Elle l'appelait “Mon ami le chameau“. Coulé dans son costard clair à rayures sombres, il riait ou gémissait. On ne pouvait savoir avec ses sourcils qui encadraient fermement son regard dédaigneux et modeste à la fois, qu' il glissait sur la personne qu'on vient de lui présenter, sans que celle-ci ne sache s'il était ravi de la rencontrer, ou s'il s'en foutait comme de dieu, du diable ou de la sainte table. Elle, c'était la dame en noir avec son tout petit couffin où il y avait toujours ses cigarettes surfines patriotiquement tunisiennes, son cahier d'écolière et sa plume sans laquelle elle ne pouvait s'asseoir toute la matinée dans ce café populaire du rondpoint de Sidi Bou Saïd avant que les rapaces chromés ne viennent fissurer la petite légende toute frigorifiée de ce que fut ce petit village, béni pour certains et maudit pour ceux qui ne connaissaient du respect que les traces indélébiles qu'avaient causées des générations de famine dans leur nouvelle grosse bedaine maintenant qu'ils peuvent manger à leur faim. C'était l'époque où il y avait Tania Mattews, Vachko, ce Maïakovski à la dérive qui se rasait le crâne chaque fois que le désir du suicide le titillait un peu trop fort. Il y avait aussi ce journaliste américain, Tom de son prénom et dont j'ai oublié le nom, l'ambassadeur fantasque et doux d'un pays d'Amérique du Sud, une grosse femme portant burnous comme un homme et qui écoutait du Fado. Il y avait beaucoup de froid, de l'espoir des enfants des pauvres, des ombres inquiétantes dans la nuit noire et ce vieux paysan qui revenait chaque matin avec sa mule labourer son champ juste derrière la station de Sidi Bou Saïd. Et voilà qu'aujourd'hui Rénée Briante qui ne pouvait vivre que dans le poème, nous ramène vers cette époque où les chameaux riaient et pleuraient sans déranger les belles endormies.