« Lorsqu'un homme sent battre, dans son âme, la vie et l'âme du monde, il est libre. » Rabindranath Tagore (*) Ils sont libres. Leurs cœurs battent à l'unisson des soubresauts du monde. Ils se lèvent un peu partout, en Europe notamment : en Espagne, en Belgique, en France, en Pologne, en Russie. Ils occupent les places et réorganisent les cités. Est-ce le souffle de Hessel qui les anime ? Est-ce le vent de révolte qui attise la colère dans le monde arabe qui les emporte ? Est-ce la lassitude d'un système économique qui crée des inégalités flagrantes ? Est-ce l'indifférence des nantis vis-à-vis des laissés pour compte ? Est-ce le désenchantement né d'une politique insipide qui bannit le rêve et l'espoir ? Est-ce la déroute d'une pratique qui a renoncé à ses idéaux et s'est désengagée des damnés de la terre ? Est-ce l'échec d'une politique qui se désintéresse des grandes causes, des belles causes ? Est-ce la vacuité d'un discours, une parole désincarnée, sans conviction, sans émotion, sans feu ? Est-ce les politiciens préoccupés par leur image et leurs intérêts personnels ? Est-ce le repli sur soi, l'individualisme triomphant ? Est-ce l'apathie ambiante ? Est-ce le règne du paraître, de l'apparat ? Est-ce la tragédie des peuples dépossédés de leur terre ? Est-ce le malheur de tant de personnes condamnées à l'oubli, harassées, épuisées par des taches répétitives ? Est-ce la frilosité de ces pays qui se jettent dans l'extrémisme ? Est-ce la toute puissance des pays qui imposent leur loi aux plus faibles ? Est-ce l'absence d'étoiles dans les yeux et le calme ennuyeux de certaines villes ? Est-ce la course effrénée vers la richesse factice ? Est-ce la liberté de pensée qui se rétrécit ? Est-ce la banalité qui se répand ? Est-ce l'envie de survivre, le désir de rester debout ? C'est tout cela et bien davantage encore qui pousse les milliers d'indignés à se rassembler, à occuper des espaces de liberté, à se réapproprier la parole et le débat pour réaliser ce que les gouvernants ont échoué à faire. C'est la colère contre l'injustice sociale dont sont victimes tous ces marginalisés, abandonnés par un système qui bafoue l'égalité des chances, c'est ce taux de chômage qui grimpe, plongeant des centaines de milliers dans la précarité. C'est la rage contre une classe politique défaillante qui persiste à défendre un système qui périclite chaque jour un peu plus. Ce sont les retombées de la crise qui sapent le rêve d'un monde égalitaire et juste. C'est la révolte contre des hommes politiques corrompus, sourds à la contestation qui monte. C'est la déroute d'un système qui écrase les pauvres, favorise les riches et creuse l'écart entre les pays. C'est la faillite d'une politique incapable de réaliser ses promesses. Les rebelles crient leur indignation, tissent des slogans d'une créativité singulière : « Si vous ne nous laissez pas rêver, nous ne vous laisserons pas dormir », « Vous prenez l'argent, nous prenons la rue ! », « Nous ne sommes pas des marchandises. » lancent les insurgés aux politiques et menacent les tueurs de rêves. C'est une mer de protestations qui gronde, ce sont les contestataires, les insoumis qui battent le pavé, réinventent les valeurs de solidarité et annoncent la naissance d'un nouvel ordre mondial. C'est l'éveil des consciences, la mobilisation citoyenne. C'est une nouvelle démarche politique : se réunir, débattre, échanger, se mobiliser et agir. C'est un mouvement d'espérance qui s'amplifie pour transformer la société, porter les rêves en politique et enfanter l'utopie. Tounès THABET (*) Penseur et écrivain indien. Prix Nobel de littérature en 1913. (1861-1941)