TUNIS (Par Mériem Khadraoui) - Des dizaines de personnes attendent sur les bas-côtés de la route, à la Cité El Omrane Supérieur, des taxis qui passent mais qui ne s'arrêtent pas. Les taxistes circulent, pourtant, en cortège, affichant "libres" devant des gens gelés par le froid hivernal, pressés de rejoindre leurs lieux de travail, mais qui n'ont d'autres choix que l'attente... Cette scène est loin d'être inhabituelle, dans la ville de Tunis, qui compte environ 9 710 taxis. Lorsque les transports en commun sont bondés, en héler un, surtout par grand froid, relève de la gageure. Quand il pleut, c'est pire. Les témoignages de clients, recueillis par la TAP, concordent tous pour dire que "de nombreux taxistes enfreignent les lois les plus élémentaires du métier". Ces derniers exigent d'après eux, que "les courses correspondent à leurs destinations, réclament la monnaie pour le paiement des courses et se comportent avec mépris et arrogance, avec des femmes, des personnes âgées ou celles aux besoins spécifiques". Les témoignages ne s'arrêtent pas à ces comportements, ils en dénoncent d'autres plus dérangeants. Les complices du mauvais temps "Les chauffeurs de taxis n'en font qu'à leur tête, nous avons l'impression qu'ils sont complices du mauvais temps", lâche Hédia, lassée d'attendre depuis presque une heure sur le bas-côté de la route. "Certains d'entre eux ont peu d'égards envers leurs clients et cherchent même à les vexer par des conversations et des gestes déplacés", lance une autre jeune femme énervée. "Aux heures de pointe, les taxistes se retirent des zones d'embouteillage et disparaissent pour éviter l'encombrement, ça peut se comprendre. Mais quand ils sont en service, le matin, et ignorent, avec arrogance, les sifflements et les gestes désespérés des clients, c'est lamentable et même révoltant", s'indigne un homme de trente ans. Sous la pluie, les conducteurs de taxis ôtent, délibérément, la plaque de leurs véhicules et font comprendre aux clients, par des gestes de la main, qu'ils sont "hors service" ou "qu'il est temps d'aller manger". D'autres imposent leurs lois et refusent de prendre le client pour la simple raison que "sa destination" n'est pas la leur, qu'ils ne veulent pas approcher certains quartiers populaires ou encore que les trajets "sollicités" sont trop courts, donc "peu rémunérateurs". La Tunisie a changé, les taxistes non "Certains taxistes qui sillonnent le Grand Tunis, n'ont pas changé d'attitude, même après la révolution, phase qui aurait due changer les mentalités", reconnaît un chauffeur de taxi. Si ce quadragénaire déplore "les pratiques et les comportements de certains clients", il n'en estime pas moins "que les personnes qui ont choisi de faire ce métier, doivent, au moins, faire preuve de patience, même s'il est dur, parfois, de traiter avec une foule pas toujours commode", lance-t-il. "En l'absence d'une autorité et de mesures rigoureuses à leur encontre, ils continueront de faire la loi et resteront les maîtres à bord ", lâche Mohammed, un habitué de ce moyen de transport. Les agents de la brigade des taxis, qui relève de la direction de la police de la circulation, située à "la rue des juges", à El Menzah VI, reconnaissent, eux aussi, que le métier, "ouvert depuis 2001, à tout candidat avec pour seules exigences la nationalité tunisienne et un permis de place, (permis de transport collectif, louages, bus…) et sans exiger le bulletin n°3, est devenu quasi-incontrôlable. Les professionnels de la branche, multiplient les infractions". Seule structure en Tunisie qui dispose d'une base de données exhaustive sur les taxis, comportant une enquête détaillée sur les taxistes, la brigade constitue l'autorité de tutelle du secteur. "Son nom ne laisse pas indifférent ceux qui sont dans la transgression", affirment les représentants de la brigade qui ont requis l'anonymat, estimant que les comportements d'un grand nombre de chauffeurs de taxi n'est pas dû seulement à l'ouverture de la profession aux intrus. Le silence "encourageant" des clients En 2011, 85 infractions seulement, ont été enregistrées par les agents de la brigade, alors que les mauvais comportements se sont multipliés à l'égard des clients. Peu de violations sont dénoncées auprès des autorités de tutelle. "Les citoyens, passifs ou découragés par la complexité des procédures, ne dénoncent pas les infractions des taxistes", constatent-ils, tout en s'interrogeant "comment dissuader, dans ce cas, ces pratiques et comment assainir le métier?". "Les clients doivent réagir immédiatement, en relevant les deux premiers numéros du taxi incriminé et en portant plainte contre tout comportement inadmissible de sa part" avance l'un des agents de la brigade, indiquant qu'"il suffit d'appeler au numéro 71 750 953, pour que nous agissions". Un chauffeur de taxi est contraint, en cas de refus de transporter un client, de payer une amende de 150 dinars. Cette mesure est suivie d'un procès judiciaire, avec le retrait provisoire de la carte professionnelle. Les retraités "mécontents" du devenir d'un un métier "noble" "C'était un métier très noble, nous étions sélectionnés sur dossier et soumis à des examens plus sérieux", raconte un chauffeur de taxi de 68 ans. Les agents de la brigade d'El Menzah VI confirment qu'ils ont encore les dossiers des premiers taxistes de la ville de Tunis. Le premier "permis de place" a été octroyé en 1958, deux ans après l'indépendance. "Ils avaient une tenue vestimentaire présentable et faisaient montre de connaissances, de respect de l'éthique professionnelle et d'une conduite agréable", se souvient un retraité du métier. "Ce qui se passe actuellement, est embarrassant pour un pays touristique !" regrette-t-il. "Des touristes font l'objet d'escroqueries, d'autres payent des sommes d'argent énormes pour être transportés aux hôtels les plus proches de l'aéroport! Que vont-ils dire, ensuite, de la Tunisie et des Tunisiens, à votre avis ?", se désole un taxiste, septuagénaire qui continue d'exercer ce métier "par passion". En Europe, une récente étude, menée sur les taxis de 22 villes européennes, vient de conclure que les chauffeurs de taxis de Vienne, capitale autrichienne, ont toujours peu d'égards pour leurs clients. On leur reproche d'être sales et désordonnés, de ne pas avoir l'air conditionné, de ne pas bien connaître les itinéraires ou bien même de se tromper de chemin et aussi de parler un anglais "insuffisant"! Si les taxistes du Grand-Tunis étaient soumis à une telle enquête, qui sortira indemne de l'épreuve?...