Le mariage relève comme on dit chez nous du « mektoub ». Une fatalité immanente, un hasard que vous n'avez jamais prévu décident le plus souvent du nom et de la fonction de l'homme ou de la femme de votre vie. Le destin peut donc vous unir pour le meilleur et pour le pire avec un ou une collègue : ensemble donc au travail et désormais pour très longtemps à la maison ! Une telle situation n'est pas rare chez nous ; certains même préfèrent qu'il en soit ainsi plutôt que de se lier à quelqu'un qu'on ne connaît que de loin. Comment se vit une telle proximité quasi permanente ? Les couples mariés et collègues ont-ils quelque chose d'exceptionnel ? Leur union pose-t-elle des problèmes spécifiques ou bien présente -t- elle plus d'avantages que d'autres ?
Les fiançailles au bureau Commençons par la période des fiançailles : d'abord la nouvelle de la liaison s'ébruite rapidement soit parce que l'un des fiancés y a contribué, soit que les collègues indiscrets aient tout appris ou deviné grâce à leurs antennes personnelles et à leur intuition d'espions nés ! Entre les tourtereaux, les rencontres se multiplient et chacun de chercher son prétexte pour passer deux minutes ou deux heures auprès du chéri ou de la dulcinée. Cette dernière ne parlera avec ses collègues (surtout du même sexe) que de leurs projets à deux, de leurs achats, de sa belle-famille et bien sûr des innombrables qualités du mari de demain. Quant à celui-ci, il sera plus discret mais se fera de jour en jour moins permissif à l'égard de la future épouse. Des signes évidents de jalousie se liront dans les questions dont il la harcèlera. Elle devra lui rendre compte de tous ses déplacements, de tous ses contacts et de presque toutes ses conversations. Les échanges téléphoniques aux frais de la princesse (entendez l'administration, et pas la fiancée) deviendront plus fréquents et plus longs entre le couple et bien évidemment ne cesseront pas avec la consommation du mariage ; peut-être diminueront-ils, mais pas question d'y renoncer !
d'administration à deux Une fois mariés, les deux collègues verront progressivement la vie du bureau se poursuivre à la maison et vice-versa. En rentrant du travail, ils reparleront des collègues, des dossiers, du directeur, des projets de l'administration, des anecdotes de tel et des mésaventures de tel autre ; ils seront en général d'accord pour médire des mêmes personnes et de parler en bien d'autres. La complicité s'installe dès le premier jour quelquefois, comme si elle était inscrite parmi les premières conditions du contrat signé devant le maire ou le notaire ! Un vrai conseil d'administration à deux se tient presque quotidiennement et il arrive qu'on l'élargisse pour y faire participer les enfants, un voisin et une voisine, sinon tout le quartier !
Privilèges et couvertures Au bureau, on prendra soin d'être moins bavard qu'à la maison, mais si l'un des deux a un « scoop », il n'en privera jamais l'autre ! On s'appellera aussi pour parler des gosses, de la famille, du repas, de ce qu'il faudra acheter à la sortie. Pour les courtes escapades de l'un des deux, qui peuvent prendre toute une matinée, il y aura toujours quelqu'un pour les couvrir parmi les bons « amis » de l'administration. On peut même se passer des services de ces derniers quand le mari par exemple occupe un poste important et détient assez de pouvoir pour couvrir qui il veut ! Il nous revient à l'instant le souvenir d'un directeur de lycée qui avait sa femme parmi le personnel enseignant de l'établissement (ce qui est déjà mal vu et souvent interdit dans la fonction publique, mais ça existe !). Chaque fois qu'elle s'absentait ou mettait du temps pour arriver au lycée, il envoyait un surveillant ou un ouvrier dans sa classe pour retenir les élèves jusqu'à la fin de la séance ou bien jusqu'à son arrivée ! Un autre administrateur se chargeait lui-même des cours de son épouse en l'absence de celle-ci, étant à l'origine professeur de la même matière. Il va sans dire que l'épouse d'un directeur ou d'un chef de service bénéficie de bien d'autres privilèges et couvertures. Les faveurs peuvent passer quelquefois pour raisonnables, mais dans d'autres cas elles n'ont absolument rien de légal. Gare donc aux contrôles inopinés et aux mouchards !
Jouer la comédie Les autres collègues du couple, notamment les plus indiscrets d'entre eux, satisfont leur malsaine curiosité lorsqu'ils devinent un désaccord survenu entre les deux conjoints et se perdent en conjectures. Ils peuvent déjà jaser et même pronostiquer une imminente séparation. Les collègues mariés ont donc intérêt à se faire discrets sur leur vie intime et à jouer en permanence la comédie du couple heureux et en parfaite symbiose. Parce que si par malheur la mésentente s'installe, il existe dans nos administrations assez de fonctionnaires habiles dans l'art de jeter de l'huile sur le feu pour précipiter le divorce ! Autre problème qui ne se pose presque pas entre les couples d'enseignants : il s'agit des vacances ! Les deux conjoints doivent en effet batailler pour obtenir un congé commun d'une même durée. Une telle faveur est très difficile à obtenir dans les administrations publiques et privées. A moins d'être très près du boss ou du chef du personnel, votre demande a peu de chances d'aboutir. Peut-être y a-t-il une solution avec un collègue disposé à sacrifier son congé de l'été pour vous en faire bénéficier. Mais là aussi, il faut supplier, s'agenouiller, flatter, offrir même des cadeaux plus ou moins coûteux !
Pourvu que ça dure ! Si l'un des deux collègues mariés est promu, il s'évertuera à en faire profiter l'autre. Mais dans le cas contraire où il s'agit plutôt d'une sanction, le conjoint risque d'en pâtir. C'est ce qui est arrivé à un agent bancaire qui fut révoqué par son agence et dont l'épouse dut vivre longtemps sous la menace de l'être à son tour. D'après ce que le couple nous a raconté, les supérieurs hiérarchiques de la dame commencèrent à la provoquer dès avant la révocation de son époux : cela allait des insinuations les moins accablantes aux accusations les plus directes et les plus graves. A un certain moment, les nerfs de la jeune femme ont failli craquer et elle dut consulter un neurologue pour surmonter ses crises répétées. Heureusement qu'on répondit favorablement à une demande de mutation qu'elle a récemment présentée. « Je me sens mieux maintenant, dit-elle, mais pourvu que ça dure ! »