A l'occasion de la tenue du Conseil national de l'Union Démocratique Unioniste (UDU), Moncef Chebbi, membre du bureau politique, homme fort du parti et l'un de ses fondateurs, a annoncé, à la surprise générale, sa candidature au poste de secrétaire général lors du congrès du parti qui se tiendra en principe, en avril 2011. Pour en savoir plus sur cette candidature nous avons interviewé M. Chebbi. Il nous explique ici les raisons qui l'ont poussé à annoncer prématurément sa décision à se présenter à ce poste. Il nous parle, aussi, de la situation actuelle des partis de l'opposition et des perspectives d'avenir. Interview : • Le Temps : Quelle est la signification de votre candidature. -Moncef Chebbi : Je sais que présenter sa candidature au secrétariat général d'un parti politique n'est pas une action banale, surtout lorsque les échéances au cours desquelles cette candidature prendra effet sont encore très lointaines. Mais cet acte a une visée éminemment politique d'abord, pour la vie interne de l'UDU et ensuite, à l'échelle de la scène politique nationale. Certains se souviennent peut-être que la vacance du secrétariat général de l'UDU a duré 12 mois entre septembre 2003 et septembre 2004 et que j'ai été élu à la régulière " secrétaire général par intérim ", au printemps 2004, mais pour des raisons administratives, cette élection avait abouti quelques semaines plus tard à une impasse. J'avais accepté à l'époque, un certain nombre d'arguments qui n'étaient pas tous convaincants, mais l'essentiel pour moi était de maintenir l'unité de mon parti et de préserver ses chances aux élections législatives et présidentielles de 2004. Par ailleurs, je tenais à sauvegarder les voies du dialogue avec les cercles officiels, et lorsqu'en septembre 2004 il a fallu choisir un secrétaire général lors des travaux du Conseil national de l'UDU, je me suis abstenu de présenter ma candidature pour - encore une fois - renforcer l'unité de ce parti qui est dans sa nature même un parti pluriel. • Mais, pourquoi maintenant, alors que le congrès ne se tiendra qu'en 2011 ? -Six ans après, je suis en droit - et il est de mon devoir - de me poser des questions sur deux plans. Sommes-nous devenus le grand parti nationaliste et démocratique arabe que j'appelle de mes vœux depuis 25 ans ? Avons-nous réussi à maintenir ou à enrichir la nature plurielle de notre parti ? En fait, c'est la réponse claire et honnête à ces deux questions qui résume et conditionne l'impact réel de l'UDU sur la vie politique nationale. Ici, je dois reconnaître que Ahmed Inoubli s'est dépensé sans compter pour faire avancer le parti sur cette voie. Mais les résultats n'ont pas toujours été à la hauteur de nos espérances. Je n'en dirais pas plus mais avec un peu de perspicacité les observateurs même les moins avertis d'entre eux, peuvent noter les faiblesses et les défaillances de notre démarche. On peut évidemment continuer à dire que la faute incombe au pouvoir en place ou bien au parti au pouvoir, on peut toujours chercher en dehors de nous-mêmes les raisons de cette faiblesse mais cela ne sert à rien car il est évident que le mal est en nous, et qu'il est nécessaire et tout à fait possible de le guérir. Je vais consacrer les mois qui viennent à diagnostiquer le mal avec mes collègues du Bureau politique et avec le secrétaire général du parti dans un souci de sauvegarde et de développement de ce parti si utile à la vie politique tunisienne. Le mal est dans les objectifs, dans les méthodes et dans les moyens. Si l'esprit de groupe et que le sens politique l'emportent alors nous avons toutes les chances de moderniser l'UDU et de le mettre au diapason de la vie nationale. L'autre aspect qui peut être relevé dans ma candidature est plus large que l'UDU et cela risque de poser un problème plus vaste, celui de l'opposition nationale tunisienne qui n'arrive pas à décoller. Il faut absolument que les mœurs politiques changent, que la démocratie envahisse ces partis, que la culture de l'alternance ne soit plus assimilée à la culture du complot, que les cercles de décisions s'élargissent aux compétences, que les deniers publics, l'argent du peuple n'aille que là où il peut contribuer à développer les forces politiques et au bout du compte la démocratie dans notre pays, et par rapport à cela, il y une action interne aux partis, mais il y a aussi une action publique qui me paraît insuffisante et inefficace. Cela permettrait, entre autres, à limiter les excès et à aider à la floraison des idées et des initiatives. • Quelles sont, au juste, vos relations avec le secrétaire général du parti ? -Contrairement à ce que l'on pense, mes rapports avec Ahmed Inoubli sont bons, ainsi d'ailleurs, que mes rapports avec les différentes tendances qui constituent notre parti. C'est vrai qu'il arrive parfois que nous soyons en désaccord sur l'appréciation de telle ou telle situation ou action, mais le plus souvent c'est le bon sens qui l'emporte. J'ai souvent exprimé des opinions qui sortent des sentiers battus et les militants me prêtent l'oreille plus que les dirigeants. Mais, ma démarche ne consiste pas à vouloir dresser les uns contre les autres, je voudrais plutôt que le débat soit plus large, que les idées, les propositions circulent sans arrêt entre la base et le sommet, ce qui n'est pas toujours le cas, et quand ce n'est pas le cas, c'est le parti qui perd son énergie. Je pars du principe qu'aucun homme ne peut réfléchir , " à la place de tous " et que le mépris des structures sonne le glas des organisations fussent-elles les plus puissantes, ceux qui ne réussissent pas à instaurer le dialogue et à respecter les engagements pris, ceux-là aboutissent toujours à des impasses plus ils s'entêtent, plus leur situation s'aggrave. D'autre part, l'impression qui persiste lorsqu'on observe bien la scène politique est que les partis se complaisent dans leurs petits statuts, dans leurs petites frontières et que hormis quelques tentatives sans lendemain, ils préfèrent tous se cloîtrer au sein de leurs structures, de leurs bureaux, dans leurs journaux aussi insipides les uns que les autres et aussi éloignés des préoccupations du citoyen tunisien et plus particulièrement de la jeunesse de ce pays, face à cela je me suis toujours révolté. Je crois à l'ouverture des frontières idéologiques et politiques entre les familles de l'opposition et j'irai jusqu'à dire qu'il faut envisager des rapprochements structurels. Je ne parle pas de fusions mais d'alliances sérieuses et responsables. C'est le pays qui en a besoin, n'en déplaise à ceux qui trouvent leur compte dans cette balkanisation, dans cet émiettement. • Quel est votre diagnostic de la situation des partis de l'opposition ? - Le pôle démocratique tunisien n'est pas encore réalisé parce que ceux qui ont les moyens de le faire n'y songent même pas et continuent de ruminer des discours usés, jetant la responsabilité de cet échec historique sur le parti dominant de la scène, le RCD, ou encore - et c'est le comble - sur le citoyen qui se détourne de l'action politique. Les partis de l'opposition doivent comprendre que si le RCD occupe l'espace c'est parce qu'ils le lui laissent ou le lui ouvrent par la faiblesse de leur action et le peu d'attirance qu'ils exercent sur le citoyen tunisien à qui ils n'offrent rien de nouveau rien de différent. • Et en ce qui concerne l'UDU ? -Je souhaite impulser à l'UDU avec mes camarades des instances dirigeantes, et avec chacun de nos militants une disposition nouvelle à la production des idées sans opportunisme dans un but d'unifier dans la différence, toutes les forces positives de l'opposition et même à l'échelle nationale pour ramener les citoyens au cœur de l'action politique, car il ne faut jamais oublier que la politique n'a de légitimité que dans la mesure où elle intéresse les citoyens et exprime leurs vœux, leurs espoirs et tente d'y apporter les réponses qui conviennent. L'UDU n'a aucune relation avec les partis politiques, avec les syndicats ouvriers ou estudiantins, avec les ONG, il est en dehors des grands dossiers politiques nationaux, et il ne s'agit pas de dire que X a rencontré Y au hasard d'une réception ou d'une cérémonie officielle, mais d'instaurer des règles de rencontres et d'échanges, des règles de coordination de l'action chaque fois que cela s'impose et loin des humeurs personnelles. Interview réalisée par Néjib SASSI