On aurait aimé en savoir plus sur ce peintre ; sur ce qu'a été sa vie, son itinéraire d'artiste, son cheminement, pour pouvoir l'accompagner mentalement sur les routes sinueuses de la création, afin de saisir la clé de ce mystère qui fait que l'on peut être entouré d'ombres, confiné à l'obscurité la plus compacte, et parvenir tout de même à faire imploser la lumière au cœur de la toile, comme si c'était le geste le plus naturel au monde. Sauf qu'il faut avoir son génie pour le faire aboutir, et ne peut pas qui veut. Mais Khaled Guezmir qui a choisi de lui dédier cet ouvrage, par fidélité à la mémoire de ce peintre, qui fut aussi son grand ami, a sûrement préféré laisser parler les œuvres, qui disent l'essentiel, l'ineffable, nous faisant accéder à ces rivages bienheureux où il s'avère difficile de poser les pieds, à moins d'y être invité par ce passeur merveilleux qu'est l'artiste quand il est doué, et de surcroît modeste. Alors, il ne reste plus qu'à ouvrir grand les yeux et son cœur, pour entreprendre le voyage en sa compagnie. Et si ce livre laisse supposer qu'il fut harassant pour lui ce voyage, sans toutefois s'attarder sur des détails, qui viendraient peut-être par la suite combler une biographie en creux, où ceux qui l'auront connu, comme ceux qui auraient aimé le connaître, n'auraient de cesse de vouloir passer de l'autre côté du miroir, pour aller à sa rencontre, fut-ce à rebours, il est clair qu'il vient combler un vide : celui laissé par sa disparition, et celui du sentiment de profonde injustice et de frustration, qui auront accompagné le départ de celui qui ne fera pas mentir l'adage : « Nul n'est prophète en son pays ». Et c'est bien pour réparer cette injustice, et pour qu'on ne l'oublie pas que Khaled Guezmir a signé ce livre « Mostari Chakroun, une peinture qui défie… le temps », dans lequel il brasse large, l'horizon pictural de celui qu'il appelle « Maître », et qui a marqué toute une époque, qui s'étend des années 60 jusqu'en 2004. Né en 1942 à Bizerte, Mostari Chakroun diplômé de l'Ecole des Beaux Arts de Tunis (1960- 1966) et de l'Ecole Nationale Supérieure des Beaux Arts de Paris (1966- 1969) est décédé un certain 12 juillet 2004 à Raf-Raf. Il laisse une œuvre immense et protéiforme, avec un dénominateur commun : la quête de la lumière et de la transcendance, tant au niveau des couleurs, des formes que de l'engagement. Car s'il fut artiste, il fut aussi cet être sensible et fortement impliqué dans son époque, et ressentant dans sa chair, les soubresauts de l'Histoire comme ses meurtrissures, les traduisant ainsi, à sa manière sur ses toiles, à l'instar de « Sabra et Chatila », ou du bombardement de Bagdad, mettant à nu son âme d'artiste et les entailles de sa conscience, en frère solidaire de ces vaincus de l'Histoire qui ne perdront jamais l'espoir, toutefois, de devenir vainqueurs. Peintre libre et rétif aux embrigadements, qui refusera toujours de se laisser couler dans un moule, pour plaire, choisissant d'être acculé à une certaine solitude, ou à une solitude certaine, plutôt que d'accepter compromis et compromissions, c'est son itinéraire à rebours, et en pointillé, que Khaled Guezmir nous dessine, à travers articles des journaux de l'époque ou introductions à ses expositions, pour que nous puissions avoir loisir, à notre tour, de refuse barrières et barreaux, sous quelque formes qu'ils se présentent, pour accéder à notre tour à la lumière. Celle d'une aube bleue où le regard peut se perdre sans danger, en attendant le jour qui pointe à l'horizon, comme une naissance toujours recommencée. Samia HARRAR
* L'auteur dédicacera son livre aujourd'hui, à partir de 18h.30 à la librairie Art Libris- Le Kram (Av. Bourguiba en face du Stade).