ou alors l'aération, la prévention des incendies, la sécurité des installations électriques. Quand les portes sont solides, ce n'est forcément pas le cas des fenêtres, ni celui des stores. Les bureaux se révèlent étroits, leur éclairage insuffisant et leur carrelage irrégulier. Des fissures apparaissent très vite sur les murs et au plafond dont l'étanchéité ne se vérifie qu'en de très rares occasions. Découvertes tardives Les résidences immobilières qui poussent comme des champignons dans nos grandes villes ne sont jamais convenablement finies. Du côté d'El Mourouj, l'une d'elles proposait en 2003 des appartements « de haut standing » aux acheteurs potentiels. Aujourd'hui, pas un des habitants de la cité n'est satisfait de son logement. Voici ce qu'ils ont découvert après l'acquisition de l'appartement : le revêtement des murs est si mauvais et si fragile que toute tentative d'accrocher le plus délicatement du monde un cadre ou un lustre occasionne un trou disproportionné sur leur surface. Les portes des chambres sont en contre plaqué et craquellent au moindre coup fort. Quand vous vous trouvez dans une pièce mitoyenne avec celle du voisin, vous violez sans le vouloir l'intimité de ce dernier et c'est bien sûr réciproque, l'isolation étant trop faible ou franchement absente des deux côtés. Dans les salles de bains, les fuites d'eau sont légion. Les murs extérieurs sont déjà fissurés ainsi que les terrasses et allées entre les différents pavillons de la résidence. Pour les balcons, la plupart d'entre eux n'ont qu'une fonction décorative.
Pour ne pas tomber du balcon et des...nues ! Ces résidences et ces immeubles portent souvent des noms poétiques enchanteurs : résidence El Ferdaous (Le Paradis), El Hadaieq (Les Jardins), El Wouroud (Les roses), Essaada (Le Bonheur), El Houdou (La Tranquillité) etc. Or, les espaces verts et le calme sont peut-être ce qui manque le plus dans le coin. A Denden et à la cité Khaznadar, les rez-de-chaussée sont loués à des cafetiers et à d'autres commerçants dont les bruits perturbent à longueur de journée la quiétude des habitants. Sur un autre plan, on remarque facilement que l'architecture des lieux ne réserve que très rarement des aires de jeux pour enfants. Les abris de voitures font souvent défaut et quand ils existent, leurs toits résistent très mal aux intempéries. Au bout de quelques mois, le tissu ou la tôle qui les recouvrent finissent par se trouer de partout et par s'envoler. Question sécurité, on déplore l'absence de barrières et de clôtures autour de certains immeubles exposés de jour comme de nuit aux méfaits et forfaits des intrus. A propos des risques de vols, il y a lieu de noter aussi que la plupart des locataires ou propriétaires ont construit à leurs frais des balustrades plus hautes sur les balcons, utiles également pour protéger les petits contre les chutes accidentelles. De tels garde-fous restent par ailleurs indispensables pour ne pas tomber... des nues, en découvrant l'énorme différence qu'il y a entre ce que le projet en miniature promettait et le logement grandeur nature !