La pratique du taxi-place, qui n'existerait, du moins pour le moment qu'à Sfax, si elle satisfait largement les clients, mécontents des piètres prestations de la Soretras, société régionale de transport, plonge par contre, le secteur dans un chaos indigne d'un métier qui mérite beaucoup d'égards. Des égards, pourquoi ? D'abord parce que c'est un métier honorable qui mérite d'autant plus notre considération, que les chauffeurs de taxi sont en principe triés sur le volet selon des critères assez rigoureux de bonnes mœurs, sachant que l'obtention du permis de place ou de la carte professionnelle est soumise nécessairement à certaines conditions d'ordre moral et même d'ordre physique. D'autre part, lors de l'exercice de leur métier, les chauffeurs de taxi sont tenus à une discipline rigoureuse. L'administration exige du titulaire de la carte professionnelle d'être présentable, c'est-à-dire, d'avoir une tenue correcte, d'être rasé de près et de se montrer amène, sympathique et accueillant envers ses clients. De plus, son véhicule étant « la vitrine du pays», doit être dans un état impeccable à tous les points de vue. Toutes ces raisons, ont donné au chauffeur de taxi l'image d'un homme de confiance à qui , en cas d'urgence, on pourrait confier en toute tranquillité, ses enfants, sa femme parée de bijoux à la sortie d'une salle de fêtes, même tard dans la nuit, , un paquet contenant de l'argent ou des objets de valeur etc…, tout en étant sûr qu'ils arriveront à bon port. Où en est-on de tout cela aujourd'hui ? On doit à la vérité de dire qu'on en est assez loin, à Sfax. Pour deux raisons. La première est due à l'attribution intempestive, précipitée et inconsidérée, de pas moins de cinq cents cartes professionnelles à d'anciens employés d'entreprises réduits au chômage pour cause de fermeture. Cela fait que, dans la foulée, on n'a pas été regardant outre mesure quant aux conditions précitées. La deuxième raison a trait à la pratique du taxi-place, imposée de par son ampleur, au lieu du compteur. Force, cependant est de reconnaître que c'est devenu l'unique alternative, pour gagner de quoi vivre et s'acquitter des différentes charges et autres taxes auxquelles est soumise la profession. En effet, de 1500 véhicules, le nombre a grimpé à 2000 en quelques mois, engendrant une saturation préjudiciable au corps de métier tout entier. Racolage bruyant Le résultat est facile à deviner. C'est tout simplement le chaos le plus total qui s'installe, sous des formes multiples, à commencer par le racolage des clients. Dans les quatre stations réglementaires ou improvisées et carrément investies, les taximen interpellent bruyamment, à longueur de journée, les clients, à la manière des forains, des camelots et des colporteurs, outre le spectacle dégradant des disputes, de l'échange d'invectives, voire même des bagarres qui éclatent parfois entre certains collègues. Il n'est pas rare en effet de voir certains chauffeurs de taxi empiéter sur la « priorité » de leurs collègues, sachant qu'en matière d'ordre de priorité, c'est soit le système D, soit la loi de la jungle. Il arrive, même, en effet, qu'un gros bras impose sa loi et passe de force avant les autres. Excès de vitesse Une fois « la charge »- comme on se plaît à dire, dans le métier- embarquée, c'est la course de vitesse qui commence. Tout est bon pour gagner du temps, et plus particulièrement, lorsqu'il y a des places à pourvoir : excès de vitesse, course-poursuite, chassé-croisé, slaloms, dépassements interdits, non respect de la priorité ou de la signalisation routière, conduite à gauche etc…L'essentiel, c'est de faire le maximum de courses, quitte à bafouer ostensiblement le code de la route. Le taxi-place est en effet une pratique de nature à engendrer l'âppat du gain, la cupidité et l'envie démesurée d'augmenter ses recettes, même aux dépends de toute éthique et de toute déontologie du métier. Le phénomène est plus flagrant chez les jeunes conducteurs, engagés par les propriétaires des véhicules et qui sont donc obligés de partager la recette journalière avec eux. Délabrement des véhicules L'état de certains véhicules lui aussi laisse à désirer. Pris dans l'engrenage de la convoitise, nombre de propriétaires y accordent peu d'intérêt : lavages espacés, absence d'entretien de la carrosserie, sièges en mauvais état et surtout, enlèvement délibéré de lève-vitres arrière, soi-disant pour éviter les courants d'air nocifs pour les reins du conducteur. La chose pourrait être à la rigueur justifiée pendant la saison hivernale car les clients pourraient ne pas avoir besoin de baisser les vitres arrières. Mais ces lève-vitres ne sont plus remis à leur place durant l'été. Leur absence se fait sentir particulièrement aux feux rouges ou lors des embouteillages, moments durant lesquels les véhicules, à l'arrêt, se transforment en saunas et les passagers subissent malgré eux un véritable bain de sudation. Et là, l'on est en droit de s'étonner des carences manifestes de l'administration compétente! Le règne de l'arbitraire Non seulement les taximen s'arrogent le droit de fixer les tarifs qu'ils ont déjà majorés à trois reprises(500 puis 600 puis 700 millimes, la place pour le même trajet), mais de plus ils profitent des fêtes religieuses soit pour revenir au compteur, soit pour pratiquer des tarifs encore plus arbitraires, c'est-à-dire un dinar par personne. Par ailleurs, ils décident quand bon leur semble de revenir au compteur, particulièrement aux moments de la densité de la demande, même en dehors des périodes de fêtes religieuses. Nombreux sont également les chauffeurs de taxi qui refusent de transporter les clients vers le centre-ville pendant les heures de grande circulation, en été, alors qu'il peut s'agir de femmes enceintes, de personnes âgées ou de personnes malades. Quelles solutions ? Il est vrai que tous les problèmes évoqués sont dus à la saturation du secteur qui compte actuellement environ 2054 patentes. C'est ce qui explique peut-être la tolérance dont font preuve les autorités compétentes, vis-à-vis de la pratique illégale du taxi-place. En effet, après avoir sévi contre les contrevenants, durant les premiers mois de cette nouvelle pratique, l'administration et les services de police, semblent faire plus d'indulgence et les chauffeurs de taxis ne semblent plus nourrir la moindre inquiétude. Plus même, ils donnent l'impression d'être assurés de l'impunité : alors qu'ils évitaient auparavant de laisser monter ou descendre leurs clients, en présence d'un agent de l'ordre, ils se montrent maintenant plus audacieux, n'ayant plus à s'inquiéter outre mesure. C'est quand même assez grave ! D'autre part, il s'agit là d'une solution de facilité qui pourrait avoir des conséquences fâcheuses à l'avenir. En effet, à force de travailler au vu et au su des autorités compétentes dans l'illégalité, ces gens finissent non seulement par créer des précédents, mais qui plus est, risquent de devenir, à la longue, ingérables, et l'informel de devenir officiel, et ce qui est une faveur de se muer en droit. Par conséquent, et vu que le taxi- place rend un service très apprécié par les clients, la solution serait une meilleure organisation du secteur, en demandant aux personnes intéressées d'opter pour la formule de leur choix, c'est-à-dire de choisir entre le transport par place, tout en tenant compte de la densité démographique, ou par compteur, et à régulariser définitivement leur situation. Faute de quoi, le règne du chaos ne fera que perdurer.