Il y a de cela un peu moins de sept années, personne à Moknine ne se doutait qu'il y avait quelque part à Tunis, un enfant du pays dont le père avait quitté cette bourgade du Sahel pour aller s'installer à Tunis suite à d'étranges événements et que cet enfant est l'une des figures les plus emblématiques de la jeune histoire de nos arts plastiques. Il a suffit qu'un monsieur, qui est aujourd'hui directeur de la Maison de la Culture et qui fût avec d'autres à l'initiative de la création de cette rencontre, laisse traîner l'oreille du côté de quelques personnes qui parlaient de peinture et plus précisément de Bouabana. De retour à Moknine, il avisa qui de droit et ce fût le départ d'une charmante aventure. La rencontre Habib Bouabana a fêté du 30 avril au 2 mai, sa sixième session qui fût riche en création et en polémiques. La manifestation s'est construite sur trois axes : tout d'abord des ateliers de peinture et de céramique (signalons que Moknine a des traditions très anciennes dans cette dernière discipline), une exposition et une série de témoignages et d'interventions ayant pour thème “Peinture et Mythologie quotidienne dans l'expérience de Habib Bouabana”. Plusieurs professeurs, étudiants ou amateurs d'arts plastiques ont participé à cette rencontre et des prix ont été décernés à la clôture. Beaucoup ont travaillé à partir des œuvres de Bouabana et cela a donné lieu à quelques surprises des plus agréables. Les habitants de Moknine et les autorités locales semblent prendre à cœur l'évolution de cette manifestation et leur comportement témoigne en général – d'une certaine fierté mal dissimulée – que Bouabana soit “un enfant de leur pays” même s'il n'y a jamais vécu. Cela n'empêche que ceux qui l'ont connu, ont toujours décelé en lui cet amour secret pour la terre de ses ancêtres et nul n'ignore les souffrances et les refus qu'il lui fallut affronter parce qu'il n'était pas considéré par le milieu de l'époque comme faisant partie intégrante de la capitale. Kamel Bel Haj Hammouda révèlera même une découverte assez déconcertante. En parlant du fameux “Homme à l'œillet” du peintre, il opposa cette fleur qui est l'emblème de Moknine au bouquet de jasmin, emblème des autres cités et surtout de la capitale. Nourreddine Bettaïeb (ainsi que d'autres invités) parla de sa longue amitié avec le peintre défunt et plusieurs anecdotes qui prêtent à sourire ont été évoquées. L'événement le plus important est peut-être le fait que pour la première fois de son histoire, Moknine accueille une série d'œuvres généreusement prêtées pour l'occasion par un ami collectionneur : Mekkaoui Smaïli, dont la dernière œuvre réalisée par le peintre quelques jours avant sa disparition au lieu dit “Le Bosphore”, où Bouabana avait, pendant des années, élu domicile. Cette œuvre est unique en son genre car ceux qui sont au fait de la démarche de Bouabana savent qu'il avait touché à l'abstraction au début des années 80 avant d'aboutir au figuratif et cette œuvre ultime est un mélange de ces deux approches plastiques. C'est une abstraction et en même temps elle pullule d'étranges formes, de visages, de paysages. Une œuvre vraiment impressionnante. La plupart de ceux qui ont pris part à l'évènement étaient ébahis de voir pour la première fois une œuvre véritable de ce peintre qu'ils n'ont jamais connu et pour lequel ils se sont mobilisés contre vents et marées pendant six années afin de rendre hommage à sa mémoire. Aussi, pour continuer avec les générations actuelles à défendre et illustrer les arts plastiques dans cette cité du Sahel qui semble montrer beaucoup d'enthousiasme pour son avenir socio-économique et surtout culturel. Il est question de créer une association pour permettre une meilleure croissance de cette manifestation. Ce serait une très bonne chose !