Si ce qui est arrivé à l'équipe de France au cours de cette Coupe du Monde a été considéré comme un séisme, cela ne peut en aucun cas être imputé à la valeur du football français, traditionnellement calculé à l'aune des décennies. Il a plutôt trait à une faillite structurelle qu'un comportement immature de quelques individualités a mis à nu. Par contre, dans ce cas d'espèce, le mal se trouve dans la récupération dont il a fait l'objet. Si la presse, malgré sa part de responsabilité, s'en empare, c'est son droit de fustiger des professionnels qui ont failli à leur devoir. Si les sponsors réagissent en suspendant leur manne, c'est que le service qu'ils attendaient est devenu contre productif. Si le public manifeste sa colère c'est qu'il s'est senti trahi. Et si les éducateurs condamnent c'est parce que l'exemple risque de gangrener les principes qu'ils sont censés inculquer. Jusque là l'opprobre ne peut qu'être unanime. Personne ne contesterait les sanctions morales, sportives ou pécuniaires, si sévères seraient-elles. Mais quand l'affaire passe à un autre palier où le football est pris en otage. Quand on s'empare d'un acte réfractaire commis par quelques gâtés et en faire un alibi pour définir une identité nationale, cela s'appelle de la récupération. De bas étage en plus. Pourquoi donc s'étonner de trouver, malgré les dissensions qui les séparent, dans la réaction du philosophe Alain Finkielkraut et de la politicienne Marine Lepen, cette harmonie de jugement et cette façon quasi-viscérale de l'exprimer. Pourtant ce genre de fronde, tout condamnable qu'il soit, n'est pas inédit. Le gant symbolique que portaient les athlètes américains à certains jeux olympiques avait des raisons autrement plus inciviles qu'une simple absence à l'entraînement. Mais ne quittons pas la France avant de rappeler à ces pseudo-moralistes qu'en 1924 déjà, lors du Tour de France, les grévistes ne sortaient pas des cités et portaient même un nom bien gaulois. Mais en ce temps lointain, quand les trois frères Pelissier ont fait perdre à leur pays le Tour de France, il ne s'est trouvé personne pour les accuser d'être mal intégrés. Il s'est même trouvé un Albert Londres pour prendre leur défense, au retour d'un reportage sur le bagne, en écrivant son légendaire article sur « Les Forçats de la Route ».