De notre correspondant permanent : Khalil KHALSI - Du rire et du chant pour fêter la renaissance du pays, comme on sait si bien le faire chez nous. Histoire de conjurer le sort tandis que le flou persiste encore. Partout se déploie la solidarité, quitte à déplacer la scène du rire… Non, ce n'est pas un délire spatial, mais bien le Festival du rire de Tunis qui a migré à Paris. Provisoirement, il faut se rassurer. La prochaine session tunisienne est maintenue, et elle se déroulera dès la réouverture des espaces culturels, et ce à Tunis, Sfax et Sousse, ainsi que dans les régions. Le rire aura plus que jamais, gageons-le, un autre goût, une autre résonnance. Un rire plus tranquille, jubilatoire, comme celui qui éclate, en ce moment, dans les gorges des Tunisiens à Paris. Après quatre éditions réussies à Tunis, où les humoristes français entre autres venaient à la rencontre du public tunisien, désormais ce sont les humoristes tunisiens qui se déplacent pour leurs concitoyens expatriés à Paris. Et c'est une session placée sous le signe de la solidarité que Yalil Prod s'est donné les moyens d'organiser au Palace de la Liberté, dans le 9e, en exportant le produit tunisien. Très prisé aujourd'hui, paraît-il. La parole, la blague est donnée aux artistes qui devaient arracher la voix qui était la leur et qu'on ne leur accordait pas. Comme si le rire pouvait maintenant, enfin, avoir un sens. Avec des humoristes confirmés comme Kamel Touati (qui a présenté son spectacle « Ahna hakka ») ou aussi controversés, chacun à sa façon, que Jâafer Guesmi (« Tounsi.com », jeudi 24 février) et Lotfi Abdelli (« Made in Tunisia », ce soir, samedi 25), le rire se déploie sous l'enseigne de la Liberté. La soirée d'inauguration a eu lieu mercredi 23 février, et la chanson était à l'honneur. Le rire et le chant n'ont-ils pas toujours été les meilleurs, parfois les plus subtils canaux de la résistance ? Une ambiance bon-enfant régnait sur scène entre les artistes, qu'ils soient imitateurs, chanteurs ou chanteurs-humoristes, tous de carrières et d'horizons aussi différents les uns que les autres. Ainsi le jeune Yassine Ben Abdallah, très confiant et avec un grand sens de l'improvisation, a-t-il été propulsé sur la scène parisienne, après son apparition sur le Net et des détours par les médias, pour offrir une imitation aussi vraie que nature de ZABA, le président déchu. Un personnage paradoxalement – et c'est presque malheureux de l'admettre – attachant sur lequel les spectateurs se sont défoulés avec un « Dégage ! » cependant affectueux. Un « Dégage ! » accompagné par le geste, ce mot que Sofien Safta a mis sur la musique de « Hasta Siempre » de Nathalie Cardone, avec une distribution bien rock et rythmée – sûrement plus coriace que les paroles. Doux-amers également, plus doux qu'amers – et c'est peut-être tant mieux – les textes chantés par Sana Sassi du groupe Samsa, qui sévit depuis quelques années principalement en France, avec des chansons tendres et parfois nostalgiques – nostalgie de l'exil. « Tkallem ya tounès yehdik », ainsi voulait la rime, comme un rappel des temps anciens. L'incontournable BendirMan n'a d'ailleurs pas manqué de taquiner le groupe qui l'a précédé, peut-être un peu moins ouvertement qu'il n'avait l'habitude de parodier la niaiserie supposée d'Amel Mathlouthi. L'animation du spectacle a été assurée, et certainement sauvée par Baaziz, nouveau coéquipier de BendirMan ; l'artiste algérien était « partout interdit », comme le présente son jeune collègue, y compris en Tunisie où, ayant « poussé le bouchon un peu trop loin », il avait dû annuler un dernier concert, en 2009, expulsé du pays. Belle revanche pour ces deux joyeux drilles qui s'en sont donné à cœur joie, n'épargnant personne, même pas la protégée de Baaziz, Syrine Ben Moussa, venue avec sa voix cristalline interpréter une petite chanson du malouf algérien… Un petit clin d'œil au peuple d'à côté et qui attend l'heure de sa révolte.