«Je roule, je roule jusqu'à m'abrutir jusqu'à ne plus penser à rien, un peu pour renaître demain et goûter le plaisir d'une nouvelle journée au bout de l'autoroute dans le désert… voyager et n'être rien du tout, ni touriste, ni reporter, ne chercher aucune performance… ne rien chercher à prouver…». Par définition le photographe est un voyageur humble et solitaire, un arpenteur qui sillonne le monde, le regard averti, un interprète qui transmet les fruits de son expérience… du quotidien le plus banal au paysage le plus extravagant. Raymond Depardon fait partie de ces hommes. Cela fait 50 ans qu'appareil à la main, il convoque en noir et blanc les détails et les hommes dans un simple cadrage. C'est dans sa ferme natale qu'il pose pour la première fois son objectif du côté de Villefranche – sur – Saône, sujet d'ailleurs qu'il affectionne encore puisque les paysans sont une constante dans son travail. Photographe mais aussi cinéaste, il observe ces profils de la paysannerie qui fixe l'intensité de cette part de la société. Une France profonde dira-t-on, un voyage de l'intérieur, un plan-séquence fabriqué par la caméra. D'ailleurs, à la Bibliothèque nationale de France, une fort impressionnante rétrospective est consacrée à la France de Raymond Depardon. Des visages travaillés par le temps, aux territoires les plus retirés, Depardon observe patiemment la présence de l'homme. Humaniste à souhait, la photographie de Depardon alterne le reportage et le document sans pour autant s'éloigner de l'esthétique qu'exige l'art photographique. Temps morts, temps vivants, l'artiste capte, enregistre, interpelle, témoigne, dénonce, raconte. Mais ce n'est pas seulement en France que Raymond Depardon a posé son trépied, il est allé au bout du monde, en Afrique, par exemple, de laquelle il a ramené des clichés poignants. On se souvient avec émotion du film « Afrique, comment ça va avec la douleur ? ». Un documentaire d'exception ! Oeuvre militante, le travail du photographe insiste sur la subjectivité qui laisse apparaître tant de réalités différentes qui montrent un monde dans le monde. Autre temps fort, les images ramenées de San Clémente, l'hôpital psychiatrique dans la banlieue de Venise, où l'on voit cet homme qui se soustrait aux regards, plongeant sa tête dans son manteau. « Il y a quelque chose de violent à faire des photographies, je n'ai pas besoin de parler avec les gens mais c'est peut-être mieux pour leur voler des images». Maître de la photographie réaliste, Depardon s'est fait aussi remarquer par les portraits des hommes politiques. Photographe à l'agence Magnum, il n'a pas cessé d'imprimer sur la pellicule l'histoire du monde, avec cette hantise de lever souvent le voile sur les injustices, les interdits, les répressions. Il photographie, découpe image par image, plan par plan, le désert américain, guettant dans le viseur la moindre trace humaine ou un fil électrique jeté sur la route, ou encore ces gens qui traversent une rue au passage piéton. «Je voyage… je rate des avions, je prends des trains, vous sentirez l'intensité de l'ubiquité… je ne parle que de moi, je reste photographe pour mieux préserver le cinéma ». Si l'un de vos voyages vous amène à Paris, n'hésitez pas à aller visiter l'exposition de Depardon à la BNF, ou vous rendre dans une libraire où ses livres sont nombreux.