“Fondamental reste le mystère du monde qui m'a produit que personne n'a produit. Je ne peux rien entreprendre sans risque au fond je suis seul face à mon destin…” C'est ainsi que s'achève le dernier recueil de poèmes de Lorand Gaspar intitulé “Derrière le dos de Dieu”, paru aux Editions Gallimard en mars dernier. Comme toute son œuvre, Lorand Gaspar signe là un livre d'exception, un grand moment de poésie, un aller-retour dans la conscience. Il s'agit là d'une sorte de fusion mystico-cérébrale du poète avec le monde, une sorte d'architecture cosmique qui met en scène symboles et éléments, corps et pierres inertes. Derrière le dos de Dieu, c'est le nom donné à une des régions de la Fransylvanie orientale d'où sont originaires les grands-parents du poète mais c'est aussi sans doute le titre que donne l'auteur à cette parole imminente faite de tout ce qu'il porte en lui. Toute une vie de luttes et de combats, de bonheurs et de joies. A plus de quatre-vingt ans le poète se veut l'écho de l'histoire contemporaine, l'interprète des drames qui s'emparent de l'humanité, le témoin de ce perpétuel exil de l'homme sur la terre. On retrouve dans son écriture ses figures familières, la récurrence de ses icônes obsessionnelles, la mer, les ténèbres, les pierres, le néant mais aussi l'amour et la fragilité des hommes. “Que cherches-tu en revenant sans cesse à ce presque rien d'une vie qui bouge dans l'herbe et semble te dire qu'il te faut réapprendre le silence au-dedans et laisser les chiens aboyer…”. Lorand Gaspar construit ainsi une alliance, une conjugaison de visions surréelles et d'images simples. La langue y est sensuelle, par moments lyrique mais toujours nourrie des cultures plurielles du poète. Poète et photographe, Lorand Gaspar a été plus de qurante ans chirurgien en Tunisie. Actuellement il co-dirige un institut de neuro-sciences à Paris et il partage son temps entre la Marsa et Paris. L'Odyssée continue. Ainsi il donne à voir la lumière cosmique, la présence fragile de l'homme, convoite et courtise la moindre parcelle, et donne un visage à l'invisible. Mais n'est-ce pas cela un poète, celui qui investit le monde dans sa totalité et s'identifie au jaillissement de la scène, à son commencement ? Lorand Gaspar rend au Logos sa fonction, une parole indispensable pour être au monde. Construction magique, elle renoue avec les origines, sort le monde de son sommeil mémoriel. Beau trajet, indispensable voyage où l'homme recouvre la parole pour l'incarner dans la chair. “Me revient dans la chair le souvenir d'une longue traversée quelque part en Arabie pétrée déserte et heureuse Vois, disait la voix, comme tout est mort et désolé en moi-même je pensais : j'entends creuser le silence…” Tout acte poétique naît sans doute de ce silence infini qui habite la pensée humaine. C'est de ce mutisme-là que naît la parole poétique qui engendre fracas et intensité. Une parole entourée d'arbres, de vagues, de torrents, de forêts mais aussi de couteaux et d'hirondelles qui saignent. Lorand Gaspar revisite l'anatomie du cerveau comme pour finir la symphonie. Des neuropoèmes dit-il, qui négocient la vie entre grande turbulence et draps d'acier, entre voleur de tombeaux et petite pluie froide et grise. Pour ne citer que le poète lui-même. Lorand Gaspar nous guide ainsi vers les îles les plus lointaines. Un monde infiniment vivant et habité, derrière le dos de Dieu. Marianne GATZARAS