Sarajevo une ville meurtrie, blessée par la géographie et l'Histoire semble résolument tourner le dos à la culture de la mort qui y a sévi durant les quatre années du plus long siège de l'histoire contemporaine de l'humanité. Entre 1992 et 1996, le monde « civilisé » assiste, d'abord indifférent, puis compatissant avant de se décider de passer à l'action, à la prise en otage de centaines de milliers de civils, femmes, personnes âgées et enfants coupables de ne pas être de la bonne religion, celle de l'occupant. La guerre dans cette région ce sont ces images inoubliables des charniers de Srebrenica, de ces cohortes de convois de réfugiés fuyant la barbarie pour la Croatie voisine ou la Slovénie, de ces corps déchiquetés des victimes après le bombardement du marché de Sarajevo. Devant les atermoiements des politiques, des artistes se sont mobilisés et resteront à jamais gravés dans l'esprit, ces quelques plans tournés furtivement par une caméra amateur dans la tristement célèbre rue des Snipers lors de la visite effectuée par Joan Baez à Sarajevo, le lendemain du massacre du marché de la ville. On y voit, un célèbre violoncelliste de l'orchestre de la ville en costume d'apparat, installé en plein milieu de la rue de la « mort » jouer de son instrument sous le regard de Joan Baez. La musique du violoncelle étouffe petit à petit le bruit des balles. Joan Baez se rapproche du musicien, le serre dans ses bras, prend sa place sur le même siège et se met à chanter bravant la mort. En 1993, le « Sarajevo film festival » en était à sa troisième édition, il s'est tenu sous les bombes dans des abris de fortune pour conjurer la mort. Le grand documentariste, Néerlandais, Johan Van der Keuken, juste parmi les justes a immortalisé cette lutte pour la survie dans un documentaire poignant, intitulé non sans ironie « Sarajevo film festival ». A travers, trois portraits, celui d'un des fondateurs de ce festival, d'une festivalière pour qui le cinéma est une thérapie, et finalement le portrait d'une jeune fille qui s'accroche à la vie s'acquittant de ses tâches quotidiennes tout en esquivant les tirs des snipers. L'image n'est pas histoire, (une représentation possible tout au plus) et l'histoire n'est pas mémoire. Difficile de lire dans ces regards croisés ci et là dans la ville moderne de Sarajevo, les blessures du passé, l'ampleur du pardon et la disponibilité à l'oubli. Vivre et oublier, ou vivre pour oublier, c'est le principal message que nous délivre la ville. C'est dans la partie de la ville moderne, jeune et policée que se tient la 19ième édition du « Sarajevo film festival ». Entre cafés chics, centres commerciaux et jeunesse branchée, les spectres du passé nous paraissent à jamais enterrés. Le grand méchant capital serait –il en passe de tout bouffer ? Rien n'est moins sûr, si on prend le temps de comprendre d'échanger avec les gens de la ville. Consommer c'est accéder à cette normalité de laquelle on a été privés des années durant, c'est aussi surseoir aux contraintes d'une vie nouvelle faite d'injustice, de pauvreté, et d'inégalité pour les plus âgés mais aussi d'opportunités pour une jeunesse qui aura très peu connu la guerre. Passer en l'espace de quelques années du Socialisme, à la guerre puis au capitalisme sauvage nécessite des facultés d'adaptation surhumaines. (A suivre…)