Les lecteurs, forcément admiratifs de l'œuvre d'Hugo, de l'immense Victor Hugo faut-il le préciser, ne peuvent pas méconnaître sa chère Léopoldine, dont le poète ne s'est jamais remis de la tragique disparition. Mais ils ignorent le plus souvent qu'il eut une autre fille : Adèle la cadette, passée inaperçue, comme si la mort de l'aînée l'avait effacé de la mémoire de ses proches. Jusqu'à ce que son journal intime fut édité, bien après sa mort, résumé d'une vie gâchée par une passion orageuse, qui l'a conduite vers la folie et la déchéance. C'est ainsi que la deuxième fille de l'auteur des « Misérables » finit sa vie dans une maison d'internement. Elle y demeurera jusqu'à sa mort. « L'Histoire d'Adèle H » telle que adaptée et portée au cinéma par François Truffaut en 1975, avec la collaboration de Gruault et de Suzanne Shiffman, est une fiction qui se nourrit du réel, telle que les affectionne le réalisateur de « L'enfant sauvage », et qui le touchent en plein cœur. Ce n'est donc pas un hasard si Truffaut y fait une apparition, fut-elle fugace, comme une manière de signature à l'eau forte. Avec une Isabelle Adjani alors à peine âgée de dix-neuf ans, sublime et tragique dans le rôle autrement difficile d'Adèle, aux yeux meurtris et au visage hagard et livide, mais d'une beauté à couper le souffle dans un registre très dur, le film, d'une durée de 1h.40, est tendu comme un arc, sensible, sec et brûlant, comme la douleur d'Adèle H, séduite et abandonnée par un lieutenant de l'armée britannique, ravagée par une passion fulgurante, et qui ne démord pas de l'idée de le reconquérir. Adèle H filme donc la descente aux enfers de la jeune femme, qui part à Halifax, se cachant sous un faux nom, à la poursuite d'un mirage d'amour. Econduite et ignorée par le lieutenant Pinson, lequel s'est déjà trouvé une autre fiancée, elle fait feu de tout bois et s'enferme dans son propre rêve, comme derrière la porte d'une prison dont les barreaux n'ont de cesse de se resserrer sur elle. Truffaut dira à propos de sa jeune actrice : « je lui disais dix mots quand elle en attendait cent…» Et il faut avouer que cette tension, cette émotion quasi palpable qui traverse presque la pellicule, la transperce même de part en part, est née aussi de la rencontre, fascinante, entre un metteur en scène et son actrice, en même temps qu'entre un personnage fort et un cinéaste, lui-même écorché vif. Passé sur Arte le lundi 31 mai à 20h35, le film de Truffaut imprime sa trace comme au fer rouge, en déroulant le fil de cette histoire d'amour qui ne pouvait conduire que vers la folie ou la mort. François Truffaut a donné un visage à l'obsession amoureuse. A la passion quand elle vous serre entre ses tenailles chauffées à blanc. Et ce visage restera à jamais celui de la sublime Isabelle Adjani.