Par Khaled GUEZMIR - L'Egypte va-t-elle nous devancer dans la mise en marche du système démocratique validant ainsi le bon proverbe tunisien : « warrih al hçira yesbekek lil jemaâ » (Montrez lui la natte il vous précède à la mosquée) ! Le conseil supérieur militaire égyptien vient de décider coup sur coup la suspension de la constitution et la dissolution des deux assemblées du parlement en attendant de former un « conseil constituant pour faire d'abord une nouvelle constitution puis superviser les élections parlementaires et éventuellement présidentielle, sans préjuger d'avance de la forme du futur régime parlementaire ou présidentiel ! Voilà qui est clair comme l'eau de roche sans hésitations ni manœuvres dilatoires ou suspectes ! Alors que chez nous c'est encore les réformes aux goutte-à-goutte, l'Egypte semble plus résolue à aller de l'avant et jouer franc jeu pour l'établissement d'une démocratie réelle et irréversible ! On appelle cela de l'assurance ! En fait qu'est-ce qui fait la différence entre les deux démarches : tunisienne et égyptienne ! A notre avis il s'agit d'une question de méthode et d'héritage culturel politique et administratif qui remontent à la colonisation ! Alors que chez nous la culture administrative et politique dominante qui est à la base du système est d'influence française, en Egypte c'est l'héritage britannique qui prévaut : La culture britannique ne s'attache pas beaucoup aux « textes écrits », elle est essentiellement pragmatique et favorise l'évolution et la réforme qui s'impose dans le vécu c'est-à-dire la réalité du terrain. La légitimité anglaise ne fait que se confondre avec la légalité. Celle-ci doit être l'expression des exigences populaires et la nécessité d'adapter la loi à l'évolution. Le texte constituant en Grande-Bretagne remonte à 1689 donc au XVIIiem siècle le « Bill of rights », qui est pratiquement une charte. Mais ceci ne veut pas dire que le régime ou le système social et politique en Grande-Bretagne est figé ou n'évolue pas ! Bien au contraire ! L'adaptation est dans la nature des choses et se fait sans heurts ni revendications violentes ! La France nous a légué après 75 ans de protectorat une certaine prédilection pour le texte « écrit » qui atteint un haut degré de sacralité ! D'où le blocage et la réforme au pousse – pousse ! La dernière loi sur les retraites en France a failli déstabiliser le gouvernement de M. Sarkozy, alors qu'elle a été adoptée sans aucun problème par l'Allemagne et l'Angleterre qui ont des cultures très semblables malgré les apparences ! La conséquence de tout cela c'est que nous nous retrouvons dans une sorte d'impasse constitutionnelle que les plus chevronnés de nos juristes n'arrivent pas à résoudre ! Et on revient à la question éternelle de l'œuf et de la Poule ! Faut-il au nom de la Poule ! Faut-il au nom de la malheureuse constitution de 1959 qui a été manipulée une dizaine de fois aussi bien par Bourguiba que par Ben Ali, et où bien sûr il ne faut pas comparer l'incomparable au niveau de la Stature des deux hommes ni de leurs qualités morales, donc faut-il élire le nouveau président de la République en conformité avec son article 57 ! Et là, le risque est énorme pour ne pas dire certain de tomber à nouveau dans le cycle : autoritarisme – despotisme – totalitarisme ! En fait personne ne peut garantir qu'un nouveau leader charismatique et populaire, n'aille pas dans cette voie, même avec les garde-fous classiques et la séparation des pouvoirs ! Ou faut-il y aller à l'Egyptienne, suspendre la constitution, dissoudre ce parlement tutélaire et contesté et passer à l'élection d'une assemblée constituante ou d'un conseil constituant qui aura d'abord à établir une constitution, à définir le prochain régime – parlementaire ou présidentiel – puis passer aux élections du parlement et du président selon le régime qui aura été établi par la nouvelle constitution ! Je suis tout à fait d'accord avec les professeurs Sadok Belaïd et Habib Ayadi qui ont bien résumé les difficultés actuelles par l'inadéquation entre la légitimité révolutionnaire et la légalité du système actuel, tel que défini, par la constitution de 1959 ! En conséquence ce qu'il faut, c'est donner la légalité à la légitimité révolutionnaire parce que tout simplement la légalité actuelle du système n'est plus légitime ! Ça résume parfaitement les nouvelles aspirations et les nouvelles exigences. Les Tunisiens et les Tunisiennes veulent tout simplement la clarté, la transparence et surtout l'établissement d'une démocratie viable et durable imperméable au despotisme et qui rompt définitivement avec le passé ! Vous voyez que notre compétition avec nos frères égyptiens est loin d'être terminée… on a gagné la première manche… mais pas encore la deuxième !