Le 20 mars 1956 restera une date mémorable dans l'histoire de la Tunisie. L'évènement était attendu, depuis la signature en 1955 de la convention de l'autonomie interne, malgré ceux qui affichaient leur réprobation à cette convention qu'il considéra comme étant une solution de rechange qui ne faisait que retarder le processus de l'indépendance totale et donner l'occasion au colonisateur de continuer à exercer sa souveraineté sur le pays. Bourguiba qui fit une rentrée triomphale en juin 1955 avait œuvré à convaincre le peuple tunisien que cette étape intermédiaire devait nécessairement amener à la libération définitive du pays du joug du colonialisme Tandis que Ben Youssef réfutait complètement cette idée avec acharnement, s'attachant à inciter les militants et le peuple à l'y opposer par tous les moyens aussi bien à travers les meetings qu'il avait tenus dans plusieurs endroits en Tunisie, ou depuis la Libye et l'Egypte où il s'était ultérieurement exilé. Cela avait altéré cette joie ineffable générée par la nouvelle de la déclaration d'indépendance. Une joie mêlée d'amertume à cause de la grande discorde entre deux militants d'un même parti, ce qui provoquait une situation d'affrontements et de crise dans tout le pays. Cela faisait le bonheur de quelques uns parmi ceux qui voulaient que la situation d'une Tunisie colonisée perdurât. C'étaient ceux qu'on appelait les « vendus », les collabos en quelque sorte. Ceux-là, bien qu'ils ne fussent pas nombreux, fort heureusement, étaient ceux qui généralement tiraient quelques profits du colonisateur. Il y avait d'abord ceux qui avaient occupé de hauts postes de responsabilité dans l'administration coloniale. Certains avaient été chargés de portefeuilles ministériels pour entériner des décisions dictées par des Résidents généraux tels que Lucien Saint, ou De Haute Clocque, qui avaient pour but de faire servir une répression de plus grandissante à l'égard des militants et du peuple tunisien en général. D'autres avaient occupé des postes de Caïds ou gouverneurs à travers les villes où ils avaient semé la terreur au nom de l'autorité française, outre les multiples malversations qu'ils avaient commises pour en tirer des profits personnels et s'enrichir sur le compte de leurs compatriotes lésés et aux droits bafoués. Ceux qui étaient engagés dans la police française n'avaient jamais hésité à tirer sur leurs frères pendant des manifestations anti -colonialistes ou à passer à tabac, un compatriote récalcitrant pour lui extorquer des aveux par la violence. Tous ceux- là étaient pris de court, car au fond ils n'avaient jamais cru à l'indépendance. D'aucuns parmi eux avaient quitté le pays pour aller s'installer en France de peur d'être inquiétés. Cependant les Tunisiens avaient tourné la page, pour laisser ces gens à leur conscience. Tous ceux qui ont connu ce jour, se rappèlleront toujours que la fête avait été annoncée partout dans le pays et cet évènement avait même été annoncé aux lycées et écoles, par les directeurs de tous les établissements. Les youyous des femmes retentissaient chaque fois qu'elles entendaient cette heureuse nouvelle annoncée plusieurs fois à la radio, qu'on appelait TSF à l'époque Plus tard, une fois les Tunisiens avaient pris les rênes du pouvoir, et que le régime changea de beylical en républicain, certains de ces traîtres avaient été jugés pour malversations graves et avérées. Cependant, le peuple avait dépassé toutes les rancunes afin d'œuvrer à l'édification du pays qui recouvra enfin sa souveraineté et sa liberté.