Depuis le 3 décembre, une exposition lui est consacrée à Paris. Le 2 du même mois, il y a de cela 30 ans (1980), il s'est suicidé en se tirant une balle dans la bouche. L'auteur de « les racines du ciel » et de « la vie devant soi » avait laissé une lettre dans laquelle il avait pris soin de souligner que sa mort volontaire n'avait « aucun rapport avec Jean Seberg », l'actrice américaine qu'il épousa en secondes noces, dont il divorça après avoir eu un enfant avec elle en 1963 et qui s'était, elle-même, suicidée en 1979. Voulait-il par cette précision éviter toute spéculation entre son suicide et celui de l'actrice ou bien, connaissant la douceur et la tendre tristesse de son humour, voulait-il signifier à ceux qui le connaissaient profondément qu'il n'a pu se défaire de la mort violente de cette plante fragile avec laquelle, il a vécu sa plus folle histoire d'amour. Se sentait-il coupable de l'avoir anéantie ? Mais qui pourrait prétendre connaître Romain Gary, spécialiste en pseudonyme qui s'appelait en réalité Romain Kacew et qui outre Gary, son pseudo le plus couramment utilisé puisqu'il va servir de signature à la plus grande partie de son œuvre (une trentaine d'ouvrages), il va en utiliser quelques autres, tels que Fasco Sinibaldi, Shatan Bogat et celui qui ébranla la critique et le lectorat parisiens puisqu'il servit de signature pour « Gros Calin », «Pseudo », « l'Angoisse du roi Salomon » mais surtout « la Vie devant soi » qui décrocha le prix Goncourt, qui fût porté à l'écran en 1977 par Moshé Mizrahi, qui remporta le rôle du meilleur film en langue étrangère et dans le rôle de Madame Rosa, Simone Signoret, remporta le César de la meilleure actrice. Il nous faudrait reconnaître que le personnage semble avoir été crée pour elle. Madame Rosa est une ancienne prostituée juive qui a connu Auschwitz et qui habite une sorte de crèche clandestine où les filles de joie abandonnent plus ou moins, leurs rejetons. La majorité des enfants s'appèllent Moïse ou Banania, le héros de dix ans qui raconte sa vie chez cette vieille dame disgracieuse, qui est la seule maman qui lui reste et qui, lorsqu'elle meurt, lui peint le visage de Ripolin, l'arrose des parfums qu'il a volés et se couche près d'elle pour mourir aussi, est le seul à s'appeller Momo. « Je m'appelle Mohamed mais tout le monde m'appelle Momo pour faire plus petit ». Pendant longtemps, je n'ai pas su que j'étais Arabe parce que personne ne m'insultait. On me l'a seulement appris à l'école ». Plus d'un million d'exemplaires vendus pour ce conte déchirant, où certains virent un remake des « Allumettes suédoises » version Judèo-arabe. Mais cette approche est erronée, car c'est autour de la vie passée de Madame Rosa et de la mort à venir, qu'est bâtie cette fable sentimentale des temps modernes, même si cette vie et cette mort son léguées par amour au petit Momo, narrateur et cœur battant de cette tragédie douce-amère dont il ponctue l'action que la vieille dame suggère. Roman Gary, boudé par la critique parce qu'il était diplomate gaulliste, et considéré donc, comme réactionnaire, lui fit un joli pied de nez en signant ce roman Emile Ajar et en recevant sous ce pseudonyme le Prix Goncourt après l'avoir reçu sous celui de Gary alors que ce « trophée » n'est attribuable qu'une seule fois. Compagnon de la libération, écrivain et diplomate, l'itinéraire de Gary est celui d'un solitaire qui par pudeur et fierté n'a jamais voulu révéler aux autres, ce qu'il était.