« Notre but est de convaincre les Tunisiennes de l'impérieuse nécessité d'un dépistage précoce » - Le Pr en chirurgie carcinologique, Monia Héchiche, déplore le manque de discernement de la part de celles parmi nos concitoyennes qui font preuve de négligence. - On n'en finit pas de le rappeler : on guérit aujourd'hui d'un cancer du sein. Cette maladie méchante et virulente qui attaque les cellules peut être éradiquée : Il suffit tout juste de s'y prendre à l'avance. En ce sens, un dépistage précoce est de mise pour mettre toutes les chances de son côté. Les détails sur la question on les a sollicités auprès du Professeur en chirurgie carcinologique, Monia Héchiche. *Le Temps : « Les femmes tunisiennes de moins de 35 ans sont aujourd'hui touchées par le cancer du sein. Il y a de quoi s'inquiéter. Qu'en pensez-vous ? » -Pr Monia Héchiche : Oui je confirme cette donnée. On ne sait pas pourquoi les jeunes femmes sont touchées par cette affection sous nos cieux. Mais il faut avoir présent à l'esprit que les jeunes femmes de cette tranche d'âge représentent 10% de la population dans notre pays beaucoup plus que chez les Européens où cette catégorie de citoyennes constituent seulement entre 4 à 6% de la population. *Est-ce que vous pouvez nous dresser un état des lieux du cancer du sein dans notre pays ? Est-ce qu'il y a des recherches qui ont été entreprises sur la question ? - Il y a 1200 nouveaux cas chaque année, selon les statistiques de l'an 2004. Probablement il y a plus actuellement. Mais quand on parle en termes de statistiques on ne peut pas avoir des données très récentes, de cette année par exemple. La guérison dépend du stade d'évolution. Si on est au stade 1 le cancer guérit à 95%. Au stade 4 on peut se rétablir de l'affection dans 30 à 40% des cas. *Est-ce qu'on guérit totalement d'un cancer du sein sous nos cieux ? -On ne peut parler de guérison totale. La médecine, ce n'est pas une science exacte. Mais disons qu'après cinq ans on peut dire qu'on a dépassé le cap de la maladie. Pour ce qui est du cancer du sein, on est parvenu aujourd'hui à bien l'analyser avec des données épidémiologiques qui permettent de bien disséquer la chose, de comprendre ce qui se passe au juste. Mais on ne peut pas avoir de données sur la cause de cette affection. On sait, par contre que la maternité protège du cancer du sein. L'âge moyen du cancer du sein dans notre pays est de 50 ans. Le maximum d'incidence est situé entre 40 et 60 ans. *Que conseillez-vous aux Tunisiennes à ce propos ? -Le cancer ne veut pas dire ; chauve et mort. Il faut donc commencer l'autopalpation à partir de 40 ans. Si la femme a un antécédent dans la famille elle devrait procéder au dépistage précoce à partir de 30 ans. Selon les chiffres internationaux, cette maladie est héréditaire entre 5 à 10%. Seul un dépistage précoce permet d'accroître les chances de guérison. Mais le problème est que le nombre de malades qui viennent consulter est resté le même depuis 15 ans. En 1969 les femmes allaient voir un spécialiste après un an d'évolution de la maladie. En 2001 les femmes consultent après 8 mois. On n'a pas beaucoup avancé dans ce sens. Dans les années 70 la taille tumorale moyenne en consultation était de 6 cm. En 2001 elle est de 45 mm. En 2004 on peut estimer que ce chiffre est réduit à 36 mm. C'est toujours énorme. *Qu'est-ce qui fait que les Tunisiennes ne s'aperçoivent qu'il y a quelque chose qui ne va pas qu'après avoir un ganglion de 3,6cm ? -La peur. Ce n'est pas lié au niveau d'instruction. Mais les femmes ont peur d'avoir cette maladie. Alors qu'avoir un ganglion ne veut pas dire qu'on a automatiquement un cancer du sein. Cela peut être le signe avant-coureur d'un kyste ou d'un adénofibrome. En plus le cancer ne fait pas mal. Il y a parmi nos concitoyennes celles qui croient à tort qu'on devrait avoir mal à la poitrine pour avoir le cancer. *De mauvaises langues prétendent qu'on n'a pas assez de mammographes dans notre pays et qu'on manque de moyens pour le dépistage précoce ? Qu'en pensez-vous ? -Un mammographe peut dépister une tumeur de moins de 2 cm. Notre but est donc d'amener les Tunisiennes à consulter avant d'avoir 2 cm de taille tumorale. Autrement ce serait perdre de l'argent pour rien, si on fait une mammographie pour une tumeur qu'on peut palper. Pour le moment, dans une première étape, notre but est de faire participer les Tunisiennes pour qu'elles adhèrent à cette stratégie de dépistage précoce. On a de la chance en Tunisie, car les dispensaires sont implantés partout dans toutes les régions du pays. Donc les femmes peuvent se faire palper dans la région où elles vivent. *Qu'en est-il du plan national de lutte contre le cancer ? -Grâce à ce plan, de nouveaux postes ont été ouverts. De nouvelles unités d'oncologie ont vu le jour dans plusieurs régions du pays comme, Gafsa, Jendouba et Gabès. Les femmes ne sont pas obligées de se déplacer pour faire un protocole de chimiothérapie et parfois même pour subir une opération chirurgicale. L'Association Saida a par ailleurs, soutenu le plan national pour la lutte contre le cancer. Le but étant d'informer sur cette affection, de sensibiliser les femmes d'aller consulter à temps et d'aider les personnes malades. Bien entendu, le projet de l'Institut Zahraoui demeure la plus grande réalisation de notre Association. Votre travail de chirurgienne en cancérologie vous met en contact avec des gens en face à l'échéance de mort. Est-ce que cela vous permet d'appréhender autrement la vie ? J'ai vu des gens qui croquaient la vie à pleines dents et du jour au lendemain leur quotidien a basculé. Cette maladie les décompose. Avec le cancer on doit avoir la foi pour ne pas succomber facilement à cette affection. Et puis, cela nous apprend à aimer la vie et à s'accrocher quand on sent qu'on va la perdre.