L'Art est libre et souverain, comme un cerf-volant qui danse avec les nuages dans le ciel de Kaboul. Sauf que dans le ciel de Kaboul, justement, mais pas seulement, il suffit parfois d'un léger flottement pour que tout bascule. Alors, cette liberté si fragile, qui ne tient qu'à un fil, se voit en une seconde, pulvérisée, comme si elle n'avait jamais existé. A se demander parfois s'il ne s'agit pas d'un rêve de liberté, plutôt que de son accomplissement. Un absolu. La quête d'une éternité qui aurait goût d'un jardin d'Eden, dont on ne ferme jamais les portes… Ce n'est pas faute d'y croire mais les portes se sont bien refermées, depuis lundi soir, sur le réalisateur iranien Jafar Panahi, récipiendaire d'un Lion d'or à Venise en 2000 pour le « Cercle », et d'un Ours d'argent lors de la Berlinale de 2006 pour « Hors-jeu ». Son film : « Le ballon blanc », avait par ailleurs obtenu le prix de la Caméra d'or 1995, et le prix du jury dans la catégorie « Un certain regard » en 2000. Arrêté avec sa famille et une quinzaine d'invités (seul son fils a échappé à la rafle), par des inconnus habillés en civil qui ont fait irruption dans son domicile, il a été embarqué vers une destination inconnue. Purement et simplement. Après avoir été empêchés de quitter l'Iran à deux reprises pour se rendre dans des festivals de cinéma, à Montréal, ou encore à Berlin, il est dans l'ordre des choses que la censure qui officie implacablement dans le pays et ne pardonne rien, s'abatte sur les artistes qui ont l'outrecuidance de dénoncer les abus de liberté, quand il leur faut plutôt faire profil bas, ventre à terre en jurant allégeance. A qui de droit. Par delà le bien et le mal… Car ils auront commis le pire des sacrilèges, en ayant des idées, et les avoir formulées, quand il aurait fallu qu'ils épousent, « manu militari », celles qui prévalent. Plutôt que de se mêler de clamer haut et fort, leur refus d'un système, où l'Art est par essence, non pas inaliénable, mais fatalement aliéné. Jafar Panahi, qui avait été notamment l'assistant d'Abbas Kiarostami, avant de passer lui-même à la réalisation, est aujourd'hui enfermé quelque part on ne sait où, avec sa famille et ses invités. Pour combien de temps ? Et sera-t-il libéré déjà ? Nul ne le sait. Et ce silence est pesant, comme une chape de plomb…