Atiq Rahimi, écrivain franco-Afghan, avait dédié son livre «Syngué Sabour» -Pierre de patience- (prix Goncourt 2008) à une poétesse assassinée. Dans son pays d'origine, l'Afghanistan, c'est hélas le lot quotidien des femmes. Une sacrée déveine de naître femme dans une contrée où certains préfèrent les enterrer vivantes. A moins qu'elles se tiennent à carreaux. Et qu'elles ne voient pas la lumière du jour. Alors, si par hasard elles ont l'outrecuidance de vouloir s'affirmer et s'avisent de vivre libres de leurs choix, sous des latitudes où les Talibans ne sourcillent même pas, en aspergeant des petites filles, avec du vitriol sur le chemin des écoliers, pour délit d'éducation, elles auront scellé leur destin et signé leur propre arrêt de mort. Irrémédiablement condamnées, sans tambour ni trompette, sur un simple prêche qui a valeur de loi, elles peuvent passer de vie à trépas. C'est le cas de cette jeune fille afghane, passionnée de musique et de chants, qui a eu l'audace de se présenter à un concours dans une émission phare : «Afghan Star», regardée par plus de onze millions de téléspectateurs. Habillée d'une manière tout à fait décente, couverte, certes élégamment, de la tête aux pieds, ce sont ses pieds justement qui auraient posé problème, dans la mesure où elle a «osé», ô sacrilège !, esquisser timidement deux pas de danse. Un pas est vite franchi qui a amené une sorte de conseil des «sages», à établir un parallèle, pour le moins étonnant, entre l'incapacité des «Moudjahidines» en montagne, à instaurer leur suprématie, en ratissant plus large, et le fait qu'une jeune afghane ait commis un acte de «péché» impardonnable, en se produisant à la télévision. Manière de signifier qu'il fallait serrer les vis. Resserrer l'étau jusqu'à l'étouffement. En oubliant que les «victimes», en apnée depuis un bon bout de temps déjà ont plutôt besoin d'être perfusées ; car il y a manque d'air, et cela confine au désastre. Passé il y a une semaine, et rediffusé dans la matinée d'hier sur Arte, le documentaire «Afghan Star», réalisé par Havana Marking, a suivi les candidats pendant trois mois, et a filmé de prés la candidate malheureuse, qui a été éliminée en demi-finale, d'ores et déjà condamnée par les téléspectateurs, avant de l'être par les hommes de son village. Qui plus est jeunes et vieux confondus. Ce qui équivaut à dire qu'il y a peu d'espoir. Puisque la jeune génération n'hésite pas à mettre ses pas dans les pas de ses aînés, le monde va à sa perte. Ce monde-là en tout cas. Du coup, la jeune fille doit quitter son village et les siens, dans la précipitation, parce qu'elle sait que si elle reste, elle devra mourir. Et l'espoir surgit de là où on l'attend le moins : du côté de ces femmes, courageuses et d'une pugnacité extraordinaire, qui refusent de baisser les bras, de s'avouer vaincues, et de dire adieu à leurs rêves. Quitte à se retrouver toutes seules sur les routes si risquées, d'un pays où l'art est damnation. Et la culture, tout comme le simple fait de vouloir envoyer une petite fille à l'école, relève d'une hérésie…