… Mais qu'en reste-t-il ? Que l'on ait vécu l'expérience du mariage, des fiançailles ou une simple relation amoureuse, la question reste entière : quelle place donner, une fois l'histoire terminée, à celui ou celle avec lequel on a partagé une tranche de vie, avec qui on a fait un bout de chemin ? Un sujet dont on parle peu, car souvent les antagonismes sont irréversibles, mais que bon nombre de couples vivent avec plus ou moins de sérénité, voire de complicité. Portrait de couples aussi atypiques qu'attachants… Peut-on rester proche de ses anciennes amours ? C'est rarement le cas à court terme, mais le temps aidant, cela peut arriver. Car ce que l'on souhaite d'abord, c'est d'oublier l'autre, celui ou celle qui n'a pas tenu ses promesses de bonheur. Asma, que ses amies appellent Azma (crise, déprime) à cause de ses nombreuses ruptures, est intraitable sur le sujet : « je suis ce que l'on peut appeler une ancienne combattante en matière de fiançailles, mais cela n'aboutit jamais… » Farhet El Omr Alors rester amie avec ses anciens fiancés, elle n'y songe même pas : « ils ont brisé mon rêve de fonder un foyer, d'avoir des enfants, de satisfaire le vœu de ma vieille mère, de réaliser Farhet El Omr, comme on dit chez nous… » Ce qui est étonnant chez Asma, c'est son incapacité à se remettre en question, à repenser son comportement avec les hommes, qu'elle tente de dominer dès le premier jour, selon son entourage… Autre jeune femme, autre vision des choses. A 31 ans, Selma est toujours célibataire, mais elle n'en veut pas à son unique fiancé. « On se sépare rarement dans la joie… Dans un premier temps, notre séparation a été pénible, car elle ne s'est pas faite d'un commun accord. Mais comme les conditions de cette rupture n'étaient pas trop orageuses, avec le temps, la tempête s'est apaisée… » Pour le psychologue, ce type de situations est beaucoup moins fréquent au sein des couples tunisiens : « idéalement, on devrait pouvoir rester amis puisqu'on s'est aimé et que l'on a fait des projets ensemble. Tout le monde y gagnerait à commencer par les enfants en cas de divorce. Mais cela demande des sacrifices et un certain niveau de compréhension, d'entente... » En effet, rares sont les couples qui se séparent dans la sérénité, en se souhaitant de connaître le plus grand bonheur avec un autre. Le ressentiment, la jalousie, la peur du lendemain, la haine quelquefois, sont plus souvent au rendez-vous que la complicité. Plus la relation a été intense et passionnée, plus grands seront les risques de remous après la cassure et parfois longtemps après, surtout s'il y a des enfants… On note que plus de la moitié des divorces sont demandés par l'un des partenaires et ils ne sont donc pas consentis par les deux parties. De cette façon, la situation empire malgré la séparation physique et il arrive que les conjoints s'opposent dans des luttes sans merci, utilisant les enfants ou la pension comme des moyens de pression. La phrase qui revient le plus souvent lorsque l'on parle avec des couples séparés, c'est que « le coupable, c'est l'autre. L'ennemi ou le fautif c'est l'ancien partenaire. » Deux ans après son divorce, Mehdi est encore sous le choc : « quand je vois son visage en allant chercher mon fils chaque samedi matin, j'ai l'impression de voir la face du diable. Je me demande comment j'ai pu épouser une telle mégère et lui faire un enfant ! Dire que je sortais avec les plus belles filles de Tunis. » Une réaction que nous avons constatée à plusieurs reprises… La belle et la mégère Ancien fêtard invétéré issu d'une famille aisée, Mehdi adorait aller en boîte et veiller jusqu'au petit matin avec ses amis. Il se souvient : « un jour elle est arrivée dans ma vie discrètement et elle a commencé par faire le vide autour de moi en me coupant de mes amis, filles et garçons. Puis elle m'a poussé à demander sa main sans que je ne sois vraiment conscient de mes actes… Heureusement tout est fini aujourd'hui. » En fait, ce qui fait très souvent obstacle à un rapprochement entre les anciens amoureux, c'est que chacun impute à l'autre la responsabilité de la rupture. S'il nous a quittés, il est coupable de nous avoir trahis. Cela peut atteindre des stades divers : soit que tout est alors permis et « il doit payer le prix fort », au sens propre ou au sens figuré. Et dans ce cas les enfants sont souvent pris à témoin des méfaits de l'autre et poussés à prendre parti, malgré leur jeune âge. « Peu de couples séparés parviennent à dépasser leurs ressentiments et à maintenir une relation suffisamment saine pour les préserver de la discorde », assure notre psychologue. Quant à celui qui rompt la relation de façon unilatérale, « il va prêter à l'autre tous les défauts de la terre pour se déculpabiliser ». Quand on a été déçu par le comportement de l'autre et trompé sur nos espérances ou nos attentes on devient agressif, rendant souvent coup pour coup. Et il est toujours difficile de trouver l'origine du conflit… La relation d'entente ou d'amitié ne pourra se construire que lorsque les émotions se seront apaisées, ce qui finit généralement par se produire. Radhia, 28 ans, est dans ce cas : « j'apprécie mon ancien fiancé, bien qu'il m'ait quittée sous la pression de sa famille. Quand je regarde son visage je retrouve des traits qui m'apaisent, qui me reposent, je ne sais pas pourquoi. Alors je prends prétexte de n'importe quoi pour boire un café avec lui au moins une fois par semaine. » Il faut savoir que l'ancien amour n'a pu se faire sans une certaine complicité, de l'amour ou du désir. Une fois les émotions calmées, il est possible de faire la part des choses. Aussi calamiteux que cet ex ait pu être dans le couple, il peut devenir un ami formidable, « surtout s'il est bricoleur et qu'il peut vous aider à tout réparer à la maison », lance Radhia avec humour. Ce qui nous était insupportable au quotidien n'a plus de conséquence avec la distance. On peut même s'en amuser et ne plus se préoccuper que du meilleur de ce qui, finalement, n'a jamais cessé de nous plaire. Certes ce mode de relation est inédit, à mi-chemin entre l'amour et l'amitié, avec une ambiguïté que certains disent apprécier. Il faut cependant se méfier des retours de flamme, car le souvenir des câlins d'autrefois peut jouer des tours imprévus. Les séparations permettent parfois à chacun de mûrir permettant de se construire à nouveau, mais c'est plutôt rare. L'amitié amoureuse peut combler le vide, le manque ou l'absence. Eviter ce piège suppose que chacun des anciens partenaires est conscient de ses attentes et qu'il sache garder ses distances. Un nouveau lien peut alors se construire, uniquement amical celui-là. Décidément la société tunisienne est complexe, mais c'est cette complexité qui fait justement son charme…