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Nouvelle vie politique en Tunisie
Publié dans L'expert le 23 - 03 - 2011


Ce qu'en pensent des experts

Tunisami, effet papillon, boule de neige,… Les expressions n'ont pas manqué pour qualifier les conséquences du soulèvement populaire tunisien, déclenché en décembre dernier.
Un soulèvement sans leadership, portant des messages et des leçons au monde entier et dévoilant des réalités longtemps masquées.
D'une superficie proportionnellement très modeste, carrefour des civilisations et pays arabo-musulman inséré dans la mondialisation et ouvert sur l'économie de l'information, la Tunisie a dignement marqué l'histoire en évinçant, le 14 janvier, un dictateur qui l'avait présidé depuis 23 ans.
Pas de «marche-arrière». La tunisie est bien décidée à exclure tout régime dictatorial sur son territoire et à consolider les bases d'une vraie démocratie.
Une nouvelle constitution à l'horizon, une assemblée constituante le 24 juillet prochain, un régime politique en débat,… Les interrogations et les débats n'en finissent plus en cette période de transition.
Les défis sont majeurs et chaque tunisien a un devoir envers le pays et son avenir.
La Tunisie est aujourd'hui en gestation. Il lui importe de parer au plus pressé. Son avenir est certes conditionné par plusieurs éléments et facteurs dont nous découvrirons certains à la lecture de ce dossier.
Ci-après, un recueil de propos d'experts que nous avons interviewés sur la révolution tunisienne et sur certaines étapes de l'après 14 janvier.



Dr. Fadhel Moussa
Doyen de la Faculté des Sciences Juridiques Politiques et Sociales de Tunis


Le message de la révolution tunisienne
La révolution tunisienne est une révolution civile et moderniste (madaniya et tahdithiya) sans commandement ni leadership. Elle n'est ni islamique ni laïque. Elle a revendiquée les valeurs universelles: dignité, liberté, égalité et démocratie. Elle a apporté un démenti cinglant à la thèse selon laquelle il n'y aurait qu'une seule alternative soit un régime sécuritaire soit un régime intégriste islamique pour la Tunisie. Elle a apporté la preuve que la quête de la démocratie pluraliste n'est pas l'apanage du Nord et que la religion, bien comprise, ne constitue pas forcément un handicap à la démocratie, aux droits de l'homme et aux libertés. Cette révolution a été aussi nourrie et accompagnée par la quête des droits économiques et sociaux réels et effectifs. A tous ces titres elle sera, dans l'histoire, la première révolution du genre à connaître une aussi rapide progression dans le monde arabe et même au-delà.




Photo N°7790
Dr. Kaïs Saïd
Professeur de droit constitutionnel à la Faculté des Sciences Juridiques Politiques et Sociales de Tunis

Qu'est-ce qu'une assemblée constituante?

Le texte fondamental dans n'importe quel Etat est la constitution. L'assemblée constituante, comme son nom l'indique, est une assemblée destinée à élaborer une constitution. Elle est élue par le peuple au suffrage universel, direct, secret et libre. Elle représente par la voix des élections tous les courants politiques.
Actuellement, le problème reste à savoir quel sera le mode d'élection qui sera retenu. À cet égard, il faut être bien vigilant, parce que tout choix a des répercussions politiques sur la représentativité.
Cette assemblée doit être élue- ce qui est certain - et représentative.

Pourquoi une assemblée constituante aujourd'hui ?

Suite à la révolution, le pays entre dans un processus de rupture avec l'ancien cadre juridique. Il faut rompre avec une constitution qui est devenu en quelques sortes le symbole de la dictature et de l'absence de la participation effective des citoyens dans la prise des décisions. Il faut que la nouvelle constitution soit l'expression réelle de la volonté du peuple.
Nous sommes appelés à élire, le 24 juillet prochain, une assemblée pour élaborer la nouvelle constitution. Il faut être bien vigilant à l'égard du texte électoral qui sera décisif et déterminant pour la représentativité des citoyens.



Dr. Mohsen Elkhouni
Maître-assistant de philosophie pratique à l'Institut Supérieur des Sciences Humaines de Tunis

L'éthique: la nécessité d'en tenir compte

L'éthique est une dimension fondamentale de notre vie humaine. Elle devrait être une source d'inspiration des législateurs. Il est possible de définir la révolution tunisienne, d'un point de vue éthique, comme étant un soulèvement radical ou une réaction collective contre les différentes formes d'humiliation et de mépris. Les gens qui se sont révolté étaient généralement victimes d'une haine sociale. La souffrance est le symptôme de cette pathologie. Quant il s'agit de l'individu isolé, il peut, face à cette situation, réagir passivement par un acte suicidaire. Tel était le cas de Med Bouazizi. Ce jeune se trouvant dépossédé de son moyen de subsistance, lui qui est responsable d'une famille, et agressé par une femme- flic, décide de mettre fin à sa vie sur une scène publique et d'une manière à la fois passive et provocatrice d'une révolution. En effet, son acte a mis le feu dans le sentiment de peur qui a été institué par un régime tyrannique. Le suicide de Bouazizi, nous a touchés au fond de nous-même. Il a été le comble d'une série d'actes semblables qui ont éveillé en nous le sentiment d'un manque horrible de dignité humaine. Nous avons compris que Bouazizi et les autres martyres se sont éteints pour nous éclairer le chemin de la dignité. Par ces gestes, ils ont éveillé nos consciences morales. Ainsi, la colère exprimée par les tunisiens de toutes les régions pendant les manifestations a trouvé enfin son chemin royal par un agir actif; la colère et la haine sont vite traduites par la quête de la dignité, de l'égalité et de la liberté. La révolution a été poussée par une grande tension des sentiments moraux. Chaque individu, quel que soit le groupe auquel il appartient, exige la dignité, la liberté, l'estime de soi et le respect de la personne humaine. Ce sont les droits les plus élémentaires des hommes.
Le respect de la personne humaine est alors un droit fondé par des actes révolutionnaires qui s'enracinent dans des sentiments. Par conséquent, notre nouvelle constitution doit tenir compte de ce constat ; nous réclamons l'établissement d'un pouvoir faisant des principes de la constitution une source de toutes les lois et les institutions de la société. Je parle d'une éthique sociale qui peut être traduite dans une politique et non d'une éthique qui se croit indépendante de la politique, autrement dit une éthique sociale qui doit être enracinée dans le comportement quotidien de tous les citoyens. Ainsi, j'attire l'attention des architectes de notre nouvelle constitution de ne pas négliger au nom d'un scientisme ou d'un formalisme ce côté éthique de la révolution. Notre nouvelle Tunisie doit être respectueuse des droits de l'Homme. Cette révolution a élevé le respect au rang d'un principe intersubjectif. Le respect de la personne humaine doit être le principe de l'éducation parentale et scolaire. Il n'est plus permis que ce soit au sein de la famille ou au sein de l'école (la société) ou sur la scène de la politique d'humilier l'individu quel qu'il soit enfant, élève ou citoyen. La révolution nous a appris qu'il ne faut pas élever nos enfants dans la haine et le mépris et il faut s'incliner devant cet impératif : jamais l'individu ne peut se libérer s'il est élevé dans des conditions pathologiques. La révolution nous ordonne également de respecter les jeunes – qui ont dit non à la dictature et qui ont chassé le dictateur et sa bande d'assassins. Notre révolution est chargée de tension politique, économique, culturelle, légale mais elle chargée aussi d'une haute tension éthico sociale : elle nous promet Le changement profond des comportements des gens au sein de la famille, qui est le noyau de la société, et au sein de la société civile par le principe de solidarité. Ceux qui participent à la victoire de cette révolution se sentent mobiliser par l'impératif de solidarité entre les gens et les régions de la Tunisie.







M. Taïeb Ourari
Syndicaliste

Cesser cette guerre à la légitimité de la révolution

Etant donné que la population a vécu une profonde crise de confiance entre le gouvernement et le peuple, les promesses à elles seules ne suffisent pas à la rétablir. Il faudrait des actes concrets et le plus rapidement possible, évidemment sans improvisation. Avec toutes ses bonnes intentions, M. Mohamed Ghannouchi n'a pas tenu compte du facteur temps dans la gestion de la pré-révolution. Il importe de prendre en considération l'impatience de l'opinion publique et de réaliser bel et bien une rupture avec le passé. Il y a également une lourde responsabilité à assumer par les élites tunisiennes qu'elles appartiennent à des partis politiques ou à la société civile. Ces élites doivent cesser cette guerre à la légitimité de la révolution. Il faut reconnaitre que la révolution tunisienne n'est pas tributaire d'un leadership. Tout le monde peut contribuer à l'avènement du printemps tunisien, mais en respectant les règles du jeu.

Un message adressé à l'étranger

Par le passé, les décideurs étrangers fidèles à la recherche de leurs intérêts ont misé sur les pouvoirs en place. Ils ont cautionné même les violations des droits de l'homme et ils ont sous-estimé la capacité de la société tunisienne de revendiquer un autre destin comme l'a dit le poète Abou El Kacem Chebbi. Aujourd'hui, les masques sont tombés. Il va falloir que les élites étrangères revoient leurs copies et ouvrent des champs de concertation et de coopération avec les sociétés dans un partenariat d'égal à égal et de gagnant-gagnant qui garantissent une pérennité de l'entreprise.



Dr. Mohamed Lazhar Gharbi
Historien, Université de la Manouba

Une révolution à caractère politique plutôt que culturel

Les changements qui se sont déroulés en Tunisie, en Egypte et en Libye répondent bel et bien au caractère d'une véritable révolution. Toutefois, le mouvement de contestation générale a permis, jusqu'à nos jours, de démolir les régimes en place sans qu'il y ait, pour autant, la perspective d'une alternative pour remplacer l'ancien régime et bâtir une nouvelle société et une nouvelle économie. Il s'agissait donc de démolir et non pas de construire. Nous assistons, de ce fait, à une première phase d'une révolution dont le plus important reste à réaliser.
Cette situation s'explique, entre autres, par des données culturelles. Je pense que la révolution dans ces trois pays n'était pas précédée par un mouvement culturel comme c'était le cas pour le mouvement des lumières en France. Avant la révolution française, il y avait eu la philosophie des lumières qui a défini un certain nombre de concepts et de paradigmes comme la liberté, la citoyenneté, la démocratie. Tout était défini au préalable, et par la suite il y a eu la révolution française comme couronnement de ce mouvement culturel. Cette même philosophie des lumières a été même le point de départ de la révolution américaine à la fin du 18ème siècle. Partout dans le monde, il y a eu un changement culturel et par la suite un mouvement politique. Ce qui s'est passé chez nous est tout à fait l'inverse. Nos pays n'ont pas connu le même processus que les pays européens. Ils n'ont pas connu une mutation profonde qui serait à la base de cette révolution dont le caractère reste, avant tout, politique.
Un autre élément, en plus des raisons culturelles, explique cette donne, à savoir la pesanteur historique de la dictature dans nos pays. Elle existait depuis le moyen âge, elle a continué avec l'empire Ottoman et avec l'occupation française. On a toujours souffert d'une dictature d'un type donné. La dictature est le problème majeur dans nos sociétés et c'est la raison pour laquelle les révolutions ont pris un caractère politique.

Les enjeux culturels

Le premier enjeu culturel consiste dans le fait d'ancrer une certaine culture politique dans notre société. C'est ce qui manque surtout pour les jeunes et les classes populaires. On veut bâtir une nouvelle société, un nouvel Etat et une nouvelle économie, mais sur quelles bases? Les bases sont floues et les jeunes qui ont fait cette révolution n'ont pas cette culture.
Il faut une culture politique qui permet de saisir tous les concepts politiques. Qu'est-ce que un régime parlementaire? Qu'est-ce que la citoyenneté? Que signifie l'Etat, la laïcité, la démocratie, la liberté, l'individu,…? Tous ces concepts qui seront la base d'un nouvel Eta et d'une société plurielle méritent d'être définis. La culture politique nous manque aujourd'hui. L'une des conditions majeures pour que la révolution réussisse consiste dans le fait d'ancrer cette culture politique chez toutes les catégories sociales, surtout chez les jeunes.
Le deuxième enjeu est, à mon avis, la nécessité de revoir notre héritage culturel depuis les berbères, en passant par les carthaginois et les romains en arrivant à l'Islam. Jusqu'à présent, il y a deux approches: la première donne un caractère sacré à ce patrimoine et donc, on ne peut pas le critiquer; l'autre exclut totalement ce patrimoine en l'accablant de tous les maux. Ces deux approches ne sont pas, à mon avis, appropriées à la situation historique que nous vivons aujourd'hui exigeant une œuvre de construction sur des bases nouvelles. Il faudrait, à mon sens, une approche qui concilie les deux. Cela implique la nécessite de revoir notre patrimoine culturel en vue de bâtir une société nouvelle. Pour réussir, chaque œuvre de construction ne devrait pas ignorer ou exclure l'identité de la société et sa culture qui devraient être au diapason de la culture universelle. La liberté, le progrès, la tolérance, la modernité, la justice sont les piliers de cette culture universelle au sein de laquelle notre révolution et notre société future sont appelées à s'insérer.



Dr. Kaouthar Debbeche, maître-assistante à la faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis
A propos du discours de M. Foued Mebazaa du 03 mars
C'était un discours particulièrement attendu après deux semaines de sit-in à la Kasbah et des heurts meurtriers pendant le weekend. Les attentes du mouvement de protestation ont été dans une large mesure satisfaites avec notamment l'élection d'une assemblée constituante chargée d'élaborer une nouvelle constitution et dont les membres seront élus le 24 juillet 2011 au suffrage direct. Nous pouvons donc dire qu'après des semaines d'hésitation et de remaniements ministériels contestés, la rupture avec le régime de Ben Ali est enfin consommée, à la joie du peuple et à la satisfaction d'une grande partie de la classe politique et des juristes tunisiens. Car, il faudrait reconnaître que des élections présidentielles dans le cadre de la Constitution de 1959, même si elles étaient parfaitement envisageables, auraient semé le doute sur le processus de la transition démocratique. «On ne fait pas de neuf avec du vieux», dit-on. Ce n'est pas que la Constitution de 1959 soit foncièrement mauvaise, mais c'est qu'elle incarne dans l'esprit des Tunisiens l'escroquerie constitutionnelle, les artisans de Ben Ali ayant largement manipulé le processus de révision afin de renforcer les pouvoirs du président de la République, en sapant les fondements de la république, à savoir la logique de l'alternance, et en cultivant la logique de l'impunité (avec la fameuse immunité juridictionnelle de l'article 41 tel le que révisée par le référendum de 2002), si étrangère à la démocratie. Le peuple qui aspire à une véritable démocratie ne veut plus d'une constitution taillée sur la mesure d'un despote qui a instrumentalisé les techniques démocratiques (le référendum en l'occurrence) afin d'usurper le pouvoir, en l'absence de contrepoids.
Bref, organiser en temps révolutionnaire des élections présidentielles dans le cadre d'une constitution concentrant entre les mains du président les pouvoirs du chef de gouvernement dans le régime parlementaire et ceux du président dans le régime présidentiel, aurait été une erreur de méthode susceptible de déstabiliser le processus démocratique amorcé le 14 janvier. Le peuple tunisien a intuitivement rejeté cette solution et c'est ainsi que le consensus s'est résolument cristallisé autour de l'élaboration d'une nouvelle constitution. Le gouvernement, après le mouvement de contestation qui l'a fait sérieusement vaciller, a fini par comprendre le message. Il s'est plié à la volonté du peuple, désormais acteur de son propre destin. A ce propos, il est symptomatique que le Président par intérim, à plusieurs reprises dans son discours, a rappelé que l'élection d'une constituante consacre la volonté du peuple, titulaire de la souveraineté qu'il veut exercer pleinement dans le cadre d'un régime rompant de manière irréversible avec le régime déchu. L'élection d'une constituante, a-t-il pris le soin de le préciser, tient au fait qu'il n'y a de légitimité que celle qui sort des urnes. On ne peut que se féliciter de cette réappropriation de la souveraineté par le peuple, une souveraineté qui lui a été longtemps confisquée.
Une constituante à élire le 24 juillet prochain sur la base d'une loi électorale qui sera incessamment adoptée, tels sont les principaux points de la feuille de route dessinée par le président par intérim. Mais en attendant cette date historique, il faut prévoir une organisation provisoire du pouvoir et c'est ce qu'a précisé M. Mbezaa. Il a tenu à souligner qu'il continuera à exercer ses fonctions au-delà du 15 mars. A partir du moment où la constitution de 1959 est suspendue, et que nous sommes entrés dans une nouvelle ère basée sur la légitimité révolutionnaire, nous pouvons parfaitement sortir de la logique étriquée de l'article 57 et percevoir la poursuite par M. Mbezaa de son mandat présidentiel temporaire comme une mesure qui se justifie par la nécessité d'assurer la continuité de l'Etat et de réaliser les objectifs de la révolution. D'un autre côté, il est vrai que le Président par intérim n'a pas évoqué la dissolution de la Chambre des députés et la Chambre des conseillers, pourtant hautement revendiquée par les manifestants. Seulement, la suspension de la Constitution de 1959 implique la dissolution de ses institutions, dont les deux chambres du parlement.
Le lendemain, le nouveau premier ministre, M. Béji Kaied Essebsi, s'est majestueusement engagé à appliquer cette feuille de route dans un discours modéré. Il est vrai que l'opinion publique était au départ mitigée quant à la nomination d'un ancien ministre bourguibiste de 84 ans pour mener la transition démocratique. Il semble toutefois que cet homme politique, réputé pour sa droiture et son indépendance d'esprit, a pu gagner la confiance des Tunisiens, son charisme aidant.

L'élection d'une assemblée constituante le 24 juillet 2011
Le président pas intérim a précisé que l'élection de l'assemblée constituante qui a pour tâche essentielle d'élaborer une nouvelle constitution aura lieu le 24 juillet prochain conformément aux dispositions de la loi électorale. Le soin de rédiger cette dernière revient à la "Haute Commission pour la réalisation des objectifs de la révolution, la réforme politique et la transition démocratique". Cette loi va préciser le mode de scrutin qui sera adopté pour élire les membres de la constituante. Opération délicate car le mode de scrutin exerce une influence sur les résultats de l'élection. Souvent, l'objectif politique poursuivi commande le choix du mode de scrutin. C'est ainsi que le scrutin de liste favorise les grandes formations politiques qui peuvent présenter des listes dans toutes les régions. C'est ce qui fait que ce mode n'est pas, il me semble, le plus approprié pour l'élection de la constituante car il permettrait probablement le retour du RCD sous de nouvelles appellations. La réalité politique actuelle en Tunisie, marquée par une prolifération des petits partis politiques, commande le scrutin uninominal qui est plus favorable aux petits partis, puisqu'il leur permet de présenter des candidats. Il permet également la présentation de candidatures indépendantes. Le scrutin uninominal est donc recommandé surtout qu'il présente tous les mérites de la simplicité étant compréhensible pour chaque électeur et lui permettant de contrôler le candidat nominativement. Il me semble donc que seul le scrutin uninominal serait à même d'assurer une meilleure représentativité du peuple tunisien. Par ailleurs, la haute Commission se penchera certainement sur la question de l'organisation des élections : les circonscriptions électorales, les conditions d'éligibilité et les candidatures, la campagne et les opérations électorales, les dépenses électorales et surtout le contrôle impartial des opérations électorales par un comité indépendant. C'est le gage d'élections démocratiques

Régime politique : Présidentiel ou Parlementaire?
Le bilan de 52 ans d'autoritarisme, exacerbé pendant l'ère Ben Ali, est tellement désastreux que le peuple tunisien ne veut plus entendre parler du régime présidentiel. Ce rejet s'explique par la crainte de revivre encore une fois une dérive présidentialiste du régime. Je ne vais pas prétendre ici faire le plaidoyer contre ou pour l'abolition du régime présidentiel. Je pense qu'il faut faire clairement le distinguo entre le régime présidentiel et le régime présidentialiste qui en est une déviation grave. En effet, le régime présidentiel, tout comme le régime parlementaire que les manifestants clament avec conviction, constituent a priori des régimes démocratiques et correspondent à différentes interprétations du principe de la séparation des pouvoirs. Rappelons que la théorie de séparation des pouvoirs préconisée notamment par Montesquieu postule une distinction de trois fonctions :la fonction législative, la fonction exécutive et la fonction juridictionnelle. A chaque fonction devrait correspondre un pouvoir confié à un organe distinct des autres. Ces organes doivent être indépendants les uns des autres quant à leur désignation et leurs attributions. En réalité, la théorie prône l'équilibre des pouvoirs plus que la séparation, de manière à éviter l'accumulation par un organe de l'exercice des trois pouvoirs. «Pour qu'on ne puisse pas abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir», disait Montesquieu.
Cette théorie a d'abord été appliquée dans la constitution des Etats-Unis de 1787. Ce fut alors le régime présidentiel marqué par certaines caractéristiques: d'abord la concentration du pouvoir exécutif entre les mains du Président disposant de larges pouvoirs. Il est à la fois chef de l'Etat et chef du gouvernement. Il n'y a pas de gouvernement au sens parlementaire du terme, c'est-à-dire un organe collégial et solidaire avec des missions et responsabilité propre. C'est le président qui nomme les ministres et les révoque et ils ne font que mettre en œuvre la politique dessinée par le Président. C'est le caractère représentatif du président – étant élu au suffrage universel indirect aux Etats-Unis – qui justifie cette autorité considérable. Il dispose d'une légitimité autonome, tout comme les assemblées parlementaires (le Congrès) qui est lui-même élu et donc non soumis à l'exécutif. Autre caractéristique est l'indépendance réciproque du Président et des organes législatifs, chacun des organes disposant pleinement de la fonction qui lui est dévolue, sans interférence. Cela a pour conséquence l'absence de pressions et de moyens d'action réciproques. Le Président ne dispose pas d'un droit de dissolution sur les assemblées et inversement les assemblées ne peuvent contraindre le Président à démissionner. Cette indépendance contraint les pouvoirs à collaborer afin d'aboutir à une solution qu'ils estiment acceptable. Certes, les aménagements apportés par le système américain à cette séparation rigide des pouvoirs a permis d'atténuer cette rigidité susceptible de paralyser le système. Des mécanismes ont été mis en place afin de faciliter la collaboration.
Donc, dans le cadre du régime présidentiel, le bon fonctionnement du régime de la séparation des pouvoirs résulte de leur indépendance et leur collaboration résulte de l'absence de pression. C'est en cela que ce régime se situe résolument aux antipodes du régime parlementaire qui considère que la collaboration entre les pouvoirs résulte de l'existence de moyens de pression réciproque. En réalité, ce qui définit essentiellement le régime parlementaire c'est le fait que le gouvernement doit toujours y disposer de la confiance de la majorité parlementaire. C'est ce qui explique les différents mécanismes du régime à savoir la dissociation entre les fonctions de chef de l'Etat-incarner la continuité de l'Etat sans participer réellement à l'exercice du pouvoir- et celles du chef du gouvernement qui dispose d'une véritable autorité. C'est le Chef de l'Etat qui choisit le chef de gouvernement dans la majorité parlementaire. Chaque membre du gouvernement, organe collégial et solidaire, prend en charge l'ensemble de la politique gouvernementale et en est responsable avec les autres membres. L'esprit du régime parlementaire implique la collaboration du gouvernement et des assemblées de manière à assurer le dialogue. C'est ce qui explique que souvent les ministres sont choisis par les parlementaires et disposent de l'initiative législative. La collaboration entre les pouvoirs résulte également de l'existence de moyens de pression réciproque, en l'occurrence la mise en cause de la responsabilité politique du gouvernement devant les parlementaires en contrepartie de la dissolution du parlement. Ces mécanismes permettent d'apporter une solution aux conflits éventuels entre les deux organes. Si le parlement met en cause la responsabilité politique du gouvernement, un nouveau gouvernement ayant la confiance de la majorité pourra être constitué. De même, en cas de dissolution, les électeurs seront appelés à trancher le conflit. Il en résultera soit l'élection d'une nouvelle majorité soit la reconduction de la précédente. C'est la logique de l'équilibre des pouvoirs dans le régime parlementaire qui permet d'éviter le blocage des institutions.
Certes, je n'ai fait que brosser un tableau général du régime parlementaire. Car, en réalité, il en existe plusieurs variantes : régime parlementaire dualiste (avec responsabilité du gouvernement devant l'assemblée et devant le chef de l'Etat) et régime parlementaire moniste (avec la responsabilité du gouvernement uniquement devant l'assemblée). Les partis politiques jouent également un rôle très important dans la dynamique du système, ce qui fait que le bipartisme assure en Grande-Bretagne un fonctionnement convenable des institutions, à la différence du multipartisme qui est facteur d'instabilité gouvernementale dans plusieurs pays, comme l'Italie.
Alors, que choisir pour la Tunisie? Ce sont les représentants du peuple qui en décideront une fois la constituante élue. Mais, il me semble que le choix prendra en considération la position des partis sur l'échiquier politique tunisien. En effet, le régime parlementaire ne peut être envisagé sans tenir compte du jeu des partis. Or, cela ne semble pas évident face à l'inflation de partis politiques dont j'ai déjà parlé.
Pour ma part, je pense qu'il existe d'autres formules qui peuvent être envisagées en Tunisie, telles que le régime mixte qui combine à la fois des éléments inspirés du régime parlementaire (un gouvernement collégial et solidaire, responsable devant l'assemblée parlementaire élue au suffrage direct) et des éléments inspirés du régime présidentiel (un président élu au suffrage direct doté de pouvoirs propres considérables). Cette formule conciliatrice entre l'idéal démocratique et l'impératif de l'efficacité a été essayée dans plusieurs pays (l'Autriche, la Finlande, l'Islande, le Portugal, la France), donnant le plus souvent des résultats satisfaisants quant au fonctionnement des institutions et l'équilibre des pouvoirs.
Reste à signaler que le type du régime politique n'est pas une fin en soi. Quel que soit le régime choisi, il faudra veiller à ériger des remparts institutionnels contre l'usurpation du pouvoir et la violation de la Constitution. Je pense notamment à la création d'une Cour constitutionnelle composée de juges indépendants qui seront les véritables garde-fous de la démocratie tunisienne naissante.
Anissa Bouchoucha


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