Medeïna : « la petite ville » qui recouvre Althiburos antique est située à une quinzaine de kilomètres au Sud de la route qui relie Jerissa à Dahmani dans le gouvernorat d'El Kef. L'APPROCHE En contournant cette dernière ville par le Sud, deux itinéraires sont possibles: soit gagner Dahmani, à une vingtaine de kilomètres, par la route C 71, soit gagner Jerissa, via Tajerouine par la route P 17 menant à Kasserine. Ce dernier itinéraire ne manque pas d'intérêt. Dès la sortie d'El Kef, tout de suite après avoir traversé le petit Oued R'mel, on rencontre sur la rive droite, le célèbre site paléolithique de Sidi Zin, le plus important de Tunisie. Sa rive gauche est bordée par la colline de Koudiat Soltane qui était la nécropole à dolmens la plus importante de la région jusqu'en 1985, d'après l'Institut National du Patrimoine et qui a été complètement pillée : il ne subsiste plus un seul dolmen, sans que personne ne daigne s'en préoccuper ! Continuons. On traverse, au printemps des champs de céréales opulents dont le vert est lavé d'immenses « lacs » écarlates de coquelicots ou doré par les ravenelles. De nombreuses cigognes blanches s'y affairent, à pas comptés, tandis que dans l'azur, des buses et des milans noirs planent, guettant une proie. Les massifs bleus du Lajbed, de Sidi Mohamed Rabah et de la Table de Jugurtha : Kalaat Esnan se dressent à l'horizon. Tout près les collines boisées du Gharn Halfaya dont la crête porte une antique citadelle berbère, les dents du Jebel Slata creusées de multiples galeries de mines et les monts tapissés de pins d'Alep du Jebel Houd dominent les plaines. La route traverse Tajerouine dont le nom prouve l'origine numide puis atteint un carrefour. La route P 18 se dirige, vers l'Est, entre une énorme cimenterie qui souffle d'énormes panaches de fumée - épurée dépolluée ? - et d'immenses carrières qui rongent ce qui étaient les petites falaises de Kef Essloughi pour alimenter la cimenterie. Un peu plus loin, les deux collines de Jerissa, ocre rouille, complètement nues, éclatées pour en retirer le maximum de minerai de fer dominent le bourg minier aux petites maisons ouvrières, couvertes de toits aux tuiles couleur d'oignons oxydés, sagement rangées le long de rues qui se croisent à angle droit. Le bourg devrait être conservé tel quel et classé parce qu'il est le témoin d'une idéologie industrielle qui disparaît. La route passe le col de Fedj El Tameur que traversaient les caravanes du Jerid venant vendre des dattes et des produits artisanaux dans la capitale économique du Haut Tell : El Kef. Puis on arrive à l'embranchement de la route menant à Medeïna / Althiburos. Actuellement, aucune carte n'indique que cette route goudronnée va plus loin, jusqu'à Aïn Kseiba où elle recoupe la voie El Ksour -Kalaa Khasba. Le deuxième itinéraire, pour être moins « riche » en vestiges historiques, est tout de même intéressant : il traverse d'abord la plaine s'étendant au Sud d'El Kef puis la route gravit, en lacets, les pentes d'Araguib Khamra, passe devant le grand marabout de Sidi Bou Tenia en redescendant vers la plaine de Dahmani. Ce bourg, construit sur le site de Obba antique, est nommé ainsi parce qu'il aurait été occupé, ainsi que les alentours, par la tribu arabe des Dahmani venue d'Egypte, dans le cadre de ce qu'on appelle les « invasions hilaliennes ». Vers l'Est, au sein d'une chaîne de collines qui bordent l'Oued Tessa, qui n'est ici qu'un ruisseau, les pentes Nord du Jebel Bou Nador, dominant le bourg de Zouarine, sont couvertes de plus d'une centaine de Tumulus berbères. Au sud, les monts du Sraa Ouertane s'élèvent parfois à plus de mille mètres d'altitude. La petite route P 18 traverse Dahmani, longe le pied du Jebel Obba - souvenir de Obba romaine ? - puis arrive à l'embranchement de la route menant à Medeïna, à travers une plaine dont le sol assez souvent calcaire est assez pauvre.
L'HISTOIRE Le site d'Althiburos a intéressé très tôt les hommes qui ont occupé la vallée de l'Oued Medeïna dès la préhistoire. Des sépultures mégalithiques prouvent une occupation humaine durant la protohistoire et le premier noyau urbain notable date de l'époque numide. Des collines, certainement boisées et giboyeuses dans l'Antiquité, protégeaient le site et ont fournit de la bonne pierre à bâtir sans compter le bois de chauffage et des toitures. Des sources abondantes et des terres fertiles en font un site privilégié qui est devenu certainement un marché florissant et important du royaume numide Massyle comme ses voisines Makthar et Thala vers le IIIème siècle avant J.C. L'influence punique a été considérable et renforcée par la « vague » néo-punique qui arrive après la destruction de Carthage en 146 avant J.C. Mais la ville conservera très longtemps son originalité numide que reflète son nom. Althiburos a emprunté aux Carthaginois leur urbanisme, sans doute, leur langue, en partie peut-être, certaines de leurs croyances religieuses et elle s'est dotée d'une administration semblable à celle des cités relevant directement de Carthage : elle était administrée par des suffètes élus. Après la défaite de Jugurtha vers 106 avant J.C. face aux légions romaines commandées par le Consul Marius, Althiburos reste dans le royaume numide jusqu'à la mort du roi Juba battu par Jules César en 46 avant J.C. Le royaume Massyle devient l'Africa nova puis les deux Afriques romaines donnent naissance à une nouvelle province : la Proconsulaire. La romanisation d'Althiburos semble avoir été lente et progressive même si des colons romains s'y sont sans doute installés dès le Ier siècle. C'est en 128 après J.C., peut-être, lors du voyage de l'empereur Hadrien en Afrique, sûrement sous son règne, que la ville devient Municipe et s'appelle Municipium Aelium Hadrianum Althiburitanum. La bourgeoisie, bénéficiant de droits nouveaux, s'enrichit en commercialisant les produits agricoles régionaux et en développant des activités artisanales ainsi que la fabrication et le commerce des aromates dont le safran. Ce développement a été favorisé par la position de la ville sur la grande voie Carthage - Theveste / Tebessa. De plus, Althiburos était reliée à un réseau routier important mettant en communication non seulement le Nord et le Sud de la province mais aussi les plantations d'oliviers du Sahel et les exploitations céréalières du Haut Tell. Les notables de la cité ont implanté la civilisation romaine et certains de ses membres ont pu accéder aux ordres équestre et sénatorial. Jusqu'au IIème siècle après J.C., les habitants d'Althiburos restèrent profondément attachés à leurs traditions religieuses bien que les cultes de la triade du Capitole : Jupiter, Junon, Minerve et de Mars soient célébrés officiellement. L'empereur aussi était vénéré : c'était les preuves du loyalisme de la population à l'égard du gouvernement impérial. Althiburos est à son apogée aux IIème et IIIème siècles sous les dynasties des Antonins et des Sévères. La plupart des grands monuments publics et des somptueuses demeures privées datent de cette époque. L'existence d'une communauté chrétienne est révélée par un document datant de 393. Des évêques catholiques et donatistes sont mentionnés en 411. Pour le moment, les documents traitant de la présence des Vandales manquent. Sous la domination byzantine, Althiburos conserve une certaine importance en raison de sa position sur la grande voie Carthage - Theveste / Tebessa mais la place forte régionale était Laribus / Lorbeus. Medeïna apparaît pour la dernière fois dans l'Histoire, lors d'une batille proche de Dar Medeyan opposant les chiites commandés par Abou Abdallah et les troupes du général Aghlabide Ibn Abi El Aghlab, parent de Ziadat Allah III, le dernier émir de la dynastie aghlabide.
LES MONUMENTS Les fouilles très partielles du site ne permettent pas de se faire une idée exacte de l'urbanisme d'Althiburos. De plus, l'érosion, effectuée durant des siècles, par l'Oued qui traverse la ville, a détruit de nombreux monuments. Mais ceux qu'on peut voir actuellement : l'arc de triomphe, le noyau urbain constitué du Capitole, du forum, d'un temple, de la « villa aux seize bases historiées », de l'édifice à auges aux fonctions inconnues auxquels il faut ajouter les vestiges de trois superbes demeures : la maison des Muses, celle de la Pêche et surtout celle des « Asclepeia » qui est superbe, méritent une longue et intéressante visite. La prospérité de la cité est attestée par l'étendue du champ de vestiges, proche de vingt hectares, et la richesse de la décoration des monuments. Deux pavements de mosaïques prouvent l'importance du commerce maritime, certainement par les ports de la Byzacène, partie Sud de la Proconsulaire. La mosaïque de la Maison des Muses représente un navire chargé d'amphores. Celle qui ornait la Maison des « Asclépias » représente une trentaine de barques et de bateaux de l'époque. La mosaïque de la Maison de la Pêche ornée de têtes d'Océan et d'un pêcheur à demi-nu assis sur un rocher au bord d'une mer poissonneuse est pour le moins curieuse dans une ville située loin du littoral mais pourrait prouver que la mer occupait une place importante dans les préoccupations des habitants d'Althiburos. Dans le cadre des projets de développement du « tourisme historique » dans les gouvernorats du Nord-Ouest tunisien, Medeïna devrait occuper une place importante. Le site a été réétudié et nettoyé par M. Khallala, professeur d'université, historien et archéologue. Il nous semble que différents travaux pourraient être effectués. Ne pourrait-on pas imaginer de restaurer la façade du Capitole qui s'est écroulée au siècle dernier ? M. L. Poinssot a réussi au début du XXème siècle, avec des moyens techniques sommaires, à reconstituer le mausolée libyque et à restaurer le Capitole de Dougga qui font l'admiration des visiteurs. Ne pourrait-on pas remettre quelques unes des colonnes du site, sur certaines bases historiées de la Maison des seize bases et autour du forum de façon à « donner à voir » comme cela a été fait à Sbeïtla ? On souhaiterait trouver sur le site un court fascicule présentant le plan et les principaux monuments comme à Dougga. Le site de Medeïna pourrait être la « porte d'entrée » rêvée d'un circuit qui se poursuivrait, à travers une région jonchée de vestiges vers Aïn Kseïba puis soit vers Kalaa Khasba et Thala soit vers Makthar soit vers Sbeïtla : la « Route de l'Ouest » dont nous avons parlé précédemment.